La guerre est déclarée entre le Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, et l'alliance des patrons de l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA), Abdelmadjid Sidi Saïd, et du Forum des chefs d'entreprises (FCE), Ali Haddad. Si l'on ignore dans le détail les aboutissants du conflit que l'on peut interpréter à souhait, il sera difficile de dénouer l'écheveau de ce bras de fer entre trois hommes appartenant au même système, celui mis en place par le président Abdelaziz Bouteflika depuis son arrivée au pouvoir en 1999. Il est difficile d'admettre que c'est juste une histoire de mises en demeure adressées par le Premier ministère aux entreprises dont la réalisation des projets patine. Les entreprises de Ali Haddad ne sont d'ailleurs pas les seules concernées. Il y a certainement une autre explication à tout ce rififi qui s'empare du sommet de l'Etat. Pour que le Premier ministre aille jusqu'à exiger que le patron des patrons quitte le siège de l'Ecole supérieure de la CNAS pour participer à la cérémonie de remise des diplômes, les raisons devraient être très sérieuses. C'est visiblement loi d'être une question d'incompatibilité d'humeur entre les deux hommes. Parce qu'à un niveau aussi élevé de l'Etat, on ne doit pas fonctionner à l'humeur. Il y aurait donc plusieurs mobiles imbriqués l'un dans l'autre. La crise économique, la rareté des finances de l'Etat qui affectent les investissements publics, le mauvais management et le désastreux monitoring des projets imposeraient, selon certains analystes, un urgent relifting en matière de gouvernance. Le gouvernement doit faire face à une situation économique très difficile devant laquelle il s'apprête à prendre des mesures lourdes en matière de rationalisation des dépenses publiques, et des décisions économiques à même de trouver des substituts à la fiscalité pétrolière sur laquelle reposait tout le fonctionnement du pays, à travers l'abandon de la politique des subventions à tout-va, et l'introduction de nouvelles taxes. Et pour faire accepter le coût social de l'«économie de guerre» qu'il s'apprêterait à mener, il doit d'abord combler son énorme déficit en légitimité induit par les dernières élections législatives qui ont connu un taux d'abstention historique, synonyme d'un cinglant rejet par les Algériens de la manière dont le pays est gouverné. Fallait-il donc commencer par donner des gages de changement en s'attaquant au patron des patrons, ou à ce qu'on appelle les oligarques du système ? La symbolique de s'en prendre publiquement à Ali Haddad aurait apparu aux yeux du gouvernement comme une étape importante dans la mise en pratique de ce qui peut s'apparenter à une nouvelle politique économique. Mais jusqu'où ira Abdelmadjid Tebboune, non seulement dans son bras de fer avec le chef du FCE soutenu par l'UGTA de Sidi Saïd, mais aussi dans la lutte contre l'économie parallèle et l'informel qui bloquent le développement de l'économie nationale ? Si le Premier ministre montre déjà une volonté de fer pour réduire drastiquement le volume des importations qui affectent dangereusement la Trésorerie, il n'a pas encore fait preuve de son engagement à livrer une lutte sans faute contre la fraude fiscale et les segments de l'informel que le précédent gouvernement à tenter de faire entrer dans le circuit légal de l'économie. Pour bien comprendre les dessous du conflit larvé entre Ali Haddad et Abdelmadjid Tebboune, l'on peut poser la même question : jusqu'où ira le Premier ministre avec le chef du FCE, mais en la situant dans un autre contexte, ou mieux dans une autre perspective, celle de l'échéance de l'élection présidentielle de 2019. Tout le monde sait que le patron de l'ETRHB est l'un des plus proches et des plus fidèles du cercle présidentiel. Son amitié avec le frère conseiller du Président, Saïd Bouteflika, n'est un secret pour personne. Ils seraient «comme les doigts d'une seule main», disent certains. En effet, en d'autres temps, on n'aurait jamais pensé, lui qui bénéficiait d'une protection aussi blindée, qu'il essuierait des attaques aussi frontales d'un Premier ministre en fonction. Les actes de Abdelmadjid Tebboune obéiraient-ils, comme il le dit, dans un communiqué rendu public hier par TSA, à un plan global qui est «la consécration du principe de la séparation entre le pouvoir politique et le pouvoir de l'argent qui figure dans le plan d'action du gouvernement qui a été recommandé par le président de la République lors du Conseil des ministres et validé par les deux Chambres du Parlement», ou à d'autres pondérables ? La réponse est en réalité dans cette question : les soutiens de Ali Haddad iront-ils jusqu'à le sacrifier en raison de la conjoncture économique du pays ? Si tel est le cas, on pourrait bien s'attendre à des événements encore plus importants dans les prochains jours. Le patron de l'ETRHB finira par être éjecté de la présidence du FCE et son allié, Abdelmadjid Sidi Saïd de la tête de l'UGTA. Cela a toujours été le sort de ceux qui tombent en disgrâce. Dans le cas où le bras de fer n'aura pas connu une telle issue, l'on peut aisément conclure que le conflit est dicté par d'autres impératifs, ceux d'une lutte imparable à la succession à la présidence de la République.