Les Américains pensent à leur guerre en Irak, mais tout semble indiquer que le devenir de ce dernier n'est même pas évoqué. Depuis hier, les plus hautes autorités US ont entre leurs mains une série de recommandations, et en tête un constat sans appel, celui du tout nouveau patron du Pentagone qui assénait mardi que l'Amérique n'était pas en train de gagner la guerre. Ce qui lui a valu les applaudissements de plusieurs sénateurs démocrates. Ces derniers déclarant avoir apprécié la « franchise » du successeur de Donald Rumsfeld à la tête du Pentagone. « Merci pour votre franchise, c'est quelque chose qui faisait douloureusement défaut à mon prédécesseur », a déclaré la sénatrice démocrate Hillary Clinton lors d'une audition de M. Gates à la commission des Forces armées du Sénat. « J'apprécie votre franchise, votre ouverture d'esprit et votre réalisme », a renchéri Evan Bayh, comme Mme Clinton un candidat probable à la présidentielle américaine en 2008. « Ce que nous avons entendu ce matin, c'est une bouffée de réalisme honnête et franc sur la situation en Irak (...), et d'après ce que nous avons entendu, la présence de M. Gates (dans l'Administration Bush) apporterait une nouvelle dimension importante aux délibérations de l'administration sur la façon de procéder en Irak », a déclaré pour sa part Carl Levin qui, à partir de janvier, présidera la commission. Toutefois, le Congrès américain est divisé sur ce qu'il faut faire en Irak, entre ceux qui préconisent un retrait de ce pays et ceux qui réclament plus de troupes mais tous s'accordent sur un point : la nature « périlleuse » du conflit. Peu avant la publication du rapport du Groupe d'études sur l'Irak sur la stratégie américaine dans ce pays, ces parlementaires ont montré des positions très variées lors d'une audition de Robert Gates. Certains veulent renforcer les forces américaines sur le terrain, d'autres arrêter les frais et se retirer. John Warner, le président républicain sortant de la commission des Forces armées, a appelé M. Gates à se montrer « intrépide » dans l'exercice de ses fonctions. « Malheureusement, le niveau de la violence a continué son escalade en Irak, et la capacité du Premier ministre (Nouri al Maliki) et de son gouvernement pour exercer la pleine souveraineté (de l'Irak) reste un gigantesque défi », a ajouté M. Warner, souhaitant « bonne chance » à M. Gates. Le républicain Lindsey Graham, un proche de l'influent John McCain qui depuis le début de la guerre réclame des effectifs plus importants, a mis en garde contre les conséquences d'un retrait à date fixe. « Si nous fixions un calendrier, ou l'objectif d'un retrait à date fixe, cela serait perçu comme un signe de faiblesse par les extrémistes, les modérés seraient découragés, et cela gênerait terriblement les forces de la modération en Irak », a assuré M. Graham. Le républicain a été l'un des élus à énumérer les faux-pas commis jusqu'à présent en Irak, n'hésitant pas à évoquer « le misérable échec » de la formation de la police irakienne. « Nous avons échoué jusqu'à présent à sécuriser le pays et à vaincre l'insurrection, nous avons échoué à désarmer les milices et à créer une armée ou une police irakiennes viables, et nous avons échoué à reconstruire l'infrastructure économique du pays et à fournir des emplois à une majorité d'Irakiens », a encore énuméré M. Levin. M. Reed, sénateur démocrate a préféré évoquer « un conflit existentiel ». « Les sunnites estiment qu'il leur revient de gouverner. Les chiites se rappellent des années — peut-être des siècles — de répression, et craignent jusque dans leur os d'être supprimés — détruits, plutôt — s'ils renoncent au pouvoir », a résumé M. Reed. La majorité démocrate, élue le 7 novembre, prendra les commandes du Congrès en janvier prochain. Le président américain a d'avance fait valoir qu'il n'était pas dans l'obligation d'appliquer les recommandations de la commission Baker, et rappelé qu'il avait commandé d'autres études au Pentagone et à son Conseil de sécurité nationale. Sa défaite électorale en novembre et le désarroi de l'opinion américaine devant la dégradation quotidienne de la situation en Irak devraient toutefois l'inciter à tenir compte de ce rapport. Une décision présidentielle sur la politique à mener en Irak est attendue dans les semaines à venir, selon la Maison-Blanche. George W. Bush, qui avait affirmé le 25 octobre que les Etats-Unis étaient « en train de gagner » en Irak, a indiqué samedi qu'il était à la recherche d'un consensus sur un changement de stratégie. De quoi alors vont hériter les Irakiens ? On dit déjà d'eux qu'ils ont un gouvernement mais pas d'Etat. C'est là certainement la vision la moins pessimiste, car celle qui la suit n'exclut pas l'éclatement de l'Irak.