La France sera le deuxième pays de l'Union européenne (UE) à se doter d'un droit au logement « opposable ». Et ce, grâce à une pression associative fortement médiatisée et à l'imminence de l'élection présidentielle. Le président Chirac, qui veut terminer son mandat en beauté, a poussé le gouvernement et la majorité à se saisir très rapidement de la question des non et des mal logés. C'est aussi une manière de couper l'herbe sous le pied au candidat Sarkozy. Un projet de loi instituant un droit au logement opposable sera présenté le 17 janvier en Conseil des ministres, a annoncé, mercredi 3 janvier, le Premier ministre, Dominique de Villepin. Fin 2008, ce texte s'appliquera aux personnes les plus en difficulté (sans-abri, travailleurs pauvres, femmes isolées avec enfant). « La deuxième étape peut être fixée au 1er janvier 2012 : le droit au logement opposable concernera alors toutes les personnes ou toutes les familles logées dans des habitations insalubres ou indignes », a expliqué Dominique de Villepin, lors d'une conférence de presse. Le projet fait de l'Etat le garant juridique du respect du droit au logement. En cas de manque de logement décent, un recours judiciaire sera possible auprès d'une instance publique. Celle-ci sera contrainte de trouver une solution. Rendre ce droit « opposable » signifie, en effet, que toute personne privée de logement pourra faire valoir ses droits en justice. Actuellement, seuls sont « opposables » en France les droits à la scolarité et à la protection de la santé. Le respect du droit opposable au logement sera garanti par l'Etat, a précisé Dominique de Villepin, ajoutant que « l'Etat pourra naturellement déléguer la mise en œuvre de ce droit aux collectivités territoriales qui le souhaitent dès le vote du texte ». Le président Chirac avait demandé, dimanche 31 décembre 2006, au gouvernement de proposer dans « les toutes prochaines semaines » un « droit au logement opposable », une mesure réclamée depuis des années par les associations qui militent pour un droit au logement décent pour tous. L'idée d'un droit au logement opposable a été proposée, d'une part, par le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, dans son 8e rapport annuel remis en décembre 2002 à Jacques Chirac. Et d'autre part, par plusieurs associations, à l'initiative de ATD Quart Monde dans une « plateforme pour un droit au logement opposable ». « Tsunami médiatique » Une association inconnue, il y a encore quelques jours, les Enfants de Don Quichotte, va créer l'événement médiatique et politique en montant, à la veille de Noël, un camp de SDF au canal Saint-Martin de Paris, et les jours suivants, d'autres camps, en province. Alors que d'autres initiatives sont engagées par d'autres associations de défense des sans-abri. La « charte du canal Saint-Martin », préconisée par Les enfants de Don Quichotte, qui réclame l'ouverture en continu des structures d'accueil pour SDF, l'augmentation du nombre de logements sociaux et, in fine, l'instauration d'un droit au logement opposable, a suscité un « double consensus historique, associatif et politique » salué par le porte-parole des Enfants de Don Quichotte, Jean-Baptiste Legrand. L'association avait appelé, dimanche, Jacques Chirac a être le « déclic » qui transformerait ces soutiens de principe en un résultat concret. Par ailleurs, trois associations ont présenté, lundi 1er janvier 2007, à la presse les locaux de leur « ministère de la crise du logement », dans l'immeuble de 1000 m2 qu'elles occupaient depuis le 31 décembre, rue de la Banque, à Paris. « On a envie que le logement soit au cœur du débat pour les échéances électorales », a expliqué Julien Bouchet, de l'association culturelle et artistique Macaq, à l'origine de cette initiative avec Droit au logement (DAL) et le collectif Jeudi noir contre le mal-logement. « Nous comptons bien participer très activement à la campagne électorale et faire que le gouvernement s'engage de manière irréversible pour le droit au logement opposable », avait affirmé le président du DAL, Jean-Baptiste Eyraud, habitué des occupations d'immeubles illégales, au nom de la « désobéissance sociale ». Au cœur du débat électoral Pour les associations, l'immeuble occupé est une tribune politique. Ils y organiseront forums, débats et consultations juridiques. Il sera ouvert au public le 11 janvier. « A l'heure où le logement s'installe dans le débat public (...) nos associations et collectifs souhaitent pointer du doigt l'attentisme des pouvoirs publics en matière de lutte contre le mal-logement sous toutes ses formes : SDF, logements étudiants, loyers exorbitants et kyrielle de situations précaires », précisent les associations à l'origine de cette initiative dans un communiqué. Le DAL souhaite, par ailleurs, que trois actions d'urgence soient entreprises : l'application de la loi de réquisition des immeubles vacants, l'ouverture des immeubles HLM vides et murés dans l'attente de leur démolition qui se comptent « par milliers » en France, selon l'association et le logement des familles dans de véritables logements et non dans des hôtels tenus par des « marchands de sommeil » dans des conditions « scandaleuses », a précisé M. Eyraud. Le député (UMP) du Rhône, Georges Fenech, avait dévoilé, le 2 janvier, le contenu d'une proposition de loi « instituant un droit au logement opposable à l'Etat ». « Notre travail en tant que groupe piétinait, il était difficile, mais il a été relancé avec la prise de conscience qui a lieu aujourd'hui grâce aux Enfants de Don Quichotte », a estimé le député UMP. En septembre 2005, la députée (UMP) des Yvelines, Christine Boutin, avait déposé une proposition de loi, signée par 23 autres élus de la majorité, qui confie à l'Etat la mise en œuvre du droit au logement opposable. Durant l'examen du projet de loi « Engagement national pour le logement », fin 2005 début 2006, des parlementaires de gauche ont vainement essayé de faire adopter cette mesure à travers des amendements. A la mi-juin 2006, le chef du gouvernement avait demandé au Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées d'étudier, avec les associations d'élus locaux, « les conditions juridiques et les modalités pratiques » d'une telle démarche. Nicolas Sarkozy l'a reprise à son compte, notamment dans son discours de Périgueux, prononcé en octobre 2006.