Seuls les déçus du chavisme croyaient ou voulaient se persuader du contraire. C'est-à-dire que le président sortant Hugo Chavez ne sera pas réélu. Non seulement ce n'était pas le cas, mais Hugo Chavez a été réélu triomphalement. Et dès l'annonce de sa victoire, il a proclamé la « victoire de la révolution » lors d'un discours enflammé contre les Etats-Unis. Est-ce à dire que le discours est nouveau ? Les milieux d'affaires habitués à donner le « la », ou tout simplement servir de baromètre, affichaient leur sérénité. Les affaires n'ont jamais été aussi bonnes avec, il est vrai, un prix du baril de pétrole en forte hausse. Autre indice, les relations économiques avec les Etats-unis n'ont jamais été aussi denses. Ce deuxième mandat et surtout cette forte majorité — plus de 60% des voix — seraient-ils les indicateurs du changement, autrement dit une stricte application du programme d'Hugo Chavez, réduisant ainsi fortement les rangs des déçus ? « Le règne du socialisme est le règne du futur du Venezuela ! », a-t-il lancé depuis le balcon du palais présidentiel de Miraflores, d'où il a lancé un salut au dirigeant cubain Fidel Castro. L'ancien officier putschiste, victime d'un coup d'Etat avorté à son encontre en 2002, a averti que son pays, le plus riche en pétrole d'Amérique latine, ne serait « jamais une colonie américaine », devant une foule en délire. Le président sortant, âgé de 52 ans, a été crédité de 61,35% des voix contre 38,39% à son rival social-démocrate, Manuel Rosales, 53 ans, selon des chiffres officiels portant sur le dépouillement de 78% des bureaux. Ces résultats, confirmant un sondage de sortie des urnes commandé par le gouvernement, ont été annoncés à la télévision par la présidente du Conseil national électoral (CNE), Tibisay Lucena, qui a souligné la transparence du scrutin. Avec ce large succès, le président sortant, à la tête du Venezuela depuis huit ans, consolide son ancrage dans le pays, améliorant même ses précédents scores puisqu'il avait été en 1998 et en 2000 avec 56% et 59,7% des voix. « Nous avons donné une leçon à l'impérialisme américain. C'est une autre défaite pour le diable qui prétend diriger le monde », a clamé Hugo Chavez, annonçant l'« approfondissement, l'amplification et l'extension de la révolution », sous les acclamations. Des milliers de personnes, la plupart en chemise rouge comme le chef de l'Etat, ont patienté pendant plusieurs heures malgré la pluie battante, tandis que des soldats, mêlés à des sympathisants, agitaient des drapeaux nationaux à l'intérieur du palais présidentiel. « Je suis le peuple vénézuélien », a encore crié le chef d'Etat, tandis que la foule répondait : « Chavez no se va ! (Chavez ne s'en va pas) ». Le chef d'Etat avait incité peu auparavant l'opposition à admettre sa défaite, lui demandant de se montrer « à la hauteur de l'espérance du peuple ». Les partisans du régime chaviste, sur le pied de guerre depuis l'aube, avaient commencé à fêter leur victoire dès la clôture du scrutin, tirant des salves de feux d'artifice et de pétards dans les rues de la capitale. La mobilisation a été particulièrement forte dans les quartiers défavorisés, où le président a bâti sa popularité en développant des programmes sociaux, baptisés « missions », financés largement par la manne pétrolière. « Chavez profite du large soutien des pauvres qui constituent la majorité de la population grâce à la signature des programmes sociaux », a estimé Alex P. Evans, directeur de l'institut de sondage américain Evans/McDonough, selon qui ce « soutien, combiné à son charisme personnel (...) lui valent sa réélection ». Gouverneur de l'Etat pétrolier de Zulia, son adversaire, Manuel Rosales, avait fait campagne contre un régime « cubano-communiste », promettant de défaire les liens avec les pays hostiles aux Etats-Unis, notamment au Proche-Orient. Il a fini par admettre sa défaite, et son propre score devrait l'amener peut-être à plus de profondeur d'analyse. En fin de compte, qui sont les électeurs de Chavez, ou encore, tous ceux qui ont balayé les régimes libéraux d'Amérique latine ? La question vaut d'être posée dans son contexte plus global qui est celui du sous-continent. Après onze scrutins présidentiels intervenus depuis novembre 2005 dans la région, la réélection de Chavez constitue une mauvaise nouvelle pour Washington dans la lutte d'influence qui l'oppose à un ennemi désormais renforcé, chantre d'une intégration continentale sur un modèle anti-libéral. Les milieux d'affaires continuent à faire leurs affaires. Ils se frottent même les mains avec l'application des programmes sociaux qui mettent sur le marché de nouveaux consommateurs. Même si, signale-t-on, la fuite des capitaux sans prendre des proportions alarmantes, existe bel et bien. Une garantie.