Les attaques du pouvoir contre le MDS se répètent. Il y a d'abord eu un procès intenté à Ghardaïa pour «trouble à l'ordre public», alors que des dirigeants du mouvement étaient venus soutenir Me Salah Dabouz, lui-même poursuivi devant cette juridiction. Les pressions sur le Mouvement démocratique et social (MDS) se précisent. Son siège national, véritable ruche d'idées et de résistance de tous les milieux est ciblé», alertait un communiqué du MDS ce lundi, annonçant la tenue en urgence d'une conférence de presse. De fait, celle-ci a été organisée dans la matinée d'hier, au siège du parti, sis au 67, boulevard Krim Belkacem (Télemly). Hamid Ferhi, coordinateur national du parti, Yacine Teguia, secrétaire général, et Fethi Gharès, porte-parole du MDS, sont ainsi montés au créneau pour dénoncer la menace qui pèse sur ce haut symbole urbain de la gauche algérienne. De quoi s'agit-il au juste ? Jeudi dernier (15 février), la direction du parti, au nom de son coordinateur national, a reçu une convocation à comparaître devant le tribunal de Sidi M'hamed le 28 février prochain. Cette assignation en justice fait suite à une plainte de la Régie foncière de la Ville d'Alger (RFVA), un EPIC qui gère, entre autres, les locaux occupés par l'ex-PAGS. Dans un courrier transmis avec huissier, daté du 30 octobre 2017, il est précisé : «La Régie foncière de la Ville d'Alger vous met en demeure de régulariser votre situation administrative et locative dans un délai de 20 jours maximum.» La RFVA a prévenu qu'en cas de non-régularisation, elle se réservait le droit de porter l'affaire devant les tribunaux. Dont acte. En réponse à cette mise en demeure, le MDS rétorquait : «Depuis l'ouverture politique en 1989, notre parti a bénéficié gracieusement du siège en question sans avoir à payer un loyer. Pour nous, notre situation administrative est claire.» Selon Hamid Ferhi, le parti a d'ores et déjà fait l'objet d'une amende de 1 million de dinars (100 millions de centimes). «Nous sommes en train de chercher un avocat spécialisé. Nous avons consulté des (juristes) amis qui nous ont assuré qu'il n'y avait rien dans ce dossier», confie le responsable du MDS. «Une citadelle à soumettre» Loin de réduire l'affaire à un simple contentieux immobilier entre un bailleur et un locataire, Hamid Ferhi et ses camarades y voient la main de la police politique et sa volonté de réduire au silence cet îlot de citoyenneté qui devenait trop «bruyant» à son goût. Ce grouillant sous-sol du «67» était devenu, ces dernières années, le refuge de tous les «SDF» de l'opposition, les syndicalistes «trop» autonomes, les grévistes matraqués, les débatteurs iconoclastes et autres artistes en rupture de ban, bannis des festivals et des cimaises officiels… Car il faut compter aussi, à cette même adresse, le café littéraire Le Sous-Marin et son rayonnement grandissant, l'association caritative Le Cœur sur la main, ainsi que Moultaqa El Anwar (Le Cercle des Lumières) de Saïd Djabelkhir, l'empêcheur de penser en rond… «Les attaques du pouvoir contre le MDS se répètent. Il y a d'abord eu un procès intenté à Ghardaïa pour ''trouble à l'ordre public'' alors que des dirigeants du mouvement étaient venus soutenir maître Salah Dabouz, lui-même poursuivi devant cette juridiction. Il est reporté au 20 mars 2018. Entre-temps, c'est le 28 février prochain, devant le tribunal administratif d'Alger, qu'est convoqué notre mouvement…», peut-on lire dans une déclaration écrite remise à la presse. Le même document souligne : «Il est vrai que c'est un des hauts lieux de la résistance au despotisme néolibéral adossé à la rente. Véritable ruche d'idées, point de départ du mouvement des Patriotes dans la Mitidja face au terrorisme islamiste, carrefour de la société civile, notre siège constitue pour le pouvoir une citadelle à soumettre.» 