Avant 1962… Au tout début du siècle dernier, deux faits majeurs ont marqué l'histoire de la législation du travail en Algérie. Il s'agit de l'application à l'Algérie de la législation du travail française et la création du service de l'Inspection du travail par l'article 7 du décret du 05 janvier de 1909. Mais c'est à partir de 1915 que la majeure partie des dispositions de la législation du travail française fut étendue à l'Algérie avec certaines modifications. Le premier décret étant celui du 19 janvier 1915 rendant exécutoires en Algérie les dispositions du livre I du code français du travail et de la prévoyance sociale, le second étant celui du décret n° 192 du 15 janvier 1921 portant application à l'Algérie du livre II du code français du travail et de la prévoyance sociale sous quelques réserves énumérées. Il faut distinguer deux périodes cruciales dans l'évolution de la législation du travail en Algérie d'avant 1962. La première s'étale de l'an 1900 jusqu'à la promulgation de la loi portant statut organique de l'Algérie consacrant la déconcentration des pouvoirs de la France coloniale à l'Algérie en 1947. La loi fut débattue par l'Assemblée nationale métropolitaine dans un contexte de refonte constitutionnelle, de revendications nationalistes et des prémices de la guerre d'Algérie. Cette première période se caractérisait par l'extension à l'Algérie de la législation du travail française avec certaines modifications. Les premiers textes concernaient notamment les travaux interdits aux femmes et aux enfants, l'introduction du repos hebdomadaire en 1927, l'extension de l'application des dispositions en matière d'hygiène et de sécurité en 1935, le régime des heures supplémentaires en 1937, le livre de paie en 1941 et la sécurité des ouvriers mineurs en 1946. La deuxième période, qui s'étale de 1947 jusqu'à l'indépendance du pays en 1962, peut être scindée en deux phases distinctes : la première étant celle allant jusqu'en 1956 et caractérisée par le déclenchement de la Révolution algérienne en 1954 et la dissolution de l'Assemblée algérienne en 1956. Cette phase est marquée par une timide prise en charge, sur le plan législatif, des préoccupations du monde du travail avec l'introduction des dispositions relatives aux conditions d'application à l'Algérie des conventions collectives du travail en 1947, l'organisation d'un système de sécurité sociale en 1949, les dispositions de prévention contre les risques d'exposition et manipulation entre 1950 et 1953 et l'institution pour la première fois en Algérie d'un organisme de prévention du bâtiment et des travaux publics en 1954. La deuxième et dernière phase est celle qui s'étale à l'indépendance du pays. Elle est caractérisée tout d'abord par quelques textes édités à l'exemple des tentatives de récupération par les autorités coloniales à travers les revalorisations salariales absorbées par la cadence des événements et rappelant le soutien indéfectible des ouvriers algériens à la cause nationale, qui portait désormais non seulement une dimension de lutte sociale mais aussi de lutte politique. Après l'indépendance du pays… A- L'encouragement de la qualification et la valorisation du travail : une condition sine qua non… Après avoir acquis son indépendance, l'Algérie a donc hérité un lourd fardeau et c'est à partir de cette situation que notre pays a procédé graduellement à supprimer toute empreinte d'une dépendance à la France et d'imposer «une législation algérienne, nationale et authentique». En 1962, faute d'une législation algérienne qu'on n'avait pas le temps d'écrire, il a été procédé tout d'abord à la reconduction de toute la législation antérieure à l'indépendance, sauf dans ses dispositions contraires à la souveraineté nationale, intérieure et extérieure de l'Etat algérien, ou d'inspiration coloniale ou de nature discriminatoire. Bien avant cette reconduction et pour réaffirmer l'encouragement de la qualification et la valorisation du travail, condition sine qua non pour la propulsion d'un pays jeune, les premières instances de l'Algérie indépendante ont promulgué le premier texte portant création de l'Office national de la main-d'œuvre (Onamo). Cet organisme avait l'exclusivité du placement des travailleurs, que ces derniers sont tenus de s'inscrire à ses services les plus proches. Les mairies, acteurs principaux dans les nouvelles orientations de l'après-indépendance, étaient tenues de contribuer dans cette nouvelle politique de placement en assurant le relais des services de l'Onamo pour les régions où son implantation était inexistante. Le deuxième fait majeur, caractérisant l'évolution de la législation du travail de l'Algérie, est la ratification, trois mois seulement après