En retrait du terrain où se tient le marché de Aïn Roumia (Djelfa), Boualem, vétérinaire de formation, reconverti à l'élevage, tout content, veille jalousement sur une récente acquisition. Trois béliers, deux spécimens de race blanche (Ouled Djellal) et un rembi rustique dépassant les 60 kg chacun, acquis au prix de 27 000. « Ceux-ci ne seront pas sacrifiés ni revendus, ils sont destinés à la reproduction, particulièrement le rembi rustique, en voie de disparition, réputé pour sa résistance aux conditions extrêmes. » Ce fait ne dit rien de ce que seront les prix pour les pères de famille, qui l'Aïd oblige, débourseront la même somme, voire plus pour des antenais (2 ans, 4 ans d'âge). Réputé comme le modèle même du marché libre, eu égard aux règles ancestrales qui les régissent, les marchés aux bétails des Hauts-Plateaux, notamment ceux de Djelfa, Aflou, Sougheur, El Bayadh, Naâma restent impénétrables pour le profane. En matière de fixation de prix tout autant le consommateur que l'éleveur se disent lésés, et c'est un fait. La situation d'équilibre entre une forte demande liée à l'occasion de l'Aïd et toute aussi forte offre, due à la fermeture hermétique des frontières n'empêchera pas le relèvement artificiel des prix au seul bénéfice des intermédiaires. En effet, les prix du mouton de l'Aïd ont été fixés deux mois auparavant, autrement dit, juste le temps requis pour l'engraissement du bétail acquis au début de l'automne, alors que les prix étaient au plus bas ; les plus beaux antenais valaient à peine 12 000 au cours du mois du Ramadhan. Des antenais (Allouche) de 2 à 4 ans d'âge, achetés au cours du mois d'octobre à raison de 10 000 par tête, engraissés, sont proposés au niveau des marchés visités à raison de 17 000 DA. Ils seront cédés à des particuliers autour de 25 000 DA, voire 30 000 DA et plus au niveau des grands centres urbains. Véritable foire d'expositions. Les marchés de fin d'année, qui interviennent en période de soudure très sensible pour les éleveurs, sont surtout l'occasion pour ces derniers de vendre leurs meilleurs produits pour l'achat d'aliments dont le prix ont atteint un seuil intolérable. « On est contraint de vendre pour l'entretien du cheptel et pour l'entame du cycle de reproduction », affirme un transhumant dont le troupeau se trouve à Béchar. « Le début du cycle, c'est Yennayer, l'hiver c'est le printemps au Sahara ; il suffit qu'il pleuve pour voir le prix des brebis, de l'antenaise dépasser celui des mâles, cette fièvre-là est plus bénéfique pour l'élevage que les spéculations liées à la fête de l'Aïd. » En effet, la pression à laquelle sont soumis les éleveurs, particulièrement les transhumants, est une aubaine pour les maquignons et autres intermédiaires qui ont fait le plein d'antenais (par semi-remorque) à des prix défiant toute concurrence. Organisés par groupes, selon la région d'écoulement, ils sont venus d'Alger, Béjaïa, Oran, Tizi Ouzou, intéressés par des marges bénéficiaires alléchantes (5000 DA en moyenne par tête). Pour se faire, ils ciblent les lots d'antenais avec cornes qui présentent des caractéristiques homogènes et pour cause, le produit homogène confère l'avantage d'un écoulement à un prix standard (fixe) sans nul besoin de marchander. Pour se soustraire à ce diktat, des particuliers n'hésitent pas à faire le déplacement jusqu'à Djelfa, Aflou, pour faire leurs achats. Farouk lui est venu de Kouba. Il vient d'acheter du lot de 10 béliers à raison de 17 000 DA la tête. « Ils rapporteront facilement les 30 000 DA à Alger, seulement je ne suis pas là pour les revendre. Ils sont destinés à des proches, des voisins (ouled el houma), une manière de nous soustraire aux prix prohibitifs qui s'annoncent. »