Un an après son inauguration en mars 2016, le Théâtre régional de Mostaganem Si Djilali Benabdelhalim a participé au Festival national du théâtre professionnel où il a présenté, samedi dernier, une pièce écrite par Mustapha Kessaci, mise en scène par Rabie Guechi. Au départ, c'était un florilège retraçant l'épopée du théâtre algérien qui a été monté, en avril 2017, spécialement pour la cérémonie d'ouverture de l'année «Mostaganem capitale de théâtre» avant qu'il ne soit réécrit et transformé en pièce théâtrale. Après l'avant-première d'El Manbaâ (La source), laquelle a été donnée au théâtre de Mostaganem, la semaine passée, devant un public curieux de voir comment le metteur en scène allait pouvoir gérer un si riche casting composé de comédiens phares du théâtre algérien d'aujourd'hui, la pièce était cette fois-ci sur les planches du TNA. La pièce commence avec un tableau où un orchestre d'opéra, dirigé par le maestro Chawki Bouzid, joue la symphonie Boléro de Maurice Ravel, une manière de caricaturer le 4e art algérien, dont la majorité des lieux de pratique sont des opéras datant de l'époque coloniale et non des théâtres. Au bout d'un moment, une certaine monotonie s'installe sur les planches tant la scène s'éternise. La symphonie interprétée gauchement mais volontairement donne une scène aussi tapageuse qu'ennuyeuse. N'était l'apparition in extremis de Ferri Mahdi, interprétant le rôle d'un responsable de la culture sur scène, la salle serait vidée de son public. Mais voilà la pièce relancée de plus belle. Le responsable de la culture, insensible au raffinement intellectuel du maestro et ne trouvant pas la symphonie à son goût et surtout pas celui de ses supérieurs, exige quelque chose dont le thème parle de la Révolution et de patriotisme, un spectacle populiste. On reconnaît d'ailleurs toute de suite l'écriture du jeune dramaturge engagé, auteur déjà de l'excellente pièce Ahder (Parle). Avec El Manbaâ, Kessaci continue d'écrire un théâtre de dénonciation et de révolte pour les libertés d'expression. Selfies Le maestro refuse de changer son travail au profit du goût du responsable et dénonce dans la foulée les salaires non payés de sa troupe. Mais il va très vite être sidéré par la réaction de ses musiciens lesquels, devant le responsable, se désolidarisent en se précipitant à prendre un selfie avec ce dernier. La distribution de la pièce El Manbaâ est composée de comédiens, dont la majorité sont membres d'un syndicat des artistes qui a vu le jour en août 2017, citant, entre autres, Mustapha Laribi, Yousuf Sehairi et Bouhdjer Boukchiche, lesquels ont a priori élus les planches comme haut lieu pour crier les souffrances de la famille artistique algérienne gagnée par le paupérisme et la marginalisation, pour dénoncer, avec toutefois de l'humour, les absurdités criantes d'un théâtre à l'agonie, où l'avenir commun des artistes du pays est relégué au dernier plan. Le second tableau rend hommage à la fameuse cafétéria Tontonville et sa mythique grande terrasse avoisinante au Théâtre national Mahieddine Bachtarzi en dressant les portraits des artistes bohèmes en difficulté à rafler un cachet et à pouvoir joindre les deux bouts, suivi d'une série d'hommages aux grands hommes et femmes du théâtre national, notamment à Boudia, Kaki, Alloula, Medjoubi, Keltoum, Rouiched et Sirat Boumediène, dont le fameux passage dans la pièce Lajouad d'Alloula a été repris avec brio par le jeune comédien Bachir Boujemaâ. «Waslet el hafila w lejouad wasloul elyakin (le bus est arrivé à destination et les chevalier ont eu raison, ndlr)» une phrase forte en sens et qui fait allusion aux célèbres pièces Hafila tasir de Medjoubi et Lajouad de Alloula. La pièce bascule complètement par la suite dans un théâtre de conscience, traversé de l'idée que comprendre le présent et construire l'avenir nécessite de connaître le passé. Il semble, cependant, que cette production soit destinée à un public averti, ce que nous confirme d'ailleurs Kessaci, car il n'est pas aisé pour tous les spectateurs de distinguer ce qui se passe sur scène. Maelström On imite Sirat Boumediène sans dire que c'est lui. Rabie Guechie, dans sa mise en scène, aurait pu ajouter quelques détails afin d'informer le public, mais il s'est limité à des règles de base en employant un théâtre pauvre où c'est le comédien qui est mis en avant au détriment du décor et autres accessoires. La scène est un maelström où les vrais messages, les vraies dénonciations finissent par ne plus compter, tombant d'elles-mêmes, dérisoires, futiles, ridicules. El Manbaâ, cette source qui coule entre l'autocritique et les règlements de comptes, n'est qu'une triste réalité d'un théâtre algérien qui n'est pas encore prêt à s'adonner à la vraie créativité artistique en continuant à pleurer sur son sort. Dans cette actualisation mal ficelée et peu crédible de Rabie Guechi, ni les chants lyriques de Mohamed Himour et Samira Sahraoui ni les chorégraphies des danseurs ne font oublier la vacuité d'une proposition esthétique dont les spectateurs ne font qu'attendre le dénouement. Si la voix de Himour provoque toujours autant d'émotions et de souvenir d'un théâtre de Alloula chez le public, le comédien, en revanche, Chaker Boulemdais, dont le talent est indéniable, n'arrive toujours pas à divorcer d'avec son personnage de la pièce Torchaka, alors qu'on attendait à le voir enfiler un autre profil. La pièce rebondit dans son acte final sur la situation de l'artiste algérien avec un retour de l'orchestre devenu vieux depuis, toujours en attente que les autorités viennent prendre place parmi le public. Ils meurent un après un, remplacer par des photos, à l'image des hommages officielles qui n'arrivent qu'une fois l'artiste passe de vie à trépas. Victor Hugo, dont une pièce fut interdite par la censure sous Charles X, parce qu'elle présentait un roi faible, indigné, refusa une somme de quatre mille francs en dédommagement de son manque à gagner, ce qui fut aussitôt grand bruit dans les journaux d'alors. Mais les comédiens et comédiennes, marginalisés jusque-là et engagés dans cette pièce désormais, ne sembleraient manifestement pas être conscients des enjeux de leur entreprise. Les causes justes fâchent, mais qu'adviendrait-il de la symbolique de cette pièce, de son message, si elle recevait le grand prix, remis par le ministre de la Culture ? Aucune autre date ni tournée de cette pièce à gros budget n'est programmée jusqu'à présent.