l'indépendance, précisément le 19 octobre 1962, de 47 Conventions internationales de l'Organisation internationale du travail (OIT), dont déjà à l'époque, six des huit Conventions dites fondamentales, deux sur les quatre Conventions de gouvernance dites prioritaires et 39 sur les 177 Conventions techniques. Ces Conventions ratifiées constitueront au plus tard le socle sur lequel repose les lois sociales en Algérie et constitueront une source importante du droit du travail algérien. Des balbutiements et une recherche tous azimuts caractérisaient le climat de réorganisation du monde du travail dans les premières années de souveraineté, c'est normal pour un jeune pays en quête de remédier à une situation héritée après plus de 130 années de colonisation. Notre pays se trouvait alors confronté à un triple problème, il s'agit du départ en masse des corps de soutien…, les entreprises se voient dépourvues de gestionnaires en plus de leur situation financière précaire…, s'ajoutait à cela une situation de précarité dans l'emploi jamais égalée due notamment aux déplacements des populations. Les premières tentatives concernaient deux points essentiels des conditions de travail. Il s'agit de la révision graduelle du système de rémunération dans l'optique d'une mobilisation plus accrue de l'ensemble des travailleurs et leur intégration dans les circuits actifs d'une économie faisant ses premiers pas. Le deuxième point important, indissociable, concernait la réorganisation du système de sécurité sociale, par l'abrogation de quelques dispositions relatives à l'organisation de ce système en Algérie introduites depuis 1949. L'année 1964, et en plus de la création de l'Institut national de la santé publique, a vu également la création de la Caisse nationale de sécurité sociale interpellée par la suite et à chaque occasion dans tout le processus lié à l'organisation de la santé et la sécurité sociale en Algérie post-indépendance en général, et dans la prévention et la réparation liées aux accidents de travail et aux maladies professionnelles en particulier. B- Réforme de l'administration du travail et celle de la Fonction publique : une priorité… Cet enchaînement d'événements aboutit à la révision de l'organisation de l'administration du ministère chargé du Travail en adaptant son fonctionnement aux exigences nouvelles du monde du travail et en lui conférant plus de responsabilités, de missions et d'attributions liées notamment aux questions relatives aux conditions de travail (contrats, durée de travail, salaires, congés, hygiène et sécurité, etc.), aux syndicats professionnels, à la représentation des travailleurs au sein de l'entreprise, à la médecine du travail, à l'emploi (contrôle de l'emploi, placement, chômage, mouvements de main-d'œuvre, main-d'œuvre étrangère, etc.) et à la politique de formation professionnelle des adultes. Il était chargé également d'assurer la mise sur pied d'un programme d'éducation ouvrière tendant à la promotion sociale des travailleurs. Cette réorganisation de l'administration du ministère du Travail a été vite complétée trois mois après, par l'introduction d'une disposition mettant sous sa tutelle les services de sécurité sociale. Autre point essentiel dans l'accompagnement du processus des réformes liées au monde du travail est la réforme de la Fonction publique, qui n'étant pratiquement ouverte qu'aux Français avant l'indépendance, bénéficiant d'un statut particulier, aménagé dans certains cas en fonction des contingences politiques. Ce secteur, comme d'autres, a été bouleversé dès l'accession de notre pays à l'indépendance faute de temps, de candidats et du niveau d'instruction requis permettant de faire fonctionner normalement les services. Cette situation présentait alors un double aspect : instabilité juridique d'une part, et instabilité fonctionnelle, d'autre part, d'où l'urgence d'y mettre fin en organisant des structures administratives valables et en formant aussi bien et autant que possible les cadres chargés de les animer. Ainsi, un texte fondateur portant statut général de la Fonction publique a été adopté, fixant les principes fondamentaux qui, d'une part, affermissaient les droits et les devoirs attachés à la qualité de fonctionnaire, et d'autre part, déterminaient toutes les modalités de recrutement. Après la réforme de l'administration du travail et celle de la Fonction publique, le temps était venu pour se pencher sur la question de veiller à l'application de la législation et de la réglementation du travail. A ce titre et juste après avoir procédé en mai 1966 à la ratification d'amendements à la constitution de l'Organisation internationale du travail et conformément aux directives de la Convention internationale n° 81 sur