La libération, jeudi 3 août, de cinq combattants du Hezbollah détenus par le groupe takfiriste du Front Fateh Sham (ex-Front Nosra) a marqué la concrétisation de la dernière phase de l'accord entre le Hezbollah et les djihadistes. Au total, cinq convois partis d'Ersal, dans le nord-est du Liban, ont acheminé plusieurs centaines de djihadistes et des milliers de civils vers les zones contrôlées par le groupe à Idleb. Cette opération de transfert est une démonstration éclatante d'une victoire à la fois militaire et politique du Hezbollah, qui dépasse le cadre local pour prendre une tournure régionale. En effet, si le démantèlement de la dernière poche de «résistance» de Jabhet Fateh Sham (JFS) consolide la position sur la scène politique locale d'un acteur apparaissant comme le défenseur de l'intégrité territoriale du Liban, le succès des opérations d'Ersal entraîne également des bouleversements radicaux à l'échelle de la région. Premièrement, la bataille d'Ersal a été perçue comme un véritable test de puissance pour la résistance libanaise qui réalise une nouvelle prouesse technique dans une région montagneuse au relief abrupt. Le repli des combattants de JFS sur les hauteurs d'Ersal, qui culmine à presque 3000 mètres d'altitude, a nécessité l'organisation d'une logistique spécifique pour mener à bien les opérations offensives de bouclage-nettoyage dans le Jurd. Il a donc été indispensable de transformer les engins et véhicules utilisés par la résistance pour acheminer les armes dans un milieu hostile à l'activité militaire. Alors que les djihadistes de JFS installés à Ersal depuis plusieurs années ont renforcé leur logistique et organisé leur défense, les forces de la résistance ont, en dépit de la «tyrannie du terrain» qui se prête mal aux actions offensives, réussi à lever les obstacles de contre-mobilité et déloger en un temps record les djihadistes grâce à l'adaptation technique et la transformation du matériel militaire (exemple de l' emploi des canons sans recul et des véhicules légers à 4 roues). Outre l'innovation technologique en matière d'armements, la capacité d'adaptation et la maîtrise du terrain en région montagneuse laissent augurer de profonds changements dans les conditions de combats futurs entre les forces de la résistance et l'armée israélienne sur le front du Golan occupé. Mais Ersal n'a pas été qu'un théâtre d'essai du nouveau matériel militaire du Hezbollah, la bataille présente une portée stratégique considérable dans la nouvelle configuration géopolitique qui fait volet en éclats l'architecture de Sykes-Picot. Dans la nouvelle ligne de front qui s'étend désormais de Naqoura (Sud-Liban) à Al Sweida (sud de la Syrie), Ersal incarne la profondeur stratégique de l'espace continental, le contrôle total de cette zone diminue donc le potentiel militaire de l'axe opposé à la Syrie. En effet, la présence de Jabhet Fateh Sham à Ersal était une pièce du dispositif de contrôle par les ennemis du régime de la route qui s'étend du sud de Homs à Ersal. Avec la défaite de JFS, les frontières sont stabilisées et la continuité géographique est rétablie. Cette situation pourrait également favoriser un retrait progressif du Hezbollah engagé sur le théâtre syrien depuis 2012. Enfin, si les réserves gazières ne constituent pour l'instant qu'un enjeu virtuel, la dimension géoénergétique — sans incarner la dimension la plus prégnante du conflit — renforce néanmoins les rivalités entre puissances régionales. Sur ce point, l'emplacement géographique d'Ersal renforce son importance dans le cadre de la stratégie de sécurisation des approvisionnements énergétiques. La défaite des djihadistes de Jabhet Fateh Sham s'inscrit également dans le nouveau contexte de confrontation entre le Qatar et l'Arabie Saoudite. Le groupe s'est solidement implanté à Ersal avec l'aide de la Turquie, du Qatar, de l'Arabie Saoudite et indirectement d'Israël, bénéficiant non seulement d'un appui logistique et financier, mais d'un approvisionnement en matériel de fabrication pour entretenir sa base opérationnelle. Or, aujourd'hui, les divisions dans les rangs des parrains du JFS, le conflit ouvert entre Riyad et Doha et les contradictions turco-américaines ont eu des répercussions décisives sur l'issue de la bataille d'Ersal.