Moqtada, Moqtada… ». Ce furent les mots qui déclenchèrent la colère de Saddam Hussein, quelques secondes avant son exécution, samedi dernier. Avec mépris, il rétorque : « De qui vous parlez ? ». Et l'un des présents répond : « Vive Mohammed Baqer… ». « Allez en enfer ! », réagit Saddam. La suite, c'est l'exécution avec des relents de vengeance, selon plusieurs observateurs. Moqtada Sadr, fils de Mohamed Baqer Sadr, imam chiite assassiné en 1999 sous le régime de Saddam, âgé d'une trentaine d'années, représente la faction dite radicale de la mouvance chiite, plus politisée que les prudents chefs religieux de Nadjaf sous la houlette de l'ayatollah Sistani, d'origine iranienne, plus haute autorité religieuse chiite en Irak. D'ailleurs, Moqtada a pris ses distances avec ces cercles cléricaux en quittant la ville chiite sainte de Nadjaf vers Sadr City, anciennement Saddam City, agglomération chiite et pauvre dans la banlieue de Baghdad. Moqtada, affaibli par le manque de légitimité religieuse, a joué d'abord le rôle de l'antioccupation, se faisant même accuser de l'assassinat de personnalités chiites « modérées ». En 2004, de violents combats opposent sa milice, l'armée d'Al Mahdi, aux forces US. L'intervention de Sistani a calmé ce front, mais les glissements vers le conflit confessionnel entretenu, entre sunnites et chiites, a happé la mouvance sadriste. Selon des rapports d'ONG des droits de l'homme, la milice sadriste serait coupable de graves exactions contre les civils sunnites. Profitant du retrait du clerc chiite traditionnel de la politique et du manque de popularité des chefs chiites rentrés d'exil, Moqtada se présente comme le leader des chiites délaissés par l'actuel gouvernement. Un jeu qui en vaut la chandelle. Car après plusieurs tractations, les sadristes ont récemment accepté de négocier leur intégration dans les institutions d'un gouvernement qui ne fait pas le consensus au sein même de la communauté chiite, sans parler de l'opposition sunnite, traumatisée actuellement par le caractère « rituel » de l'exécution de l'ancien président Saddam. Moqtada Sadr semble disposé à jouer son rôle d'outsider incontournable dans la scène chiite mais les exactions imputées à sa milice — surtout depuis l'attentat contre la mosquée de Samara, où le 12e imam des chiites aurait « disparu » selon la tradition — se sont accélérées contre ce que les sadristes considèrent comme « wahhabite » ou « baâthiste ». Selon un rapport de l'International Crisis Group, le véritable défi de Moqtada reste l'intégration de sa milice dans les forces régulières et d'éviter que le pays sombre dans la division et la guerre civile. Chose assez difficile dans la mesure où les autorités américaines et irakiennes ont concédé des délégations de forces de l'ordre aux autres factions chiites au détriment des sadristes. Un mouvement qui prend du poids et une donne à surveiller de près en ces temps de tensions extrêmes.