Ayant quitté le pays pour des cieux qui leur paraissaient « plus cléments », certains émigrés algériens ont réussi à créer leur propre entreprise. Une étude réalisée par Mohamed Daoudi, sociologue et chercheur au Centre français de recherches scientifiques (CNRS) pour le compte du Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread), dresse leur portrait.Des entrepreneurs algériens émigrés investissent en Algérie. C'est en tout cas ce qui ressort d'une étude parue tout récemment dans un ouvrage collectif du Cread intitulé "Les Maghrébins dans la migration internationale". Mohamed Daoudi, ayant collaboré à cet ouvrage, observe que beaucoup d'émigrés algériens ont gardé une certaine nostalgie de leur pays d'origine et ont songé à y investir d'importantes sommes. Il faut savoir, à cet effet, que rien qu'en France, environ 15.000 entreprises sont créées chaque année par des personnes d'origine immigrée, ce qui représente environ 7% des créations d'entreprises dans ce pays. La création d'entreprise, souligne l'étude, est pour les immigrés d'origine maghrébine à la fois un moyen de créer son propre emploi (dans un contexte, indique-t-on, marqué par la discrimination à l'embauche) ainsi que de s'affirmer comme un acteur économique à part entière. "Qu'ils soient nés ou arrivés à l'âge adulte en France, certains immigrés considèrent comme un devoir d'aider les membres de leurs familles restés au pays à créer, à leur tour, des petites entreprises", affirme M. Daoudi dans l'étude. L'enquête réalisée par le CNRS démontre que sur les 25 entrepreneurs interrogés, 12 d'entre eux, soit près de la moitié de l'échantillon (6 Algériens, 4 Marocains et 2 Tunisiens), ont crée dans leur village ou leur région d'origine une entreprise. Quoique l'échantillon des personnes interrogées est assez mince, cette enquête amène à s'interroger sur le poids et l'impact, réels ou supposés, des entreprises crées par les immigrés sur la création d'emploi et de l'activité indépendante en Algérie. L'entreprise deviendrait-elle un moyen d'expression de la solidarité familiale ou mode de promotion sociale ? Mohamed Daoudi remarque, à ce propos, que les régions de Béjaïa en Kabylie, de Sousse au Maroc ou de Sfax en Tunisie font aujourd'hui partie des quelques régions maghrébines où l'on crée le plus de Très petites entreprises (TPE) et des Petites et moyennes entreprises (PME) et qui connaissent un dynamisme économique remarquable grâce à l'apport du capital migrant. Une autre enquête sur la création d'entreprise en Algérie et tout particulièrement en Kabylie réalisée ces deux dernières années par le Conservatoire français des arts et des métiers (Cnam) a axé ses recherches sur les émigrés qui investissent en Algérie via les membres de leurs familles". Le transfert de devises sert non seulement à satisfaire les besoins de consommation de la famille mais également à financer certaines initiatives et tout particulièrement la création d'entreprise en association avec les frères ou les cousins au chômage ou travaillant de façon précaire", précisent les rédacteurs de l'étude. Sur 30 entrepreneurs interrogés à Béjaïa, cinq ont connu une longue période d'immigration en France où ils disent avoir acquis une expérience professionnelle en tant que commerçants, salariés ou ouvriers dans des usines françaises. Partis très jeunes, leur retour s'est fait au début des années 80. L'autre cas de figure consiste dans des entrepreneurs plus jeunes ayant crée leur entreprise grâce, en grande partie, à l'aide financière du père, du frère ou de l'oncle installé depuis longtemps en France, aux Etats-Unis ou au Canada. Il s'agit généralement de jeunes ayant quitté l'Algérie au début des années 90 pour poursuivre leurs études à l'étranger et qui y sont restés après l'obtention de leurs diplômes. Cette situation est grandement valorisée, commente M. Daoudi, par le contexte de la dévaluation du dinar algérien. Il y a enfin les entrepreneurs dont l'âge moyen est de 38 ans ayant déjà obtenu des diplômes universitaires dans leurs pays d'origine et qui sont venus en France dans le but de faire des études de troisième cycle. Pour ce qui est des émigrés ayant réussi à créer leur boîte à l'étranger, l'étude précise qu'ils se sont orientés principalement ces dix dernières années vers le secteur des services. Il soutient que "45% des entreprises sont constitués de petites et moyennes entreprises opérant dans le secteur tertiaire dont une grande partie a été créée durant la dernière décennie. Ces petites entreprises, on les trouve surtout dans la réalisation de logiciels informatique, les agences de voyages, de conseil en publicité, la comptabilité et l'interprétariat. Ce sont des activités qui nécessitent un niveau de formation élevé, il s'agit le plus souvent d'ingénieurs ou des diplômés universitaires de type bac+5 ou ingéniorat", assure M. Daoudi. Il existe également en France de nombreuses entreprises de gardiennage et de transport appartenant à des entrepreneurs d'origine algérienne. " L'enquête démontre que les entrepreneurs issus de l'immigration maghrébine semble confirmer l'idée selon laquelle que les réseaux se constituent selon des bases ethniques", tranche le chercheur du CNRS. A l'intérieur de ces réseaux, explique M. Daoudi, chacun des membres détient des informations sur le reste des membres du réseau. Les fêtes ou les événements religieux deviennent ainsi l'occasion de se retrouver, d'échanger des informations et de faire des affaires…