Il y a comme la nette impression de ce que le pouvoir, ayant épuisé ce qui lui restait de crédit auprès de la population, se cherche un nouvel équipage pour l'aventure de l'élection présidentielle. Le Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, en tournée d'inspection, samedi dernier, à Alger, est informé de la présence du président du Forum des chefs d'entreprise (FCE), le patron du groupe ETRHB, Ali Haddad, à la cérémonie de sortie de promotion à l'école supérieure de la sécurité sociale où il était attendu. Il pique une colère qu'il parvient à peine à dissimuler et charge son protocole d'intimer l'ordre de le faire évacuer des lieux. Gêné, le ministre du Travail, le maître de céans qui a invité Haddad, sollicite l'aide du secrétaire général de l'UGTA, Abdelmadjid Sidi Saïd, également convié à la cérémonie. Ce dernier accepte de s'acquitter de la tâche mais à contrecœur. C'est lui donc qui signifie à Haddad qu'il était indésirable à la cérémonie. Les deux hommes quittent ensemble les lieux. Chose qui ne passe pas inaperçue. Leur départ précipité, avant même l'arrivée du cortège du Premier ministre, est vite rapporté par les médias en ligne et relayé par les réseaux sociaux. L'information s'est propagée telle une traînée de poudre. L'opinion publique est édifiée. Le pouvoir n'arrive plus - ou ne fait aucun effort - à dissimuler ses contradictions. Avec l'incident, ses tiraillements sont désormais étalés sur la place publique. Depuis lors, tout le monde a acquis la certitude que rien ne va plus entre le gouvernement et ses alliés traditionnels, du moins avec l'un d'entre eux, en l'occurrence le patron de l'ETRHB. Et le Premier ministre semble avoir fait exprès pour que cela se sache. Mais alors pourquoi a-t-il agi de la sorte et plus particulièrement avec Ali Haddad ? Nul n'est crédule au point de croire que l'attitude du Premier ministre procède de la seule animosité qu'une personne peut nourrir à l'endroit d'une autre. Personne n'est dupe aussi au point de se laisser convaincre que Tebboune se soit risqué de son seul propre chef à attaquer de la sorte le président du FCE, grand et riche allié du pouvoir. Le Premier ministre agit, pour sûr, selon une feuille de route, laquelle s'articulerait autour d'une option politique lourde que beaucoup d'observateurs estiment, au demeurant, liée à l'élection présidentielle de 2019. Il y a en effet comme la nette impression de ce que le pouvoir, ayant épuisé ce qui lui restait de crédit auprès de la population, se cherche un nouvel équipage pour l'aventure de l'élection présidentielle. Un équipage difficile à recruter dans l'état actuel des choses. Pour espérer y parvenir, il lui faudrait rompre, sinon totalement, du moins en partie les équilibres qui ont prévalu et en construire de nouveaux, à travers notamment l'élargissement du pacte social à des partenaires autres que les traditionnels et l'implication, en même temps, de la classe politique. Et pour construire les nouveaux équilibres, il faudrait nécessairement débarquer quelques-uns des membres de l'ancien équipage. Et qui mieux pour subir l'infortune que ceux choyés par l'ancien gouvernement dont Tebboune est en train de faire le bilan, pour ne pas dire le procès. Le patron de l'ETRHB semble tout indiqué pour endurer cette épreuve. D'ailleurs, son renvoi de l'école supérieure de la sécurité sociale a été accompagné de mises en demeure pour rattraper les retards dans l'achèvement des marchés publics. La fin de l'impunité semble avoir sonné pour lui. Pour tous les autres qui, comme lui, ont joui de statut de privilégiés. C'est ainsi que l'on a assisté hier à l'expression d'une solidarité active de signataires du pacte économique et social, organisations patronales privées et Centrale syndicale, avec Ali Haddad. Une solidarité mais beaucoup plus, puisqu'en vérité, il s'agit d'une riposte groupée, une résistance à la nouvelle modulation politique proposée par Tebboune. L'UGTA, rudement concurrencée sur le terrain par les syndicats autonomes, ne veut pas perdre l'exclusivité de la représentation sociale. Les patrons, eux, craignent que les nouvelles parties invitées au dialogue posent la condition, pour leur participation, de faire le point de situation sur des dossiers tel celui du foncier industriel et agricole. Des dossiers dont l'ouverture est redoutée. Cela dit, s'il est un fait que les signataires du pacte économique et social se liguent contre Tebboune, le font-ils pour autant par instinct de survie ? Il est fort à parier que leur bravade si singulière, il faut le dire, pose des interrogations. Pour d'aucuns, leur initiative a des appuis conséquents au niveau des sphères qui rivalisent autour du contrôle du processus politique qui devra déterminer la succession en 2019. Cela se devine aussi à travers les réactions partisanes à l'offre de dialogue du gouvernement. Il y a les partis qui font du refus une position de principe et d'autres, qui n'aiment pas forcément fréquenter le pouvoir, s'affichent dans des positions nuancées, histoire de patienter pour mieux cerner les enjeux. Sofiane Aït Iflis