Vrai ou faux ? En tout cas, certains médias français l'ont rapporté : les journalistes qui devaient accompagner Macron dans sa visite de quelques heures en Algérie et auxquels des visas avaient été refusés ont fini par avoir gain de cause grâce, dit-on, à la médiation personnelle du président français. On est allé jusqu'à soutenir que Macron avait fait pression sur les autorités algériennes pour trouver une solution à ce problème, allant jusqu'à suggérer une annulation pure et simple de sa visite si l'interdiction d'entrée n'était pas levée pour ces journalistes. Pouvait-on imaginer un tel scénario désobligeant pour le pouvoir algérien, au moment où l'hôte de l'Algérie faisait tout pour rendre son séjour le plus harmonieux possible, loin de toute tension ? Le fait est là, personne ne l'a inventé, ces journalistes qui bossent pour Le Figaro, Le Monde, Mediapart, Libération et Le Quotidien (télé) auraient finalement réussi à rejoindre la délégation française alors qu'ils étaient marqués au fer rouge en raison de leurs écrits et commentaires très critiques (souvent seulement objectifs) sur l'Algérie. Cette controverse, considérée comme une atteinte à la liberté d'expression de l'autre côté de la Méditerranée, a certes été réglée à l'amiable, mais elle restera, chez nous, comme une concession importante pour ne pas compliquer des rapports déjà très brumeux entre l'Algérie et la France. Il faut dire cependant que ce n'est pas la première fois que les autorités algériennes refusent des visas d'entrée à des journalistes étrangers. C'est même devenu un réflexe presque naturel de déclarer persona non grata tout journaliste qui présente une image peu flatteuse du pouvoir algérien à travers ses multiples centres de décision. Il se trouve que l'interdiction, qui vient de faire les choux gras de la presse hexagonale et qui est tombée à pic pour conforter la version consacrée de «fermeture stalinienne» de l'Algérie que véhiculent les lignes éditoriales de ces médias, s'est attaquée à de gros calibres de la presse française, autrement dit à des titres qui font autorité et qui doivent leur respectabilité et leur crédibilité à la valeur éthique de leur travail. En déniant à ces derniers le droit de venir se confronter avec la réalité politique et économique algérienne, l'espace d'une visite de quelques heures durant laquelle ils ont la possibilité de se faire leur propre opinion sur les sujets d'actualité grâce aux contacts que leur procurera la proximité du président Macron, nos instances nous ont ramenés à une époque que l'ont croyait révolue, alors que le monde, devenu une maison de verre, est en train de changer à une vitesse vertigineuse. Nos incorrigibles censeurs (peut-on les qualifier autrement ?) qui ont la gâchette facile quand ils sont mis devant leurs propres contradictions — refuser des visas reste le faux-fuyant le plus académique pour se donner bonne conscience face aux voix discordantes — oublient que c'est vers ces médias que l'opinion algérienne se tourne pour s'informer sur les vérités que ses dirigeants lui dissimulent. Si, par exemple, l'émission qu'anime Yan Barthes est très suivie lorsqu'elle consacre son sujet sur l'Algérie, c'est bien parce qu'elle donne une autre version des faits qui est généralement plus proche de la réalité. De l'information et rien que de l'information non maquillée — même si parfois elle passe sous l'effet de la dérision — que nos dirigeants, dans leur propension schizophrène à voir le complot partout, assimilent à de la manip', voire à une nuisance volontaire pour salir la réputation du pays. Si la recette a fortement marché durant les années de plomb, elle paraît aujourd'hui tellement ridicule qu'il serait malaisé d'en parler tant elle relève d'une culture ultra-conservatrice et ultra-paternaliste, qui place l'Algérie parmi les pays qui n'ont encore rien compris à l'évolution du monde contemporain. Donc, à quoi bon s'obstiner à vouloir cacher le soleil avec un tamis alors que l'Algérien a aujourd'hui à sa disposition une multitude de sources d'information par voie satellitaire qui lui permettent de faire le tri entre le vrai et le faux. Entre le réel et le factice. Finalement, à bien y réfléchir, cette histoire de visas refusés à des journalistes, puis débloqués par le président français pour montrer son attachement à la liberté d'expression tout en se gardant subtilement de vouloir offenser l'orgueil des dirigeants algériens, pourrait tenir une bonne place dans la chronique des à-côtés de cette visite «de travail et d'amitié» qui, loin des apparats officiels, en comptait quelques-uns très instructifs aussi et qui méritent d'être soulignés pour l'anecdote. Il y a d'abord le «toilettage» classique de la capitale, ou plutôt des artères-vitrines par lesquelles devait transiter le cortège présidentiel, comme au bon vieux temps du socialisme conquérant, où pour faire plaisir à un hôte prestigieux, on doit enlever de sa vue tout ce qui ressemble à un environnement repoussant. C'est ainsi que des trottoirs ont été refaits en un temps record, des murs repeints, des arbustes plantés, et des… terrasses de café arrachées pour des raisons de sécurité. Tout devait être beau, parfait, devant le jeune et fringant président, une façon de l'accueillir qui, là aussi, a sonné autrement, dénaturant ainsi l'âme d'Alger, car derrière le miroir, le paysage est souvent moins superficiel. Il y a ensuite, à la surprise générale, ce rassemblement de quelques dizaines de personnes, mobilisées par on ne sait quel parti ou quelle association, qui se sont massées devant le passage de Macron pour lui crier haut et fort qu'il n'était pas le bienvenu. On imagine que cela n'a pas dû faire plaisir à ce dernier, et surtout dans quelle gêne se sont retrouvés les accompagnateurs algériens devant une manifestation d'hostilité aussi spontanée qui voulait sûrement dire que les Algériens ne sont plus soumis au diktat de l'unanimisme réducteur qui les empêchait de s'exprimer. Il y a enfin la sortie médiatique, le jour de la visite, de l'écrivain Boualem Sansal qui, pour mettre du piquant dans les relations entre les deux pays, écrit dans une tribune libre que «l'Algérie officielle est résolument française». Pour donner du sens à son opinion, qui est loin d'être fortuite, il souligne que cette Algérie qui nous gouverne possède un passeport français, accumule des biens partout en France, fréquente les meilleurs restos, les meilleures écoles, se soigne dans les meilleurs hôpitaux. Que faut-il en penser ? Que le romancier n'a pas tort, évidemment, surtout que ses propos, qui ont faire grincer pas mal de dents, interviennent au moment où une vidéo circule sur les réseaux sociaux montrant la carte de séjour de dix ans octroyée à un ancien ministre qui exigeait la…repentance de la France coloniale. C'est Macron qui doit ici se sentir mal à l'aise.