A Aïn Beïda, les gens ne vivent plus que de souvenirs. « Autrefois, Aïn Beïda, nous dit un citoyen, était un grand foyer culturel, représentatif de toutes les formes de culture ancestrales. Il y avait une certaine ferveur qui n'épargnait personne. Les fêtes familiales avaient du caractère, parce que célébrées dans la chaleur conviviale et traditionnelle. » C'était l'époque où Aïssa Djarmouni, chantre des Aurès, émerveillait les foules. Son talent était tel que personne ne restait insensible à la douceur de sa voix qui portait très loin. Une anecdote raconte même qu'au cours de la célébration d'une fête de mariage sa voix avait atteint les cimes de Sidi R'ghis, à Oum El Bouaghi, alors qu'il chantait à partir d'un hameau de M'toussa, la patrie de ses aïeux. Aïssa Djarmouni, Laâmari El Harkati, 60 ans après sa mort, est resté indétrônable, inimitable. Sa voix n'a pas de pareille. Ce pan de la culture des Haractas dont le territoire englobe, outre la capitale Aïn Beïda, Touzeline, Oum El Bouaghi, M'toussa (wilaya de Khenchela), Aïn Babouche, Berriche, F'kirina, Ksar Sbahi et Dhalaâ, pour ne citer que celles-là, s'est terriblement désagrégé faute d'une relève ou d'artistes au talent avéré. La chanson chaouie n'a pas beaucoup évolué en qualité. Par ailleurs, on déplore qu'à Aïn Beïda, on se soit désintéressé de métiers traditionnels, telles la sparterie et la tapisserie. Qui ne connaît pas la valeur intrinsèque du tapis des Haractas, autrefois objet de valeur et de curiosité. La manufacture de Aïn Beïda a fermé ses portes depuis maintenant deux décennies. La fabrication du tapis des Haractas revient excessivement cher. Quant à la sparterie, il y a bien longtemps qu'on l'a léguée aux oubliettes ! Considérée comme l'ancêtre de la tapisserie, la sparterie est l'art de tresser les touffes d'alfa pour en fabriquer des tapis, des couffins, des cordes et d'autres objets d'usage utile à la ménagère. La perte des métiers traditionnels, et de l'artisanat d'une façon générale, est un pan civilisationnel entier qui s'écroule. Le plus regrettable, c'est qu'il n'y a même pas un musée qui témoigne de cette grande richesse civilisationnelle des Haractas.