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Palmeraie de Timimoun
Vers un désastre écologique
Publié dans El Watan le 06 - 12 - 2006

Le système des fougaras n'est plus opérationnel. Pas un seul carré n'est consacré à la culture vivrière. Le marché des fruits et légumes est alimenté par le Nord, y compris la tomate fraîche.
Les produits étalés manquent de fraîcheur. Le sol de la palmeraie devient aride. Le processus de désertification évolue rapidement. Pour faire réactiver la vie, il faut un plan d'urgence en termes de forage et de canalisation des eaux usées. Les fougaras sont taries. Dans ce coin, qui fût un paradis au milieu du plus grand des déserts, on aperçoit désormais partout des palmiers calcinés par un soleil implacable, les racines déshydratées sur une terre sèche et poudreuse. Des centaines d'arbres qui donnaient individuellement deux à trois quintaux de dattes d'une excellente qualité sont désormais de simples troncs debout, telles des colonnes d'une antique cité. Les canaux d'irrigation aériens sont défoncés et personne ne songe à les restaurer, faute d'eau. Les propriétaires des palmiers ne sont pas seulement inquiets, ils sont désespérés. Au tribunal de Timimoun, les dossiers cumulent chez le juge d'instruction. Certains cultivateurs passent outre l'interdiction d'utiliser l'eau potable pour l'arrosage. Ils assistent leurs palmiers mourants par des perfusions à l'eau du robinet. Et c'est interdit. Nous sommes, pourtant, dans un contexte social de grande rigueur où la Loi a un sens et les gens respectueux de l'ordre. Et si les juges venaient à appliquer strictement les textes, ils n'y resteraient vraisemblablement plus de places disponibles dans la petite prison du chef-lieu. Que sera l'oasis de Timimoun sans cette tache de verdure disputée à l'Erg et au sel de la sebkha depuis les temps immémoriaux au prix d'efforts surhumains ? C'est la grande question. Pionnier du tourisme thermal saharien à Timimoun, le Dr Boulbina a fermé son cabinet dans la capitale pour s'investir dans un projet qui surgit miraculeusement des sables avec les moyens du bord. « Les banques ne prêtent qu'aux riches et les riches se reconnaissent souvent au déficit dans les idées et leur cupidité. » Désabusé mais pas découragé, il résume ainsi ce qu'il pense être la politique des investissements pour la promotion du tourisme au Sahara. Boulbina, comme on l'appelle familièrement ici, est très connu pour avoir imposé Timimoun comme site d'accueil pour des rencontres scientifiques. À court terme, il envisage l'avenir sous l'aspect d'une gravité exceptionnelle. Il estime qu'au-delà du facteur strictement économique dont on peut évaluer le prix en termes de production agricole, la mort de cet espace de verdure visible du ciel annonce « la clochardisation d'une cité réputée à l'échelle mondiale ». En effet, dit-il, cette oasis adoptée pour son charme et ses particularités culturelles par Mouloud Mammeri est un lieu magique pour une quantité de spécialistes de l'histoire naturelle, de la paléontologie, de la préhistoire et de l'ethnologie. Elle est surtout un lieu d'évasion unique qui offre l'un des derniers paradis sur terre à l'état naturel depuis la Création. Il pense que cette ville peut accéder au statut de capitale du tourisme saharien. Il nous rappelle que l'hôtel l'Oasis Rouge a été la première réalisation du genre de tous les déserts du monde. Il est vrai que le site de Timimoun et son chapelet de Ksour offre cette exceptionnelle possibilité de permettre à l'homme d'aujourd'hui de fouler du pied des espaces inviolés depuis les premiers âges de la vie sur terre. L'étendue de la catastrophe écologique qui s'annonce dépasse les compétences des fellahs et les moyens traditionnels. Les propriétaires de la palmeraie sont catégoriques : l'ère de la fougara appartient désormais au passé. C'est un vestige des temps anciens où il fallait extraire l'eau de la nappe albienne par l'acheminement de galeries relayées par des cheminées d'accès. Ce système ingénieux venu de la lointaine Mésopotamie, il y a un millier d'années, nécessite un travail régulier d'entretien, notamment le curage périodique et son lot de drames. Les ouvriers prenaient un risque mortel de pénétrer dans les boyaux souterrains pour faire remonter manuellement des tonnes de boue. Les accidents étaient courants. Les victimes avaient le statut envié de « chahid » sacrifiés au profit de la communauté. Aujourd'hui, pour dégager une galerie envasée, il n'y a plus aucun volontaire, même pour 1000 DA par jour. Alors, la disparition de la palmeraie de Timimoun est-elle une fatalité ? Au loin, des véhicules tout-terrains de la recherche pétrolière sillonnent inlassablement la Sebkha à la recherche d'indices. Il nous répond par une métaphore : « Quand une mère ne peut plus allaiter son nouveau-né, elle ne le laisse pas mourir de faim. C'est un crime. Elle lui donne du lait artificiel ! » Je lui demande de préciser sa pensée. « C'est toujours l'eau, dit-il. Mais elle n'est pas à la portée de nos pioches. J'ai vu à la télévision que les Libyens aspiraient l'eau du Sahara à de grandes profondeurs » ajoute-il avec un air faussement naïf. Il nous fait comprendre finalement que le problème relève d'une volonté qui dépasse le niveau local de compétence hydraulique : seul l'Etat peut décider de la vie ou de la mort de cette palmeraie.

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