-L'économie algérienne est basée sur une grosse dépense publique, mais à chaque nouvel impondérable, on a le sentiment que rien n'a été fait. Comment expliquez-vous cela ? La réalité est que le modèle économique algérien est quelque peu étrange, en raison de son caractère purement rentier, en dépit de toutes les possibilités que nous ayons en dehors du secteur des hydrocarbures. Cela a renforcé notre dépendance vis-à-vis de l'Europe et de plus en plus vis-à-vis de l'Asie et plus précisément de la Chine que les économies les plus puissantes dans le monde n'ont pas pu combattre, mais à qui nous avons donné la possibilité d'envahir notre marché et de détruire ce qui reste de notre tissu industriel. Nous sommes en train de détruire nous-mêmes notre économie notamment à travers les dépenses injustifiées vis-à-vis des importations. Le meilleur exemple qu'on puisse donner est celui des importations de médicaments dont la facture est passée de 300 millions de dollars à plus de 2 milliards de dollars en l'espace de quelques années. -Qu'est-ce qui justifie ce chiffre ? Sommes-nous en train d'importer pour nous ou pour l'Afrique entière ? Sur le plan interne, nous dépensons des milliards de dinars chaque année, mais sommes-nous plus développés, faisons-nous de l'innovation dans nos universités, vivons-nous une vie plus saine et avons-nous exterminé la pauvreté ? La réalité est que nous avons 28000 personnes qui décèdent chaque année du cancer, 6 millions de pauvres dont le nombre continue à augmenter et des milliers de citoyens qui n'ont pas accès au gaz alors qu'on est un pays gazier, sans compter la prolifération des bidonvilles à l'intérieur du pays et aussi en plein milieu de la capitale. Est-ce normal dans un pays dont les réserves de changes dépassent les 175 milliards de dollars ? Que dire de l'autoroute Est-Ouest dans des tronçons sont en train d'être refaits avec des rallonges budgétaires sans que personnes ne rende des comptes, ou du métro d'Alger dont l'enveloppe aurait pu servir à la création de nouvelles villes entières. Nous vivons le paroxysme du gaspillage d'argent. C'est pour toutes ces raisons qu'il ne faut pas s'étonner qu'à chaque nouvelle crise nous découvrions que les choses sont pires que ce que l'on imaginait. -En dépit des ressources financières disponibles, on observe d'importantes inégalités territoriales, à quoi cela est-il dû ? Il est vrai qu'il y a encore des régions dans le pays qui vivent une pauvreté extrême malgré des moyens financiers importants qui sont déboursés et cela est dû principalement à l'absence d'une justice sociale d'un côté, et de l'autre à l'absence d'une stratégie de développement ciblée et équilibrée. Par le passé, on incitait les gens à demeurer dans leurs régions rurales, alors que tout ce que nous réalisons comme projets aujourd'hui pousse à migrer vers les villes. J'ai eu l'occasion de visiter certaines communes situées dans des wilayas du centre, on aurait dit qu'on était dans un autre pays, tellement l'on pouvait palper la pauvreté. La logique de l'économie régionalisée centrée sur la nécessité de réaliser un équilibre dans les projets de développement entre les différentes régions du pays est totalement absente, même si elle a été prise en compte dans certaines régions. En revanche, à l'intérieur du pays, on continue à subir la pauvreté et les privations en matière d'éducation des enfants ou de santé. Parfois, la vision régionaliste extrémiste a servi à appauvrir des villes entières et les priver de leur droit au développement. Par ailleurs, la crainte vis-à-vis de tout ce qui est officiel fait queles gens ont tendance à se taire quant il s'agit de dénoncer l'injustice et l'indifférence des autorités locales. Mais les gens se taisent simplement parce qu'ils ne veulent pas revenir aux années 90, mais jusqu'à quand. -Aussi bien sur le plan social qu'économique, le gouvernement semble réagir après coup et pas par anticipation. Comment expliquer cette absence de perspective ? Si on fonctionne avec la logique de donner aux gens pour qu'ils se taisent, il viendra un jour où cela ne suffira plus. La logique voudrait que l'on s'enquière de ce que les gens veulent pour pouvoir répondre à leurs préoccupations et ne pas les surprendre par des décisions qui ne les servent pas. C'est pour cette raison que le peuple a perdu confiance dans ceux qui le représentent et qu'il considère comme l'ayant trahi. Le pire est qu'on ne réagit que quant il y a des pressions sociales, alors qu'il devrait y avoir une stratégie globale dans laquelle serait pris en compte le court, le moyen et le long termes. Nous avons l'impression de vivre avec des gouvernements semblables à des cellules de crise permanente, ce qui dénote un manque flagrant de planification stratégique rationnelle. L'économie saine est celle qui se fond sur des données réalistes, car l'économie c'est également des réalités sociales. Il est insensé de s'occuper de tout ce qui est macro-économique et de délaisser ce qui relève de la micro-économie. A quoi cela nous servirait-il d'avoir une économie qui fait rentrer 60 milliards de dollars par an de recettes et qui en consomme 50 dans les importations. -Sur quoi reposerait une gestion mieux orientée et plus efficiente des ressources financières du pays ? Il est évident que notre problème comme beaucoup le savent est un problème de gestion, mais pas seulement, car le plus grave est celui de la corruption et c'est d'ailleurs pour cela que les gens ont souvent l'impression que rien n'est concrétisé puisqu'ils sont confrontés à des gens corrompus qui continuent à s'enrichir alors que les pauvres s'appauvrissent davantage. A partir de là, aucun plan d'urgence qui serait mis par le gouvernement pour apaiser les tensions et la colère des citoyens ne serait suffisant. Nous devons aujourd'hui comprendre qu'une gestion budgétaire saine nécessiterait de prendre compte plusieurs paramètres. D'abord, la rationalisation des dépenses ne doit pas être simplement un slogan, mais une réalité à travers le suivi et le contrôle sur le terrain de ce qui est réalisé. Ensuite, il faudrait que notre budget soit planifié par de vrais experts et non pas par des bureaucrates totalement déconnectés des réelles préoccupations des citoyens. Nous avons également besoin de faire preuve de davantage de fermeté dans l'application des lois anti-corruption et dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale et la dilapidation de deniers publics. En somme, ce dont nous avons besoin c'est d'un gouvernement technocrate qui œuvre pour le développement et pour la protection de l'économie du pays.