Le clivage était devenu flagrant lors de l'attaque du complexe gazier de Tigentourine. Les médias algériens ou étrangers semblaient ne plus savoir s'il fallait prononcer «In Amenas» ou «Aïn Amenas». Les médias avaient tranché la question en réservant le In Amenas pour les francophones et Aïn Amenas pour les arabophones. Au-delà d'une simple hésitation, cette question de dénomination est, pour le chercheur en anthroponymie, Farid Benramdane, une affaire sérieuse liée à la négation du substrat historico-linguistique, une incohérence autour des toponymes locaux. Le nom est défiguré de plusieurs manières : In, Aïn, Aîn, Aine, Aïne, Aîne et Amenas, Aménas, Oum Menas… Cela dénote surtout la méconnaissance de la langue. Le fait est que Aïn et In sont deux unités linguistiques de langues et de sens totalement différents. «Aïn», en arabe, désignant source d'au et In en amazigh signifiant «celui de» (qui devient Tin au féminin comme Tin Hinan). Amenas est ainsi un vocable targui qui veut dire «lieu de repos». Ces altérations des écritures est visible, y compris dans les documents officiels. Rien que pour le «Aïn», commun à plusieurs dénominations en Algérie, pas moins de onze formes ont été relevées sur des documents officiels algériens : Ain/ Aine/ Aîn/ Aïen/ Aioun/ Aïoun/ Layoune/ Aouïnet/ Aien/ Aouinettes/ Aouinet. «La toponymie d'un sous-continent (le nord de l'Afrique) de souche berbère est confondue avec l'arabe, voire niée par une démarche institutionnelle de type jacobin. Cette négation, fruit d'un refoulé historique, nous rappelle à l'ordre, de quelle manière et à quel prix ! La confusion, par un phénomène d'attraction linguistique (In/Ain), de manière consciente et/ou inconsciente, peut faire déplacer des troupes militaires à des milliers de kilomètres du point indiqué», écrit Farid Benramdane. Si nous faisons un rapide état des lieux de l'écriture des noms de lieux en Algérie et/ou au Maghreb, on se heurtera d'emblée à une absence de transcription ou de translittération uniforme des caractères arabes en caractères latins et, tôt ou tard, pour le tamazight. La variation dans l'écriture d'un même nom a atteint des niveaux insoupçonnés dans notre région. Sur un corpus de plus de 20012 toponymes, nous avons obtenu les résultats suivants : le nombre d'écritures pour un même nom de lieu est le suivant : plus de la moitié de la nomenclature toponymique en Algérie a plus de deux formes orthographiques pour un même lieu, exactement 52,53%. Les autres pratiques se déclinent ainsi : 3 orthographes, 18,4% ; 4 écritures, 10,78% ; 5 écritures, 6,37% ; 6 écritures, 3,75% ; 7 écritures, 2,38% ; 8 écritures, 2,03% ; 9 écritures, 1,07% ; 10 écritures, 0,71% ; 11 écritures, 0,48% ; 12 écritures, 0,77% ; 13 orthographes, 0,24% ; 14 orthographes, 0,42% ; 17 orthographes, 0,06%. A cela s'ajoute le cas particulier du Maghreb, dans lequel il est possible de trouver une toponymie de souche berbère et de souche arabe. «La tradition graphique dans la langue de l'ancienne puissance coloniale est encore prégnante dans les usages cartographiques, avec les mêmes présupposés historiques et idéologiques de départ, auxquels il faut ajouter les expériences nationales, réussies ou avortées, de tentatives d'application, à des échelles différentes, des systèmes de normalisation, comme celui de l'Algérie en 1980», précise Farid Benramdane. Il ajoute : «On ne peut faire abstraction d'un tel degré de généralisation 'fautive' sans s'interroger et interroger les probables et possibles explications d'un mode d'intervention n'établissant finalement aucune règle dans la procédure de mise en place d'un usage normalisé d'écriture des noms propres algériens (c'est aussi le cas de l'état civil). La numérisation de ce fonds onomastique (ou noms propres) donne une dimension exponentielle à ce déficit structurel. Ce dernier rappelle une réalité intangible, celle, entre autres, de la dimension stratégique de la matrice ethnolinguistique dans la pérennité des faits de culture et de société dans notre pays.»