Il était une fois un énorme pistachier de Laghouat, qui se retrouvait seul dans une immense daya, presque abandonnée par la vie de la flore et de la faune. Dans cette ville qui frôlait délicatement le désert, le pistachier se sentait terriblement seul et fatigué par tout ce qu'il a subi tout au long de sa vie de mille ans. Il a affaissé son lourd tronc sur ce sol qu'il a tant fertilisé, pris un moment de répit pour reprendre son haleine, et retrouvé toutes les délicieuses pensées de sa mémoire. Il s'est souvenu de ces premiers jours, où il avait fait connaissance avec la lumière et entendu ses voisins et les habitants de sa ville l'appeler «El Botma». Il a pris tout son temps pour grandir, en dormant sur tous les lits de sols divers et en supportant tous les climats possibles. Que ce soit pendant l'aride sécheresse ou le froid hivernal. Il a poussé jusqu'au ciel, il s'agrandissait sans cesse, jusqu'à dépasser tout le monde et la ligne d'horizon aussi. Sa taille lui permettait même de voir toute la ville ! Bien sûr ! Quand on peut atteindre les vingt mètres de hauteur, on ne peut qu'être fier ! Il était beau et ses branches s'ouvraient comme les plumes du paon. Elles s'entrecroisaient et tissaient ensemble un majestueux bouquet de feuillages. Ses feuilles caduques avec ses cimes développées étaient d'une finesse inégalable. Elles épousaient parfaitement les trames de ses brindilles. Avec la complicité du soleil, elles se miroitaient avec ce rythme soutenu par les vents et une musicalité en jeux de lumière. Il était doux, et tous les visages rayonnants des amoureux qui venaient s'abriter sous ses ailes déployées s'apaisaient tranquillement sous ses ombres dessinées en dentelle. Sur le périmètre de son sol, on pouvait apercevoir comme des arabesques structurées et bien composées. Après leur départ, les adieux n'étaient nullement éphémères, on retrouvait ainsi sur ses écorces plein de baisers et surtout des cœurs tatoués à jamais ! Même les enfants empruntaient ses bras de fer pour jeter les amarres de leurs balançoires accoutumées. Ils ne rentraient chez eux qu'après avoir dépensé toute leur énergie ! Pauvre pistachier ! Malgré sa résistance, sa ténacité et tout le travail qu'il avait fourni, sa tâche n'est pas encore accomplie. Il avait vraiment envie de se régénérer et faire pousser encore ses arbustes sur la terre. Mais confectionner tous les boucliers nécessaires contre l'avancée du désert n'est pas une mince affaire. Dans ce cas, que pourrait-il faire ? Il ne peut même pas compter sur l'homme pour transplanter, assurer sa réincarnation et sa longévité, vu que toutes ses expériences avec lui ont été avortées. Il n'y a que l'envol qui pourra sauver la mise, mais pas n'importe quel envol, même pas celui du vent. Tandis qu'il était assis comme le penseur de Rodin à réfléchir sur son sort, il ne se voyait pas du tout porter tous les poids de Sisyphe. Au moment où il commençait à perdre espoir, il vit un bel oiseau de bon augure arriver. Oui ! Tant qu'il y a de la vie, il y a toujours de l'espoir. Dès qu'il eut confié ses graines à l'oiseau porteur, il retrouva de suite toutes ses couleurs, et là il put dormir sereinement sur ses branches. D'ailleurs, il savait très bien que son messager mettra toute la matière prolifique dans son bec pour couver chaleureusement toutes les graines jusqu'à l'arrivée chez le vieux parrain visé. Après un trajet de longue durée, l'oiseau de bon augure a cru apercevoir de loin ce vieil arbre épineux, armé de ses ronces jusqu'aux dents, ses griffes étaient bien pointues, sur le qui-vive et la défensive. Pour livrer sa marchandise, il ne pouvait l'approcher d'aucun côté, il n'avait pas intérêt à atterrir sur cette piste minée de dangers. Une seule issue était possible, c'est celle de le prendre d'en haut quand il dormait. Au moment opportun, Il ne lui restait qu'à bien ajuster sa décharge, mener son expédition à bon terme et déposer à bord ses graines toutes excitées par les parfums légèrement sucrés, que ce monstre exhalait malgré son allure. Comme une lettre à la poste, les graines étaient semées en plein dans le mille. Et voilà que sa mission se termina. Malgré le fait qu'il ne comprenait pas aussi comment une louve pouvait allaiter deux êtres humains, il a repris son chemin en sifflant de bonheur. Au sein de toutes les touffes protectrices, les graines du pistachier, toutes confiantes et souriantes, commencèrent à sortir leurs têtes du sol. Tous les herbivores sauvages ou domestiques déguisés en petit Chaperon rouge, qui rêvaient de faire d'elles un copieux plat, rebroussaient désespérément leur chemin. Avec le temps, les graines sont devenues femmes et hommes, et le monstre ne pouvait plus subvenir à leurs besoins. De jour en jour, il s'affaiblissait et se voyait mourir à petit feu. Tous ses voisins regardaient les grands pistachiers avec un œil accusateur, il était inadmissible pour eux que les enfants élevés ne soient pas reconnaissants envers ce dévouement et ces sacrifices. Mais le parrain ne leur en voulait pas, bien au contraire, il était ravi de voir son fruit mûrir et prêt à l'emploi. De toutes les façons, il était bien conscient que le vie est conçue ainsi, de «Yin et de Yang», le féminin et le masculin, le noir et le blanc, la nuit et le jour, la vie et la mort. Une dualité, un manichéisme, sous forme de complémentarité. Tout est dans la spiritualité. Les enfants continuaient à grandir de plus en plus et à prendre davantage de place au sein de leur père adoptif, jusqu'au jour où il s'est effacé complètement de la terre. Il n'a laissé au pied de ses pistachiers que sa poussière. Une trace qui restait comme un mémorial de tombe qui dit : «Ici repose le jujubier» surnommé dans sa région natale «Sfisef».