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Erich Von Stroheim : l'homme que l'Amérique aima haïr
Publié dans El Watan le 28 - 12 - 2006


L'émission de France 3, le cinéma de minuit, vient de consacrer un cycle à un réalisateur-acteur exceptionnel : Erich von Stroheim (1885-1967), dont la carrière fut émaillée de chefs-d'œuvre, tant à Hollywood qu'en Europe. Naturalisé américain, Erich Oswald Stroheim est l'un de ces Autrichiens qui se fixèrent au début du 20e siècle aux Etats-Unis. Il jugea opportun d'ajouter une particule de noblesse pour se donner plus d'entregent, alors qu'il était issu d'un milieu social qui n'avait rien à voir avec la cour de Vienne, ville où il était né. A Hollywood, Erich von Stroheim commença par des petits rôles de figurant. Il tourne ainsi dans le célèbre Naissance d'une nation de D.W. Griffith. Il s'agit d'une scène fugace où Erich von Stroheim apparaît. A partir de 1915, il multiplie les prestations en tant qu'acteur tout en apprenant sur le terrain le métier de metteur en scène auprès de nombre de réalisateurs, tels que John Emerson, Alan Dawn, D.W. Griffith ou George Nichols. Fort de ces expériences, Erich von Stroheim ne va pas tarder à vouloir passer à son tour derrière la caméra. Il parvient à convaincre les producteurs et réalise en 1920 son premier film personnel, Les passe-partout du diable (The devil passkey). Assuré de la confiance des studios, von Stroheim s'affirme comme un cinéaste ambitieux et inspiré dont les films sont empreints d'une touche de démesure. Les rapaces'Greed, qu'il tourne en 1924, lui vaudra bien des démêlés et attirera sur lui les foudres des bien-pensants. Erich von Stroheim fait figure de provocateur et met au défi la censure avec son adaptation de l'opérette La veuve joyeuse (1925) qui soulève un tollé. Entré en disgrâce, il ne trouve plus de faveurs chez les studios qui vont mener une virulente campagne contre lui sur le thème de l'homme que vous aimeriez haïr. Erich von Stroheim, devant tant d'adversité, est contraint de s'exiler une nouvelle fois. Il s'établit en France où sa réputation sulfureuse l'a précédé, sans que pour autant son talent soit mis en cause. Von Stroheim renoue avec une carrière d'acteur qu'il avait délaissée quelque peu lorsqu'il avait pris pied dans la réalisation. Il se verra confier de rôles typés - dans lesquels il excellera d'ailleurs - d'officier prussien. Il marque notamment de son extraordinaire présence le chef-d'œuvre de Jean Renoir, La grande illusion. Erich von Stroheim outrait ce genre de rôles comme s'il voulait donner du crédit à cette image surfaite qui le caractérisait. Il participa à de nombreux films français de plus ou moins grande importance, car le métier d'acteur était devenu son gagne-pain, sachant que l'éventualité qu'il puisse reprendre du service à Hollywood était définitivement exclue. Il n'était que rarement sollicité par les réalisateurs américains et il fallut attendre 1949 pour que Billy Wilder - d'origine autrichienne comme lui - lui confie un rôle dans Boulevard du crépuscule (Sunset boulevard) aux côtés de Gloria Swanson. Cette dernière était pour quelque chose peut-être dans le choix de Billy Wilder. L'actrice avait été dirigée par von Stroheim dans Quenn Kelly (1928), son unique film de réalisateur. Bien évidemment, il convient de citer aussi La symphonie nuptiale (1926)qui est une autre de ses œuvres marquantes. Erich von Stroheim, en plus de cinquante ans de carrière faite de tourments et de vicissitudes, n'a jamais consenti à se détacher de cette noblesse qui faisait partie de son caractère. Cinéaste en avance sur son temps, il se heurta aux préjugés qui l'empêchèrent d'imposer ses idées et surtout l'esthétique cinématographique comme langage universel. Le système hollywoodien fut plus fort que lui mais pas au point d'effacer l'influence que son œuvre exerça sur des générations de cinéastes qui n'oublièrent pas son héritage. Il y a des poètes maudits et Erich von Stroheim fut de ceux-là. A Hollywood, il lui était impossible d'aller à contre-courant des idées reçues sans le payer du prix de sa disparition définitive du paysage cinématographique. En évoquant Les rapaces, Erich von Stroheim savait de quoi, et de qui, il parlait. C'est ce qui ne lui fut jamais pardonné.

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