Le froid glacial de cette fin décembre réduit sensiblement l'activité commerciale à Aïn M'lila, la ville stigmatisée comme étant celle du trabendo et des affaires. Et c'est dans les nombreux cafés maures que se regroupe la population masculine pour échanger et commenter l'actualité. Hier, jour de prière de la djoumouaâ, il était encore question de football et de tifo, car, l'espace d'une semaine, cette ville d'Oum El Bouaghi, dans l'Est algérien (45 kilomètres de Constantine), est devenue une attraction médiatique pour avoir provoqué une crise diplomatique entre l'Algérie et l'Arabie Saoudite. Un «tifogate» qui a fait le tour du monde et qui ne laisse pas indifférent ici, où pourtant on est loin d'avoir deviné les proportions qu'aurait pu atteindre la banderole déployée voilà une semaine au stade des Frères Demmane Debbih. Bref retour en arrière : la décision du président des Etats-Unis, Donald Trump, de transférer l'ambassade américaine à Israël de Tel-Aviv à Jérusalem a fait écho jusqu'aux gradins du stade de Aïn M'lila. Pendant la rencontre pour le compte du championnat national de Ligue 2, vendredi dernier, entre l'équipe de football l'AS Aïn M'lila et celle du GC Mascara, les «tifosi» locaux ont déployé un tifo (animation visuelle) en soutien à la cause palestinienne, affichant les portraits jumelés de Donald Trump et du roi d'Arabie Saoudite, Salmane Ben Abdelaziz, avec en arrière-plan la mosquée d'Al Aqsa, et sur lequel était inscrit en anglais : «Deux faces d'une même pièce», ironisant ainsi sur la compromission supposée du royaume saoudien dans la décision du transfert de l'ambassade américaine à Jérusalem. Le geste ne passera pas inaperçu dans le royaume où l'on considère le «point de vue de Aïn M'lila», relayé de manière virale via les réseaux sociaux, comme un crime de lèse-majesté. La réaction du palais royal saoudien est venue par la voix de son ambassadeur à Alger, Samy Benabdallah Salih, qui a menacé de «riposter» au déploiement du fameux tifo. Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, s'est d'ailleurs empressé mardi dernier de présenter des excuses officielles à l'Arabie Saoudite, alors qu'une rencontre entre le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, et le président du Madjliss Echoura de l'Arabie Saoudite a été organisée jeudi passé à la résidence du président à Zéralda. Tayeb Louh, le ministre de la Justice, a parlé, quant à lui, d'un acte isolé de la part de quelques supporters qui ont tenu à exprimer leur soutien à la cause palestinienne. «Ouyahia ne représente que lui-même» Au café «Tinda», mitoyen du siège de l'Asam (club né en 1933, donc aussi vieux que le royaume des Ibn Saoud), les citoyens ne s'expliquent pas ces réactions, et surtout les retombées qui touchent leur ville. Nous avons en effet appris avant-hier, auprès de jeunes attablés à ce café, qu'un groupe d'une vingtaine de supporters de l'Asam, âgés entre 19 et 30 ans, ont été convoqués par la police et entendus dans le cadre d'une enquête sur leur banderole. Une action qui n'a pas été du goût des habitants de la ville, s'accorde-t-on à dire. Ces jeunes, rencontrés dans ce café du centre-ville, nous ont affirmé à ce propos qu'ils n'avaient cure des excuses d'Ahmed Ouyahia, lequel, selon eux, ne représente que lui-même, estimant que les supporters du club avaient agi, en déroulant cette banderole, pour exprimer leur solidarité avec la cause palestinienne. «Dans notre esprit, la collusion entre l'Arabie Saoudite et les Etats-Unis ne fait aucun doute. Si les princes saoudiens ont trouvé ce tifo inacceptable, c'est justement parce qu'ils refusent d'accepter la réalité de ce pays, à savoir son ‘‘à-plat-ventrisme'' devant les Etats-Unis et sa position ambiguë à l'égard d'Israël qui s'est traduite par l'abandon d'Al Qods à l'entité sioniste», nous dit Rabah, qui résume les interventions de ses amis. Tous ceux interrogés par El Watan, jeunes ou vieux, et ils étaient nombreux, ont persisté dans la position exprimée sur le tifo. Tous, sauf un peut-être. En effet, nous avons rencontré une voix qui a trouvé le geste des supporters déplacé. Un geste qui, estime Amir, notre jeune interlocuteur, pourrait causer du tort à… l'équipe locale dans sa course à l'accession en Ligue 1 ! Nous avons appris aussi que la police a convoqué les dirigeants du club pour les sommer de faire profil bas et éviter de parler aux médias. D'ailleurs, le siège du club était fermé hier. Nous avons cependant pu interroger l'un de ses dirigeants qui nous a d'ailleurs appris que le club a été sanctionné par la Ligue nationale de football suite au déploiement par les supporters du tifo en question. Le club devra jouer ses deux prochains matchs de championnat à huis clos, en plus de la délocalisation de la rencontre de coupe, qui doit se tenir la semaine prochaine au stade d'El Khroub. Une décision que les dirigeants estiment disproportionnée par rapport au geste des jeunes supporters de l'Asam, en regrettant que cette affaire ait pris de telles proportions. Notons, par ailleurs, que les rumeurs ayant agité la rue à Aïn M'lila, selon lesquelles le chef de sûreté de daïra de la ville et le chef de sûreté de wilaya de Oum El Bouaghi auraient été suspendus de leurs fonctions suite à l'affaire du tifo, rien ne permet jusqu'à l'heure de l'affirmer avec certitude.