Pour reconstruire l'Irak, complètement ravagé par la guerre, les experts européens ont établi un programme dont l'enveloppe financière avoisine les 72 milliards de dollars. Une somme colossale s'il en est compte tenu des investissements et des travaux à réaliser dans une zone d'intervention où tout est pratiquement à refaire, mais qui relève d'une rationalité certaine dans une conjoncture de crise où chaque centime est comptabilisé. Quand on pense un instant que le pouvoir de Bouteflika a dépensé, durant les vingt années de son règne, quelque chose comme… mille milliards de dollars pour le développement économique et social du pays, on se dit qu'il y a là une marge financière qui dépasse l'entendement et qui forcément doit interpeller les citoyens sur l'utilisation exacte de cet argent. Comment peut-on reconstruire un pays en ruine comme l'Irak avec 72 milliards de dollars et se retrouver en Algérie, vingt après, dans une situation économique désastreuse où le risque de ne pas pouvoir payer les salaires des fonctionnaires est devenu réel, alors qu'on a consommé cent fois plus. On est loin de l'aisance économique et sociale promise malgré le flux impressionnant d'argent que notre pétrole faisait rentrer dans nos caisses. Il nous faut toujours ce genre de comparaison pour avoir une idée sur l'exploitation de nos finances, surtout lorsqu'elles sont alimentées par le Trésor public, et sur leur destination qui doit obligatoirement rejaillir sur le niveau de vie des Algériens. Les exemples ne manquent pas dans le monde pour nous ouvrir les yeux sur des différences criardes(criantes) entre les investissements quantifiés ailleurs et les nôtres qui sont rarement soumis à la règle de la transparence et de l'obligation de résultat. Celui des Saoudiens est particulièrement édifiant pour ceux d'entre nous qui ont besoin d'éclaircissement. En effet, dans ce pays considéré parmi les plus riches de la planète, confronté lui aussi aux effets de la crise mondiale, on a conçu un vaste plan de développement tous azimuts à l'horizon 2030 qui sera financé à hauteur de 300 milliards de dollars. D'autres pays du Golfe ont lancé de gigantesques chantiers à des prix qui nous font pâlir d'envie si on oppose l'addition défendue par notre gouvernement. Pour moins de 100 milliards de dollars, des villes entières ultra modernes ont été édifiées. Shangaï, Dubaï pour ne (cité) que les cités les plus tendances, l'argent a coulé à flots pour bâtir encore plus mais dans les limites d'une rigueur d'entreprise qui ne peut se soustraire à celle des marchés. Bien sûr que l'avis des experts économiques et financiers est primordial pour rendre lisibles et cohérentes les évaluations des sommes englouties pour tel ou tel projet de développement. Mais sans passer par la maîtrise scientifique des calculs qui doivent édifier sur le contenu des programmes retenus, les Algériens, en ce qui les concerne, savent à vue d'œil que l'ensemble des réalisations (tous calibres confondus) que met en avant le pouvoir pour crédibiliser la note qui lui est contestée ne peuvent à elles seules justifier la répartition chiffrée de cette fameuse cagnotte de mille milliards de dollars. Un fonds qui donne le tournis et qui, à raison, continue à ce jour de soulever de légitimes interrogations. A la question justement de savoir comment a été globalement dépensée cette providentielle manne avec laquelle l'Algérie pouvait espérer atteindre un niveau de développement autrement plus conséquent, et que l'opposition remet à chaque fois sur la table pour ouvrir un sérieux débat sur le contrôle des deniers publics, le gouvernement, par la voix de son Premier ministre, répond inlassablement : «Allez demander aux Algériens, eux ils savent où est parti l'argent…» Une façon flagrante pour éviter d'aller au fond des choses sur un problème crucial qui est celui de la transparence concernant la mise en œuvre de l'argent public. Une forme de mépris aussi qui dénote la suffisance de nos dirigeants face à leurs responsabilités politiques et économiques, et qui leur donnerait le droit d'agir selon leurs convenances en l'absence de véritables contre-pouvoirs les obligeant de rendre des comptes de manière claire et précise. Alors y a-t-il eu dilapidation ou mauvaise gestion des montants fabuleux qui sont entrés dans nos caisses ? Ou tout simplement une divagation sur un chiffre qui aurait servi à semer davantage le trouble dans l'opinion qu'à introduire une vraie réflexion sur la dépense publique qui, selon les instances dirigeantes, ne pourrait souffrir d'aucune contradiction. Côté officiel, il n'y a ainsi aucune place à l'auto-culpabilisation. Même si on reconnaît que beaucoup d'argent ont été versés dans les projets sociaux et économiques depuis l'arrivée de Bouteflika, les placements de ces fonds seraient parfaitement vérifiables. D'ailleurs, pour venir au secours du gouvernement, mais dans un esprit de concurrence toute politicienne, le FLN va bientôt lancer sur le terrain, à travers les wilayas, des équipes d'enquêteurs pour faire le bilan et glorifier l'œuvre du Président à travers toutes les réalisations recensées dans son programme. Mis à mal par la prolifération de la grogne populaire, par l'étendue de la contestation sociale qui montre qu'en Algérie, derrière les discours creux, la vie devient de plus en plus difficile, le gouvernement ne sait plus quant à lui comment réagir pour convaincre les esprits alors que l'argent manque ostensiblement. C'est au demeurant à travers cette contestation qui enfle et revendique de meilleures conditions sociales que vient en quelque sorte la réponse des Algériens. Pour la majorité d'entre eux en tout cas, il est sûr que s'il n'y a pas eu de corruption, de prédation, de dilapidation, et si la gestion des recettes des hydrocarbures avait été plus rigoureuse, on n'en serait pas là. L'avis du citoyen est parfois impitoyable : «Oui, il y a eu le métro, l'autoroute et des logements, mais on est vraiment loin du compte, car rien qu'à prononcer le chiffre de mille milliards de dollars, on a le vertige qui nous incite à croire à l'escroquerie. Il n'y a qu'à voir tous ces pontes du régime qui se sont enrichis pour comprendre…» Reste celui des experts pour nous éclairer sur un patrimoine financier sur lequel on n'a pas fini de fabuler.