Le pape Benoît XVI a achevé hier la visite de quatre jours qu'il a entreprise mardi en Turquie. Moment fort et historique, selon de nombreux observateurs attentifs à ce premier voyage papal en terre d'Islam depuis l'amorce de son pontificat : la prière commune observée hier à la Mosquée Bleue d'Istanbul par le pape dans une atmosphère de recueillement et de communion entre les deux religions, chrétienne et musulmane, aux côtés du grand mufti d'Istanbul Mustafa Cagrici et de l'imam de la mosquée Emanullah Hatiboglu. Benoît XVI est le deuxième pape à se rendre dans une mosquée après le tabou brisé par Jean-Paul II en 2001 en se rendant à la mosquée des Omeyyades en Syrie. A l'origine, l'agenda de la visite en Turquie du pape devait porter uniquement sur la découverte de ce joyau et en même temps historique lieu de culte musulman turc qu'est la Mosquée Bleue. Les dignitaires religieux turcs qui accompagnaient le pape dans ce pèlerinage musulman avaient tenu, au-delà de la curiosité touristique et cultuelle proprement dite, à arracher au pape un geste d'une grande teneur symbolique : une prière en bonne et due forme exécutée selon le rite musulman : les mains posées sur le ventre et la posture face à La Mecque. Les images retransmises par les télévisions du monde entier montrant l'interprète particulier du pape traduire en live la demande de ses hôtes d'une prière commune à l'occasion de sa visite dans cette mosquée - une demande qu'il a acceptée volontiers - resteront comme des moments à inscrire d'une pierre blanche dans les relations entre les deux religions marquées ces derniers mois par un climat de méfiance, voire de défiance, suite aux propos sur l'Islam jugés blasphématoires dans les capitales musulmanes tenus en septembre dernier par Benoît XVI à Ratisbonne, à Berlin. Le pape est parti en Turquie en rédempteur et d'une certaine manière pour se faire pardonner « ses péchés » contre la religion musulmane qui l'ont poussé, en adoptant des positions radicales sur l'Islam, à entamer son pontificat avec un lourd contentieux vis-à-vis des musulmans. Ce voyage en Turquie qui avait été maintenu, malgré tout, en dépit de toutes les contingences liées à l'actualité, se voulait, quelque part, comme un acte de repentance de la part du pape pour fermer cette page sombre et bâtir de nouvelles relations entre les deux religions fondées sur le respect et la compréhension mutuels. La prière de Benoît XVI « est encore plus significative qu'une excuse », a souligné à cet égard le mufti d'Istanbul, Mustafa Cagrici, cité par le quotidien Sabah. Soucieux de ménager sa base partisane tout en ne perdant pas de vue l'intérêt stratégique et les retombées politiques de cette visite sur la Turquie qui lui impose de gérer l'événement avec un certain pragmatisme, le Premier ministre islamiste turc, M. Recep Tayyip Erdogan, a tenu à ne pas trop s'impliquer dans cette visite, se bornant simplement à accueillir le pape à son arrivée à l'aéroport d'Ankara avant de s'effacer de la scène. Le pape s'était rendu en Turquie porteur d'un message en direction des autorités turques, qu'il a vivement interpellées en vue du respect des minorités religieuses. C'est dans un esprit d'ouverture et de réconciliation entre les deux Eglises catholique et orthodoxe séparées depuis plus de 1000 ans que le pape a célébré une messe dans la cathédrale du Saint-Esprit d'Istanbul, à laquelle a assisté le patriarche œcuménique orthodoxe Bartholomée 1er, primat d'honneur des Eglises orthodoxes. Le souverain pontife a lâché quatre colombes, symbole de paix, à son arrivée dans cette cathédrale. Benoît XVI a fait du rapprochement avec les orthodoxes une priorité de son pontificat. En contrepartie de ce cahier de doléances que le pape a soumis aux autorités turques à l'occasion de son périple en Turquie, le souverain pontife qui a manifestement pris acte et hautement apprécié le climat relativement apaisé dans lequel s'était déroulée sa visite avait à son tour dans ses bagages des offrandes d'importance à faire à ses hôtes : le soutien du Vatican à l'entrée contrariée de la Turquie dans l'Union européenne contre le respect par Ankara des minorités religieuses. Alors qu'il n'était que cardinal, Benoît XVI était farouchement opposé à un tel rapprochement au nom de l'Europe chrétienne. A son départ hier de l'aéroport d'Istanbul à bord d'un avion de la Turkish Airline, le pape a exprimé le souhait que son voyage puisse contribuer à « une meilleure compréhension entre les religions » révélant qu'il quitte la Turquie en laissant derrière lui « une partie de son cœur » dans ce pays. Il reste à savoir ce que le pape peut faire pour faire partager son idylle turque avec les politiques de l'UE et Bruxelles. La recommandation hier de la Commission européenne de « ralentir les pourparlers » avec la Turquie à cause du dossier chypriote résonne comme une réponse et une fin de non-recevoir à l'homélie du pape en faveur de l'adhésion de la Turquie à l'UE.