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Diplomatie au ras des pâquerettes
Vu à la télé
Publié dans El Watan le 26 - 10 - 2017

Il faut croire que c'est avec l'appui — du moins la connivence — du gouvernement et de toutes les hautes autorités du pays que Abdelkader Messahel s'est permis d'attaquer ouvertement le Maroc en accusant, entres autres, ses banques africaines de blanchir l'argent de la drogue. Une offensive virulente, frontale destinée surtout à perturber la fausse harmonie du Makhzen, mais qui ne s'est appuyée, cependant, sur aucune preuve matérielle en dehors des petites confidences qui auraient été faites par certains dirigeants africains à notre ministre des Affaires étrangères et que le «secret diplomatique» ne pourra jamais révéler au public. Notre représentant des Affaires étrangères n'aurait, dit-on dans son entourage, jamais pris seul cette liberté de porter le «glaive» chez le frère-ennemi si l'idée n'était pas dans l'air. D'ailleurs, ajoute-t-on, cela ne lui ressemble pas de monter brutalement sur un front aussi orageux, lui qui privilégie toujours la force tranquille de la persuasion sur les flots d'insultes et les campagnes d'intox auxquels nous ont habitués nos voisins.
S'agit-il d'un changement radical de stratégie dans la communication pour contrebalancer le rapport de force médiatique (et propagandiste) entre les deux pays qui a toujours laissé plus de champ aux trompettes marocaines ou alors d'une simple saute d'humeur incontrôlée de la part d'un diplomate excédé de voir que les confrontations verbales à distance entre les deux pays sont pratiquement à sens unique ? La question méritait d'être posée au moment où c'est tout l'establishment marocain qui s'agite pour essayer de rétablir une réputation internationale à laquelle personne n'accorde sérieusement de crédit tant elle est connue pour être surannée, artificielle, pleine de compromis douteux.
C'est que les propos de Messahel ont sérieusement ébranlé l'édifice de sa Majesté, même s'ils ont paru peu enclins à porter le langage diplomatique tel que pratiqué dans les usages des chancelleries qui se respectent. Même exprimé dans des termes crus, proches des commérages de café du coin, le message est passé. Le but semble avoir été atteint et de manière foudroyante si l'on s'en tient aux violentes répliques qui ont suivi chez nos voisins de l'Ouest à travers les médias acquis aux thèses du Makhzen, les réseaux sociaux, les lobbys ou certains représentants de partis inféodés, lesquels dans l'affaire se sont montrés plus royalistes que le roi. Il est vrai que la démarche du diplomate algérien n'a rien de conventionnel, pour reprendre une formule à la mode. Montrer son exaspération avec une tonalité qui court au ras des pâquerettes ne fait pas, en effet, la part belle à notre diplomatie qui a connu dans le passé des moments très glorieux. Il est inutile de rappeler tous les noms des prestigieux ministres des affaires étrangères qui se sont succédé à ce poste pour porter le plus haut possible la voix de l'Algérie dans le concert des nations, mais juste profiter de la parenthèse pour dire que la diplomatie algérienne dans le monde entier et notamment en Afrique passait pour être une référence incontournable.
C'est cette charge qui est tombée d'un cran depuis déjà des lustres, et qui par conséquent ne peut plus se permettre le luxe de rester à la traîne à l'heure où de multiples conflits minent la scène internationale et qui sont autant de défis à gérer avec la subtilité et l'intelligence qu'il faut. Dans ce bras de fer rabatteur engagé avec la partie marocaine, tout porte à penser que cette diplomatie si ingénieuse, si perspicace hier, a laissé aujourd'hui aux vestiaires son esprit chevaleresque pour un combat de chiffonniers où les coups les plus bas sont permis. Si c'est cela la nouvelle tactique dite d'usure pour laquelle on a opté chez nous dans le but évident de rendre à notre adversaire la monnaie de sa pièce avec les mêmes armes qu'il utilise pour nous parasiter, autant dire qu'il faudrait avoir les nerfs solides et de l'endurance dans les propos malsonnants pour tenir la route.
Car enfin, qu'est-ce qui a poussé un ministre de souveraineté à se lancer dans une telle aventure aux relents dégradants si ce n'est la propension à rendre des coups, mais sans réfléchir aux conséquences désastreuses qui peuvent en découler ? L'Algérie aurait-elle à ce point perdu ses repères ou ses référents pour rabaisser sa diplomatie à un niveau qui lui vaut les pires critiques ? Messahel aurait-il fait preuve d'autant de légèreté et d'incompétence dans ses interventions qu'il en arrive aujourd'hui, par sa récente bourde marocaine, à ternir encore un peu plus l'image de notre diplomatie, comme en témoigne d'ailleurs une humiliante Une que lui a consacré un grand quotidien parisien avec un titre qui se passe de tout commentaire ? Il faut dire que suivre le Maroc sur le chemin de l'invective et l'insulte systématique est suicidaire.
Dans ce pays, on a l'habitude de sortir contre l'Algérie l'artillerie lourde des pires affabulations lorsqu'il s'agit du Sahara occidental. C'est ce conflit maroco-sahraoui que le roi veut à tout prix transformer en un conflit maroco-algérien qui est donc au centre de toutes les malversations et de toutes les manipulations et y mettre les pieds comme l'a fait Messahel, c'est tomber fatalement dans le piège dressé par le Makhzen. A moins que l'Algérie se retrouve à court d'arguments pour peser dans ce litige, ce qui est loin d'être le cas ; bien au contraire, les observateurs n'arrivent pas à comprendre cette attitude algérienne de vouloir transgresser sa logique diplomatique alors que celle-ci, en restant égale à ses principes et ses engagements, a obtenu des résultats bien plus probants sur celle de son adversaire juré. Sans violence, sans langage ordurier…
C'est plutôt le «silence» calculé des Algériens qui fait sortir nos voisins de leurs gongs. En tout cas, nos concitoyens ne sont pas restés passifs sur les réseaux sociaux. Ils ont fustigé et tourné en dérision la manière avec laquelle s'est exprimé notre ministre des Affaires étrangères. Pour eux, c'est une dérive de plus à ne pas détacher du malaise général que vit le pays en raison de l'incompétence de ses dirigeants. Ils ont donc compris que la connivence gouvernementale et plus, comme il est dit plus haut, est bien réelle : la preuve, le Premier ministre a soutenu à sa manière les propos de son ministre des Affaires étrangères en affirmant sur les ondes de la chaîne 3 : «Tant pis pour les marocains !»


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