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Les enjeux de l'évaluation et de la lutte contre la corruption (2e partie et fin)
Publié dans El Watan le 09 - 01 - 2007

A l'échelle des nations, l'approche individualiste (4) tend à rendre chaque pays responsable de sa richesse ou de sa pauvreté et à privilégier les causes internes pour expliquer le niveau de développement. Appliquée à l'analyse de la corruption, cette démarche mettra l'accent sur les facteurs liés à la qualité des institutions du pays. L'approche libérale peut donner lieu à une position intransigeante vis-à-vis de la corruption (tolérance zéro, discours moral très strict) comme elle peut conduire à une attitude beaucoup plus pragmatique, admettant qu'il n'est pas possible d'éradiquer la corruption ni même de la cerner et que l'on ne peut que viser à la maîtriser et en limiter les effets négatifs.
4. Analyse anticapitaliste de la corruption
La deuxième tendance, qui renvoie à des courants hétérodoxes en économie, prend la forme d'une doctrine anti-libérale ou, à l'extrême, anti-capitaliste : la corruption se généralise dans la société de marché avec l'idéologie individualiste et utilitariste corruption par l'argent et la société de consommation, égoïsme, recherche du profit, spéculation, perte des valeurs, recul de la solidarité, déliquescence approche qui elle aussi fait écho à la signification originelle aristotélicienne de la corruption comme un mal qui ronge la société. Mais là encore, il ne s'agit que d'une version extrêmement simplifiée, cette approche se déclinant de diverses façons selon les courants et écoles de pensée hétérodoxes. Cette conception, que l'on qualifie d'holiste, ne met pas l'accent sur l'individu mais sur le système économique, social et politique, la nature du pouvoir, la dimension institutionnelle et historique du phénomène. Plutôt que de privilégier la lutte contre la corruption, c'est à une transformation globale des institutions qu'elle appelle, la corruption n'étant considérée que comme un symptôme, un signe du dysfonctionnement et de l'inadaptation des institutions. La conception de l'individu qui est à la base de cette approche est aussi profondément différente de la première. Il est perçu comme un sujet doué de raison, donc d'une relative autonomie, mais agissant selon des normes sociales, morales, religieuses, elles-mêmes déterminées par la société et la période historique dans laquelle il vit. Les mesures préconisées vont ainsi faire appel au civisme, à l'éthique, au sens moral des citoyens et privilégier l'éducation, le politique, le droit, bref des contraintes externes à l'économique, qui incluent aussi la sanction et la répression. Ces courants ont derrière eux une longue tradition critique de la propriété privée (Proudhon(5), Marx et Engels (6)) et si, après les expériences tragiques de collectivisation dans les pays socialistes, ils ne prônent plus son abolition, ils n'en font pas non plus la panacée pour résoudre les problèmes de gouvernance et de corruption dans les pays du tiers-monde. La démarche historique leur permet de rappeler que de nombreuses nations ont édifié leur économie sur des droits de propriété mis en place par la spoliation et l'expropriation de populations ou de peuples entiers. C'est le cas, par exemple, lorsque l'ordre juridique d'un peuple colonisé est évincé par celui du colonisateur et que cela se traduit par la non-reconnaissance des droits de propriété des colonisés. Dans le monde d'aujourd'hui, il importe de faire la distinction entre les nations dans lesquelles la règle établissant les droits de propriété est ancienne, stable, même si par le passé elle a pu être au centre de conflits violents (mouvement des enclosures dans l'Angleterre du XVIe siècle, conquête de l'Amérique (7), Révolution française), et celles où cette question n'est pas résolue et où la règle est vécue comme spoliation par une grande part de la population. Ainsi, en matière de propriété, légalité ne se confond pas toujours avec légitimité. La question de la création ou du renforcement des droits de propriété n'est pas qu'une affaire technique. Elle renvoie d'abord à la légitimité de la règle selon laquelle la propriété est affectée. A bien des égards, dans les nations du tiers-monde et dans les pays en transition où se mettent en place aujourd'hui des droits de propriété modernes, des populations font l'expérience brutale de l'expropriation et la dépossession. La question est particulièrement sensible dans les pays où régnait le droit musulman en matière de propriété, et où celui-ci a progressivement été évincé au profit des législations française ou britannique. Dans l'analyse du développement, la vision holiste globale qui privilégie le tout sur les parties tend à mettre l'accent sur les rapports de domination entre nations. Elle souligne en particulier la responsabilité des pays développés dans le sous-développement du tiers-monde, comme celle des anciennes puissances coloniales quant au désordre institutionnel et à la corruption qui règne dans les ex-colonies. Aussi la lutte contre la corruption dans le monde, lorsqu'elle est initiée par des organisations émanant des pays développés, est-elle mal perçue.
