Les grandes surfaces et les supérettes bousculent les traditionnelles épiceries du coin à Mila. Elles les ont effacées du paysage citadin. Aujourd'hui, le promeneur qui arpente les rues de la ville n'a, de quelque côté qu'il se tourne, que des commerces modernes et spacieux comme on en voit à Hong Kong, Istanbul ou Marseille, d'où sont importés les produits qui les meublent. Jadis, toutes nos emplettes, aussi variées qu'elles soient, étaient faites dans des épiceries, espèces de bicoques exiguës, où il était difficile de distinguer nettement les produits rangés sur des étagères en bois, faute d'une clarté suffisante. Véritables cavernes d'Ali Baba malgré le peu d'espace dont elles disposaient, les boutiques d'autrefois avaient pratiquement la même organisation : à l'entrée, il y avait un comptoir en bois qui barrait l'accès à la partie achalandée du local. Sur ce meuble, on retrouvait l'inévitable balance à plateaux, une série de poids en laiton, une multitude de bonbonnières et l'indispensable plumeau que le boutiquier utilise pour dépoussiérer. A l'intérieur, on voyait un moulin à café de la taille d'un homme, qui diffusait dans la boutique l'exquis parfum du café torréfié à l'ancienne. Dans toutes les boutiques, cet engin occupait le milieu du carré formé par le comptoir et les trois murs qui portaient les étagères. Quant à celles-ci, elles étaient toujours bien assorties. On y trouvait pratiquement de tout : sucre en morceaux, concentré de tomate, épices, levure, tissus, insecticide, souricière, pièges à prendre les oiseaux et jusqu'à l'aspirine et les lampes à pétrole en passant par les aiguilles de la couturière, les bobines de fil à coudre, les clous de girofle, les cahiers, l'encens, les graines des plantes potagères et que sait-on encore de toutes ces substances et objets aussi variés que contrastants que les boutiquiers d'autrefois proposaient à leur clientèle. A l'époque, le concept de libre-service n'était pas encore connu. Le client devait nommer le produit désiré et le magasinier le cherchait et l'emballait dans une simple feuille de papier qu'il pliait soigneusement sur un côté pour éviter que le produit ne s'en répande avant de le remettre à l'acheteur. La transaction se terminait par un gentil barakat adressé par le magasinier au client. Et puis, on ne peut évoquer ces épiceries sans se rappeler les tabliers de grosse toile bleue que portaient les gérants de ces locaux. Ils s'habillaient, en effet, tous de tabliers bleus pendant le travail, une tenue qui les distinguait des bouchers de l'époque, des facteurs, des taxieurs, des cafetiers… Les temps ont bien changé !