l'Inspection du travail ratifiée par l'Algérie, une réorganisation de l'Inspection du travail s'imposait plus que jamais. Et pour cela, il a été procédé en premier à l'unification de la tutelle des corps de contrôle dans le domaine de la législation et la réglementation du travail, devenus désormais sous la tutelle exclusive du ministère du Travail et le corps de l'inspection du travail et de la main-d'œuvre prend alors le nom d'Inspection du travail, devenue seule habilitée à veiller à l'application de la législation et de la réglementation du travail dans toutes les entreprises quel qu'en soit l'objet ou la forme juridique, à l'exception de celles dont le personnel est soumis au statut général de la Fonction publique. C- Le système de planification : un ordre nouveau… Les années 170 se sont amorcées par un processus de construction des bases matérielles du socialisme édictées par les dispositions de la Révolution agraire et de la Charte de l'organisation socialiste des entreprises. Un ordre nouveau régi par un système de planification que l'Algérie a entamé désormais. Cette nouvelle option réaffirmait les principes fondamentaux de justice sociale et de l'équivalence des rémunérations en rapport avec l'équivalence du travail fourni. Le secteur privé, secteur reconnu et intégré dans la nouvelle organisation sociale, avait fait lui aussi l'objet d'un encadrement des rapports collectifs de travail, une meilleure clarté dans les rapports individuels du travail, la formation professionnelle et réglementation de l'emploi, la rémunération des travailleurs et les conditions générales de travail. D- Création d'organismes spécialisés… Ces transformations ont contribué dans la même année à la création, et pour la première fois dans l'histoire de l'Algérie indépendante, d'un organisme spécialisé ayant pour mission d'entreprendre toute activité concernant l'hygiène et la sécurité dans le travail, il s'agit de l'Institut national d'hygiène et de sécurité (INHS). Cet institut, doté plus tard d'une unité de recherche en hygiène et sécurité industrielle, avait pour mission notamment d'effectuer toutes les études techniques, scientifiques et d'encourager tous les travaux de recherche, de procéder à des essais et à des expériences, de centraliser et de mettre à jour toutes les informations et documentation se rapportant aux recherches effectuées dans le domaine de l'hygiène et de la sécurité des travailleurs et d'en assurer leur publication, d'émettre des avis ou sur toutes les mesures à prendre d'ordre légal ou de toute autre nature, notamment en matière d'homologation de machines et d'utilisation de substances dangereuses, d'entreprendre toute action d'information sur les mesures et les méthodes de prévention et enfin de promouvoir toute action de formation et de perfectionnement en matière d'hygiène et de sécurité. L'étendue de la législation au domaine de l'hygiène et sécurité interpellait la logique de la réorganisation des services médicaux du travail opérée dans la même année (1972), modifiant ainsi quelques dispositions en la matière encore en vigueur depuis 1957, sommant par la même les médecins du travail de préciser dans chaque cas qui se présentait à leur niveau si les examens complémentaires ont été effectués dans le cadre de la prévention des maladies professionnelles ou de la recherche des états pathologiques. Dans le même ordre d'idées, la réorganisation de la médecine du travail s'imposait plus que jamais, et c'est ainsi que l'année 1974 a vu la création d'un Organisme national regroupant tous les services inter-entreprises de médecine du travail (Onimet). Dans le même sillage, il a été procédé à l'introduction d'une manière obligatoire de la commission d'hygiène et de sécurité au sein de l'entreprise ou de l'unité qui s'assurait de l'application des normes réglementaires d'hygiène et de sécurité et suggérait toutes les améliorations jugées souhaitables. Elle avait, en outre, un rôle de formation du personnel en matière de prévention. Après l'INHS et l'Onimet, la législation du travail s'est renforcée par un Institut de formation référent dans les domaines se rapportant au monde du travail en l'occurrence l'Institut national du travail (INT) ayant pour mission notamment de réaliser les études et enquêtes se rapportant aux relations socioprofessionnelles, aux conditions générales de travail, à l'emploi, aux salaires et aux prix, à la consommation des ménages, d'assister les organismes publics et les entreprises dans l'élaboration et la mise en œuvre des règles édictées par la législation et la réglementation du travail, d'assurer les actions de formation, de perfectionnement et de recyclage. E- Le salaire national minimum garanti : assurer un minimum