5. Mesure de la corruption ou de la perception de la corruption ?
Au-delà de la multiplicité des formes et des pratiques de la corruption et des divergences quant à sa définition, les efforts se multiplient depuis une quinzaine d'années pour en donner une définition précise sur laquelle tous puissent s'entendre, et celle-ci passe par la tentative de fournir une mesure de la corruption. Aux premiers abords, on pourrait croire que mesurer la corruption vise à quantifier les montants sur lesquels portent les transactions corrompues. Or ces transactions, par définition, ne sont enregistrées nulle part ou du moins ne sont pas enregistrées en tant que telles. Il est donc très difficile, voire impossible de les calculer. Et les estimations ne donnent pas de résultats probants, en raison de la multiplicité des formes de corruption ainsi que de l'imprécision des définitions : jusqu'où va la petite corruption, quelle est la frontière entre la petite et la grande corruptions, etc. Aussi, faute de pouvoir quantifier directement le phénomène, on a cherché à construire un dispositif permettant d'en observer l'évolution dans le temps et d'effectuer des comparaisons entre pays. On s'est alors orienté vers une évaluation de ses effets sur la perception des agents. Ce qui est mesuré, c'est la perception de la corruption. En d'autres termes, comme on ne peut pas mesurer directement la corruption, on construit un objet appelé « perception de la corruption » en faisant l'hypothèse que celui-ci évolue comme la corruption elle-même. Or par définition, la perception est subjective. La méthode consiste, en collectant de manière systématique et régulière des données subjectives, à construire une mesure objective de la perception de la corruption. Cette mesure est un indicateur qui permet de comparer la perception de la corruption entre pays ainsi que l'évolution de cette perception au cours du temps. Il existe une multiplicité d'organismes qui publient des indicateurs de perception de la corruption, basés sur des définitions et des méthodes d'évaluation différentes. Par exemple, Transparency International publie annuellement un indice élaboré sur la base d'enquêtes par sondage. Dans l'échantillon, les hommes d'affaires, et parmi eux les investisseurs étrangers, occupent une place importante. Un des arguments pour affirmer que la perception de la corruption est une bonne approximation de la corruption elle-même est de dire que lorsque les agents sont convaincus qu'un pays (ou une institution) est corrompu, ils vont agir en conséquence, donc que cette perception a des effets pratiques concrets qui passent par le comportement des agents économiques, en particulier des hommes d'affaires et des investisseurs étrangers. Parmi les arguments avancés pour critiquer cette démarche, il y a le constat que les agents ont tendance à surestimer la corruption en période de faible croissance économique et à la sous-estimer lorsque la croissance est forte, toutes choses égales par ailleurs. Il y a donc un biais dû au fait que la perception des agents intègre leur croyance que la corruption est une cause de la faiblesse de la croissance économique. De la même manière, la corrélation entre PIB par tête et indice de perception de la corruption peut aussi signifier qu'à niveau de corruption égal, celle-ci serait moins perçue dans les pays où le niveau de vie est plus élevé. Parmi les 6 composantes des indicateurs mondiaux de la gouvernance publiés par la Banque mondiale figure un indicateur de « maîtrise de la corruption », défini comme mesurant « l'abus de l'autorité publique à des fins de gain personnel, y compris la grande et la petite corruptions et l'accaparement de l'appareil d'Etat par les élites » (Kaufmann). La publication régulière de ces indicateurs a l'avantage de fournir des repères, d'apporter de la clarté et de la rigueur dans l'appréhension d'un phénomène jusque-là très opaque. Kaufmann (8) met un point d'honneur à assurer une