Depuis sa nomination à la tête du gouvernement, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, n'a cessé de brandir l'étendard de la crise et d'une situation financière semblable à un «enfer». Son discours alarmiste inquiète tant du point de vue politique qu'économique. Les investisseurs étrangers et les chancelleries se demandaient si le pays était réellement au bord d'un dépôt de bilan, les investisseurs algériens naviguaient à vue, tandis que les ménages semblaient pris de panique se ruant sur les monnaies refuge tant le dinar n'inspirait plus confiance. Lors d'une tripartite improvisée à son arrivée au Palais docteur Saâdane, Ahmed Ouyahia n'avait pas lésiné sur les mots pour pointer les «tensions financières» auxquelles est confronté le pays. C'était son baptême du feu. Les quelques agrégats de la situation financière et monétaire, contenus dans son plan d'action, validé le 6 septembre dernier en Conseil des ministres, ont levé le voile sur un bilan qui vire au cauchemar. L'Exécutif a reconnu sans réserve que la situation est «préoccupante» et «rendra difficile l'atteinte des équilibres budgétaires en 2017 et en 2018». «La situation demeure extrêmement tendue au niveau du budget de l'Etat : dans la situation actuelle, l'année 2017 sera clôturée avec des difficultés réelles, alors que l'année 2018 s'annonce plus complexe encore», a-t-il averti. Son discours de politique générale a donné lieu ensuite à un vocabulaire tout aussi inquiétant, agitant tantôt la menace d'une «panne économique», tantôt une incapacité à verser les salaires des fonctionnaires et les primes des sénateurs, si la planche à billets ne commence pas à tourner avant novembre. Et pourtant, face à tous ces éléments négatifs, aucune réforme majeure n'est proposée par le projet de loi de finances 2018, adopté mercredi dernier en Conseil des ministres. Le premier budget du gouvernement Ouyahia prévoit une dépense globale de 8628 milliards de dinars ; le budget d'équipement se chiffrant à 4043,31 milliards de dinars, tandis que le budget de fonctionnement s'élève à 4584 milliards de dinars. De tels niveaux de dépenses n'ont pas été observés depuis le temps où le baril de pétrole se maintenait confortablement au-dessus de 100 dollars. La dépense s'affiche ainsi en pleine forme alors que l'état des finances publiques requiert au mieux de la prudence et au pire un important effort d'ajustement budgétaire. Et c'est tout le paradoxe. Deux explications possibles à ce paradoxe. Soit le Premier ministre n'avait pas les coudées franches pour mener les arbitrages nécessaires à même de contribuer un tant soit peu à desserrer la pression sur le budget, soit il fait preuve d'un déficit de courage politique nécessaire, qu'on le veuille ou pas, à mener les réformes aussi impopulaires et difficiles soient-elles. Après coup, le discours de politique générale, qui faisait miroiter le spectre d'une faillite économique pour défaut de ressources, n'était tout compte fait qu'un plaidoyer en faveur de la planche à billets. Elle se serait imposée en option de salut à l'heure où le Fonds de régulations des recettes (FRR), qui permettait de couvrir aisément les déficits abyssaux du Trésor, affichait un solde négatif depuis le début de l'exercice. Dans sa dernière note de conjoncture sur l'évolution de l'économie algérienne, le FMI a indiqué que «l'Algérie doit entreprendre un assainissement budgétaire ambitieux et soutenu pour rétablir la viabilité de ses finances publiques, assurer l'équité entre générations et accompagner le rééquilibrage extérieur». Ces réformes, que le gouvernement semble renvoyer à plus tard, doivent «assurer une répartition équitable de la charge de l'ajustement économique. La politique monétaire doit protéger contre les tensions inflationnistes naissantes, et les politiques du secteur financier doivent être davantage renforcées pour gérer les risques grandissants qui pèsent sur la stabilité financière», avait suggéré le FMI. Quoi qu'il en soit, la feuille budgétaire du prochain exercice ne rompt guère avec la folie dépensière dans laquelle se sont empêtrés les précédents gouvernements. Il n'y aura que le mode de financement qui changera tout compte fait ; le recours massif au FRR pour combler le déficit budgétaire cède le terrain à la création monétaire.