La seule réaction — indirecte — officielle à la grève de la faim de la directrice du quotidien arabophone El Fadjr, Hazem Hadda, entamée lundi est venue hier du ministre de la Communication, Djamal Kaouane, lors de sa visite dans la wilaya de Béchar. «La presse est libre» et le chantage à la publicité dénoncé par des éditeurs est un faux procès, a laissé entendre le ministre, estimant que les difficultés financières que rencontre les médias sont dues à la raréfaction des ressources publicitaires et à des problèmes de gestion des entreprises de presse. Les titres blacklistés par le pouvoir, interdits de publicité institutionnelle, vivent pourtant cette cruelle réalité au quotidien, que l'on peut aisément vérifier au demeurant en parcourant les journaux et les autres médias électroniques et audiovisuels, où il apparaît clairement que c'est à l'aune de la ligne éditoriale que les espaces publicitaires sont répartis par l'Anep, détenteur du monopole de l'Etat sur la publicité. Les niveaux de tirage et des ventes n'ont jamais constitué des critères économiques déterminants dans l'élaboration et l'affectation des budgets publicitaires institutionnels. On a bien vu d'ailleurs le traitement réservé à la grève de la faim de la directrice d'El Fadjr par la presse publique et privée, bien qu'il ne faille pas s'attendre à l'impossible de la part des médias étatiques. L'événement n'a été rapporté et commenté que par deux ou trois titres. Il a été zappé même par des titres de la presse privée, voire par des journaux qui n'avaient auparavant jamais été pris en défaut lorsque la liberté de la presse était menacée et que la vie de confrères était en danger. Il faut dire que cette attitude de démobilisation, de désengagement — le terme est plus approprié — avait déjà été relevée avec l'affaire tragique de la grève de la faim du journaliste feu Mohamed Tamalt, mort en prison. Quelque part, la corporation a une part de responsabilité dans la tournure dramatique prise par cet événement pour n'avoir pas soutenu avec force notre confrère et dépassé les divergences et les calculs étroits qui traversent la presse nationale. Cet épisode tragique ne semble pas avoir été médité. Le souci de ne pas fâcher le pouvoir et de préserver des privilèges acquis ne sont certainement pas étrangers au déficit de solidarité qui anime la corporation. Ni la menace de disparition d'un titre ni la vie d'un confrère ou d'une consœur, pour rester dans l'actualité, n'offrent des raisons d'espérer un hypothétique réveil des consciences. Connue et respectée pour son courage et son combat pour la liberté de la presse et toutes les libertés, pour son tempérament de femme des médias qui ne marchande pas ses idées et convictions, le sort de notre consœur inspire de fortes inquiétudes. Déterminée à aller au bout de ses revendications en exigeant justice et transparence dans la gestion de la publicité institutionnelle et la levée de l'embargo qui pèse sur son journal, Mme Hazem n'ignore pas les graves risques qu'elle prend, la mort dans l'âme, car étant diabétique et hypertendue. Ni le pari (fou) qu'elle engage en défiant un pouvoir aphone, hostile et imperméable aux idées qu'elle porte. Sur un plan professionnel, la démobilisation et la division des rangs de la presse ne sont pas de nature à apporter du baume au cœur. De la même façon, la classe politique ne semble pas faire de cet événement ses choux gras. La course électorale pour des sièges dans les collectivités locales vaut mieux que la vie d'une journaliste ! Dans ce bras de fer inégal, il faut espérer que la sagesse l'emporte et qu'une solution soit rapidement trouvée à cet appel de détresse de notre consœur afin d'éviter l'irréparable, un autre homicide dont personne ne sortira victorieux et grandi.