1990 : Le PAGS s'installe au «67» Face à la poignée de journalistes qui ont accouru, Hamid Ferhi lance : «Ce que le terrorisme n'a pas réussi à accomplir, l'administration, le pouvoir sont en train de le faire.» Le représentant du MDS insiste sur le fait que le parti n'a jamais eu à s'acquitter d'un quelconque loyer, en précisant qu'à l'ouverture du champ politique suite à la Constitution du 23 février 1989, «12 partis ont obtenu des sièges», dont le PAGS, le Parti de l'avant-garde socialiste, agréé en 1989. Le PAGS a pris ses quartiers dans ces locaux en 1990, rappelle Yacine Teguia. En 1994, la formation politique du défunt Hachemi Cherif change de nom et devient Ettahadi/Tafat. En 1999, Ettahadi devient à son tour le Mouvement démocratique et social. A noter que le courrier de la Régie foncière adressé au parti continue à utiliser l'ancienne appellation, «Hizb Attali'a El Ichtirakiya» (PAGS). Cette pression «immobilière» vient s'ajouter, relève Hamid Ferhi, aux entraves administratives qu'affronte le MDS pour l'obtention d'une autorisation en vue de la tenue d'un congrès extraordinaire. «Ça fait un mois et demi qu'on attend», s'agace-t-il. «Cette pression, c'est pour ne pas nous laisser préparer notre congrès dans la sérénité», assène-t-il. Le MDS a «reçu une mise en demeure il y a trois ans, lors du mouvement des gardes communaux», se souvient Hamid. Par ailleurs, nous apprenons que la Régie foncière de la Ville d'Alger aurait saisi le parti par écrit, au sujet de ce même litige, en 2004, 2005 et 2006. Hamid Ferhi s'étonne que la Régie n'ait jamais frappé à la porte de l'ex-PAGS pour régler cette affaire. «Pourtant, ils sont juste à côté.» Il cite au passage la direction du commerce «qui nous a demandé un registre du commerce. Ils ont entendu dire qu'il y avait un café littéraire ici, ils ont pensé qu'il s'agissait d'un établissement commercial». Yacine Teguia en profite pour rappeler tous les cafés et les restos (de vrais établissements lucratifs pour le coup) qui sont gérés par le FLN à Alger-Centre, à Raïs Hamidou et dans d'autres villes. 2019 en ligne de mire Le MDS serait-il le seul à subir ce genre de procédures ? «A ma connaissance, il n'y aucun autre parti à qui on a fait ça», lâche Hamid. Toutefois, dans la déclaration écrite, le parti ne manque pas de mentionner les pressions exercées sur d'autres formations : «Le RCD s'est vu refuser de nombreuses salles pour tenir son congrès, causant un retard de plusieurs mois à ses travaux. Le FFS prépare son congrès dans des conditions qui montrent quelles pressions colossales sont exercées sur lui et son conseil national.» Hamid Ferhi est catégorique : «Ce n'est pas une affaire administrative, c'est une affaire politique !» «Quand il ne trouve pas comment faire taire une voix discordante, le pouvoir actionne la justice.» Cette «judiciarisation» de la vie politique, selon le mot de Yacine Teguia, va dans le sens d'une «refondation autoritaire de la classe politique», analyse le MDS. Avec, en ligne de mire, 2019. Hamid Ferhi n'écarte pas, en tout cas, l'hypothèse que ces tentatives d'étouffement soient liées à l'échéance de 2019. Il annonce dans la foulée que «le MDS va présenter un candidat, sauf s'ils nous envoient tous en prison». Revenant au rayonnement sociopolitique de ce siège emblématique, le coordinateur national fera remarquer : «Il y a des partis, des syndicats, des associations qui se réunissent ici. On met nos locaux à leur disposition. On est en train de jouer le rôle de l'Etat.» Allusion au manque (privation) de lieux de réunion pour nombre d'organisations «alors qu'il y a plein de lieux qui sont fermés ou sous-utilisés». «Un prolongement de l'espace public» Pour sa part, Fethi Gharès dresse un parallèle saisissant entre cette affaire et le verrouillage de l'espace public : «Le harcèlement que subit le MDS, personnellement, je le relie à la question de l'espace public. Notre siège est un prolongement de l'espace public où le citoyen peut exprimer son opinion. On est le seul parti dont les locaux subissent le même traitement que l'espace public. C'est parce que ce siège est ouvert à tous. C'est la raison pour laquelle le pouvoir veut étouffer cet espace.» En attendant de connaître les développements de cette affaire, Hamid, Yacine et Fethi affichent une farouche détermination à défendre cette «oasis» de démocratie urbaine. «S'ils veulent louer, on paie le loyer. S'ils veulent vendre, on est prêts à acheter ! Nous sommes capables de mobiliser la société pour payer le loyer ou acquérir les locaux», assure Hamid Ferhi. Dans l'hypothèse pessimiste d'une perte du siège, le coordinateur national du parti préfère évaluer l'impact d'un tel scénario loin de tout nombrilisme partisan : «Récemment, il y a eu un hommage d'anciens moudjahidine qui a été rendu ici même à Mohamed Teguia. Il y a des groupes de musique qui viennent ici, il y a des syndicats autonomes, des partis, où vont-ils aller ? Que va devenir le Cercle des Lumières ? C'est toute cette vie démocratique qu'on va perdre, ce ne sont pas les murs. C'est un espace de liberté, un espace d'expression qui est en jeu !»