vital… Un autre aspect essentiel marquant l'évolution de la législation du travail est la réglementation liée au salaire national minimum garanti. Après l'indépendance de notre pays, et dans l'attente d'une mise en ordre pour l'installation de la commission supérieure des conventions collectives, chargée d'étudier la composition d'un budget type servant à la détermination du salaire minimum national interprofessionnel garanti, il a été procédé pour la première fois et à titre exceptionnel à la majoration du salaire minimum national interprofessionnel garanti prenant effet à compter du 1er avril 1963. En effet, une autre notion se rapportant au salaire minimum a fait son apparition durant la période coloniale et reconduite après l'indépendance du pays. Il s'agit du Salaire minimum agricole garanti (SMAG) qui s'appliquait au secteur de l'agriculture et qui a connu au fil des années plusieurs revalorisations puis son alignement sur l'ensemble du territoire national supprimant ainsi le critère géographique aperçu comme discriminatoire. En 1974, et à la faveur de l'unification des zones de salaires et la loi relative au statut général du travailleur (SGT), le salaire national minimum garanti (SNMG) à été institué pour la première fois, tout en unifiant tous les secteurs sans différenciation garantissant ainsi à tous les travailleurs de l'un ou l'autre sexe, du secteur agricole ou non agricole, public, privé ou autogéré, le même SNMG. F- L'apprentissage : mode de formation… Un autre domaine lié étroitement au monde du travail a vu, quant à lui, naissance en 1975, il s'agit de l'apprentissage, un mode de formation qualifié par beaucoup comme répondant le plus à la demande économique et sociale du pays et le moins coûteux et le plus adapté aux besoins et à la réalité de l'entreprise prenant naissance à partir de l'existence d'un poste de travail et se déroulant en milieu professionnel réel. Sa particularité réside essentiellement dans l'implication partagée de deux partenaires, dans la réalisation de l'acte de formation, à savoir l'établissement de formation professionnelle pour assurer la formation théorique et technologique complémentaire et l'organisme employeur pour la formation pratique. Durant les années précédant la promulgation de la loi sur l'apprentissage, les pouvoirs publics avaient déjà senti l'urgence de la mise en œuvre de mesures pour faire face aux besoins de formation grandissant. L'ampleur de ces besoins et l'insuffisance des structures de formation faisaient qu'il était impérieux d'identifier et d'organiser de nouvelles formes de formation qui, non seulement, augmenteraient les capacités de prise en charge du système national de formation, mais qui permettraient également l'utilisation rationnelle et optimale de toutes les potentialités de formation que recelait l'économie nationale. C'est l'ordonnance n°75-31 du 21 avril 1975, qui consacra pour la première fois la formation par apprentissage. Mais ce texte a eu le mérite de mettre les premières bases pour la promulgation six années plus tard en 1981 de la loi 81-07 du 27 juin 1981, relative à l'apprentissage en vigueur qui a connu une ascension significative grâce d'une part à l'adhésion des employeurs et d'autre part l'intéressement des jeunes candidats à la formation. G- Le statut général du travailleur : une plate-forme pour la configuration future du monde du travail… Les années 1970 se sont soldées par la parution du Statut général du travailleur (SGT), instituant des règles statutaires communes à tous les travailleurs assurant les droits du travailleur ainsi que les devoirs auxquels il est soumis, et ce, quel que soit le secteur auquel il appartient. Ce statut, constituant une plate-forme pour la configuration future du monde du travail, régit les conditions et modalités de recrutement, la durée du travail, les absences, les congés, le règlement intérieur, la conciliation et les différents recours possibles ainsi que la cessation de la relation de travail, la définition et la cotation des postes de travail, la rémunération du travail, les stimulants collectifs et participation aux résultats et enfin la formation et la protection sociale. I- L'emploi de la main-d'œuvre étrangère : La législation régissant les conditions d'emploi des étrangers a eu son lot d'encadrement au tout début des années 180, par la loi n° 81-10 relative aux conditions d'emploi des travailleurs étrangers. Les dispositions concernant l'emploi de la main-d'œuvre en Algérie trouvaient particulièrement leur raison d'être avec l'installation dans le pays d'entreprises étrangères réalisant des projets pour le compte de l'Etat. Cet arsenal législatif concernait aussi bien les secteurs économiques publics que privés.