Les médias du monde entier ont annoncé, en bonne place, la mort survenue jeudi dernier du président turkmène, Saparmourat Niazov. Dirigeant autocrate, Niazov avait érigé le culte de la personnalité en dogme : il s'était autoproclamé président à vie du Turkménistan, qu'il considérait comme sa propriété personnelle. Exerçant un pouvoir absolu, il avait réglé la vie de cette République d'Asie centrale à la démesure de ses lubies. Dans une dérive de l'autocélébration, il avait fait couler au cœur de la capitale turkmène une statue en or massif à son effigie, statue qui avait cette particularité de pivoter sur elle-même de façon à être toujours face au soleil. C'était l'exigence impérieuse de Niazov qui était dans le même temps — car il se piquait de littérature — le meilleur poète et théoricien de son pays, chaque Turkmène étant tenu par ailleurs — c'était plus prudent — de posséder un exemplaire de chacune de ses œuvres. Cet ancien communiste pur et dur avait négocié à son seul bénéfice l'éclatement de l'Union soviétique. Il était même parvenu à trouver grâce aux yeux de l'Occident qui croyait que Niazov s'était affranchi de Moscou. En fait, aucune capitale européenne, tout aussi bien que l'Amérique, n'était dupe du tournant pris par Niazov, qui était devenu un féroce dictateur qui sanctionnait par la mort toute velléité d'opposition. L'attentisme des dirigeants de la planète, voire leur complaisance, se justifiait en ceci : Niazov avait mis sous sa coupe un pays stratégiquement important du fait de sa situation géographique, et qui se trouvait être un producteur conséquent de gaz et de pétrole. « Turkmen Bachi » — Niazov s'étant adjugé le titre de père de la nation — n'ignorait pas qu'il disposait d'arguments devant lesquels l'existence de quelques opposants ne pesait d'aucun poids. Davantage encore, Niazov avait fini par faire figure de personnage pittoresque par sa démesure, aucun gouvernement de ceux qui commerçaient avec lui ne s'avisaient de dénoncer les traitements expéditifs qu'il a fait subir à des journalistes turkmènes. Qu'en sera-t-il maintenant que Niazov a définitivement quitté la scène politique turkmène au bout de vingt et un ans de règne absolu durant lesquels il avait été jusqu'à donner les noms des membres de sa famille aux mois de l'année. Plus concrètement encore, c'est le destin de tout le peuple turkmène qu'engage l'après-Niazov. Ce dernier avait transféré les recettes de l'Etat sur son compte personnel, privant du même coup ses concitoyens à une redistribution équitable du revenu national. Ses partenaires européens et américains vont-ils continuer d'adopter une attitude de spectateurs passifs d'une guerre de succession dont la finalité ne pourrait être que celle de perpétuer l'ère Niazov sans Niazov. La question se pose, car les enjeux du pétrole et du gaz, dont le Turkménistan ne manque pas pour son malheur, ne peuvent pas tout justifier. Il y a cette impression dramatique de non-assistance à peuple en danger et il convient de se demander si les Turkmènes sont, eux aussi, éligibles aux règles de bonne gouvernance que le monde développé associe à l'émergence démocratique. A l'évidence, et dans le cas du Turkménistan, la bonne gouvernance n'est pas encore une vertu soluble dans les pipe-lines et les gazoducs. A l'évocation de ce qui attend leur pays, avec ou sans Niazov, les Turkmènes ont toutes les raisons du monde d'avoir froid dans le dos.