La grande muette donne de la voix. Adulée, crainte ou tout simplement admirée, l'armée a toujours su rester silencieuse. Même au plus fort des tourmentes politiques qu'a connues le pays, l'ANP a agi dans l'ombre. Son empreinte est visible. Mais jamais elle ne reconnaît ce rôle. Cette règle est en passe de changer. Il est difficile de dire que l'ANP a fait sa mue. Mais son rôle, réel ou supposé, dans la vie politique du pays revient au-devant de la scène et fait l'objet, à nouveau, d'un débat public. Un débat auquel l'institution militaire elle-même participe. Même si cette immersion dans le débat public ne se fait pas toujours selon les normes admises dans d'autres armées dans le monde. Ainsi, dès que la controverse autour de la capacité du chef de l'Etat à gérer les affaires de l'Etat a éclaté, les regards se sont rivés directement vers le siège des Tagarins. Le ministère de la Défense nationale est connu pour être faiseur de rois. Du moins depuis l'arrêt du processus électoral de 1992. C'est cette institution, alors drivée par le trio Nezzar-Lamari-Toufik, qui a désigné Liamine Zeroual chef de l'Etat en 1994. C'est encore l'armée, dirigée par Mohamed Lamari et Toufik Mediène, qui ramènera, 5 ans plus tard, Abdelaziz Bouteflika pour présider aux destinées du pays. L'actuel chef de l'Etat a réussi à diminuer l'influence des généraux sur la décision politique. Mais sa santé déclinante a de nouveau remis au goût du jour le rôle de l'armée. Alors que l'idée n'était pratiquement pas sur la scène publique en 2014, l'interpellation de l'armée pour jouer un rôle politique dans la période actuelle apparaît au grand jour en novembre 2016. L'adresse a fait sortir l'ANP de sa réserve. Dans un éditorial de la revue El Djeïch, son canal officiel, l'institution militaire rappelle qu'elle est «soumise à ses obligations constitutionnelles». C'est quasiment les même termes qui sont employés, cette fois-ci, par le chef d'état-major de l'ANP, lors de son récent déplacement à Constantine. Ahmed Gaïd Salah rappelle que l'armée s'en tient à ses obligations «constitutionnelles». Autrement dit, elle ne sera pas mêlée à un quelconque jeu politique qui viserait à pousser le chef de l'Etat à céder sa place, ouvrant ainsi la voie à une élection présidentielle anticipée. Sauf que dans leurs interpellations, les hommes politiques n'ont pas appelé à un coup d'Etat. L'ancien ministre du Commerce, Noureddine Boukrouh, a même expliqué dans l'interview accordée à El Watan que son souhait n'est pas de voir l'armée jouer un rôle dans un quelconque coup d'Etat. «Mais certaines voix pourraient s'élever pour faire entendre raison au Président et le libérer de l'influence qu'exerce sur lui un groupe de personnes qu'on a vu à l'œuvre le mois dernier lors de l'affrontement entre Tebboune et Haddad», a-t-il expliqué. Aussi étonnant que cela puisse paraître, tous les partis politiques ne sont pas favorables à une intervention directe de l'armée dans le jeu politique. C'est le cas du RCD qui dit refuser de voir «une succession clanique succéder à une autre alternance clanique». Un avis que partage, à des nuances près, le Mouvement de la société pour la paix (MSP) dont le président, Abdelmadjid Menasra, qualifie ceux qui appellent à l'application de l'article 102 de «parasites». Toute cette animation prouve en tout cas que malgré les slogans, l'armée n'est jamais réellement loin de la politique. Même si, au fil des ans, les rôles qu'elle tient sont différents.