Mohammed Larbi alias T. Hocine et « Didou » pour les intimes, avait entamé son éditorial d'hier avec cet effet d'annonce : «La nouvelle a dû surprendre le monde entier». Prémonitoire ! C'était son ultime commentaire dans le journal El Watan. Le loup blanc, l'un des piliers, l'un des fondateurs d'El Watan, un «taulier», s'en est allé brutalement, prématurément, très tôt, trop tôt, hier matin, à l'issue d'un malaise cardiaque. Ce journaliste connu pour ses «insights» (éclairage et analyse) en matière de questions internationales forçait le respect des jeunes et de ses pairs ayant porté à bras-le-corps les valeurs cardinales universelles de démocratie, liberté d'expression, justice sociale, tolérance, paix et surtout contre le fait du prince et des réflexes jurassiques et orwéliens. Hier matin, le bureau où il officiait aux côtés de ses collègues Omar Berbiche, Ali Bahmane et Abderezak Merad n'a été ouvert que tardivement. D'habitude matinal, c'était lui qui hantait les lieux. Une chaise vide. Cruellement vide. Il ne sera pas présent à la réunion de rédaction. Parmi ses collègues. Et il nous manque déjà. Un immense vide. Car Larbi, sans le railler aucunement, brassait de l'air. Il prenait de la place. Il était incontournable.Il faisait partie de la locomotive. Zoudj Ayoun, le chaâbi, El Ankis… Un énième éditorial s'échafaudait, se construisait, germait, s'esquissait… C'est que Larbi avait cette déconcertante et hallucinante capacité de consigner ses commentaires avec fluidité. Comme du beurre. Sans se fouler la rate. Une sorte de «sniper» des mots. Précis, intense et incisif. Un petit vieux brisquard du journalisme qui jurait avec la gérontologie et autre jeunisme. Toujours vert, vif, alerte. Nullement pédant, condescendant ou et ne se complaisant pas dans la morgue, il était plutôt dans l'échange, le partage et le don de soi. Il était d'une grande humilité. D'ailleurs, il était fier d'où il venait. Zoudj Ayoun, le cœur battant de la Casbah. Un jour, nous avions interviewé le grand et regretté maître du chaâbi, Boudjemaâ El Ankis. Et Larbi était aux anges. C'était sa musique, sa jeunesse, son giron natal… Larbi était un féru de culture. Un fervent défenseur de la culture et de son «algérianité». Il ne cessait de nous motiver, stimuler et encourager d'écrire sur les anciens et bien sûr, immanquablement, sur les jeunes. Car, pour lui, il s'agissait d'un travail d'œuvre utile. Contre l'oubli et pour la mémoire. «Tahia ya Didou !» D'ailleurs, il était outré le jour où il a appris que la famille du père et précurseur du raï, Bouteldja Belkacem, était tombée dans la précarité et autre indigence et vivant jusqu'à aujourd'hui dans une détresse humaine à Oran. Et ce, sans misérabilisme. Il aimait m'appeler «Kasskass »(entendre K.S.) ou bien «maâskri (originaire de Mascara). Une marque d'affection d'un père spirituel. Cela ne l'empêchait guère de commenter tout ce que nous écrivions. Une autre fois, en juin 2001, nous apprenions que la légende du blues, John Lee Hooker, était mort. Il était surpris que je fasse un peu d'esbroufe et tout un foin à propos de sa mort. «Ecoute, tu es le seul, ici, à être affecté par sa disparition». Larbi, voulait me taquiner. Une autre marque de sympathie et de tendresse. C'était cela, Larbi. La toute récente remarque qu'il m'a faite, c'était celle portant sur une omission dans un hommage posthume à Abdelhak Bererhi, ancien ministre, docteur en médecine, professeur en histologie embryologie, ancien recteur de l'université de Constantine. Il relèvera que Abdelhak Bererhi figurait parmi la mission médicale ayant accompagné le président Houari Boumédiène, en URSS, alors souffrant, quelque temps avant sa mort. C'est dire l'implication et le sacerdoce de sa profession de foi. Pas de charbonnier mais d'un journalisme à la perfection. Etre exhaustif, complet et complémentaire. Son impertinence, sa bonne bouille, sa bonhomie, sa bonté, sa démarche maladroite qui penche et voile, ses remarques, ses commentaires ciselés et sa tendresse vont nous manquer, cruellement. «La nouvelle a dû surprendre le monde entier». Les messages de condoléances ne cessent d'affluer. Le dernier était celui du rédacteur en chef d'Ech-Chaâb, Nourredine Laradji, très attristé par la mort d'un confère… d'âme. Larbi est mort! «Tahia ya Didou !».