transparence totale sur la méthode de calcul de ses indicateurs, comme garant de leur fiabilité. Mais ce déplacement du débat sur la corruption vers une discussion de spécialistes sur la construction des indicateurs transforme la question en une affaire d'experts à laquelle le grand public n'a pas accès. Ce qui n'empêche pas d'ailleurs que, dans l'utilisation qui en est faite, y compris par les spécialistes, ces indicateurs soient le plus souvent assimilés pour faire vite à une mesure directe de la corruption. On aboutit alors à une forme de fétichisation des chiffres, qui est le pendant de la complexification des méthodes d'évaluation. Dans un contexte où la corruption est traitée par le secret, le silence et la rumeur, avec l'explosion aléatoire de scandales médiatisés de manière contingente, sans que se dégage une relation lisible entre les faits, leur gravité, l'ampleur des préjudices et les sanctions adoptées, le citoyen ne peut qu'avoir qu'une vision déformée des choses. Si à cette vision déformée vient se superposer un fétichisme des chiffres avec une interprétation qui s'éloigne de leur véritable signification, cela risque, au lieu d'éclairer le phénomène, d'en d'augmenter l'opacité. Il est donc important d'ouvrir la « boîte noire » et de s'intéresser autant si ce n'est plus à la confection de ces indicateurs qu'à l'image qu'ils dessinent. Enfin, même si la publication d'indicateurs contribue quelque peu à éclairer le versant « universel » de la corruption, il reste que bien des aspects du phénomène nécessitent, pour être saisis, de prendre en considération les spécificités historiques, institutionnelles, culturelles de chaque société.
6. Corruption et mondialisation la question du calcul économique
Depuis les années 1990, la publication d'indicateurs internationaux calculés à l'aide de méthodes de plus en plus sophistiquées et englobant un nombre croissant de pays a changé la donne en matière de corruption. On assiste à une mondialisation de la perception de la corruption, qui s'accompagne d'une mondialisation de la lutte contre ce phénomène. A quoi correspond cette mondialisation ? Quelles en sont les implications au niveau local et national ? Cette mondialisation s'explique par l'entrée progressive des pays dans le marché mondial. L'image internationale de la qualité de leurs institutions et en particulier la perception de leur degré de corruption ont acquis une importance nouvelle dans l'accès des nations à une forme de reconnaissance internationale, devenue indispensable au vue de l'interdépendance croissante des économies et du poids déterminant de la contrainte extérieure (qu'elle soit financière, politique, juridique, institutionnelle) sur les pays. Cette nouvelle donne induit des comportements nouveaux par rapport aux approches traditionnelles qui faisaient de la corruption un problème avant tout local ou national, mettant aux prises la responsabilité de l'Etat avec ses commis face aux citoyens ou administrés. Au fur et à mesure que le marché moderne se déploie à l'échelle internationale, il réalise dans l'espace de l'économie mondiale ce qu'il avait instauré dans l'espace domestique des premières nations industrialisées, dès les VIIIe et IXe siècles : il soumet progressivement toute l'économie et son environnement aux normes du calcul économique ; il met en place des dispositifs qui s'enfoncent dans le corps social pour en enregistrer, mesurer, évaluer, mettre en chiffres, en tableaux, en courbes, en indices les multiples facettes. Ainsi, en entrant dans le marché mondialisé, l'Algérie comme de nombreux pays s'avance dans l'espace du calcul économique mondialisé. Ce processus, elle s'y trouve entraînée presque à son insu, à partir du moment où elle adhère à des organisations, ratifie des conventions, s'engage dans des relations économiques, financières, commerciales qui l'amènent à adopter un ensemble de normes et de règles, à s'ouvrir à des enquêtes, des évaluations, des audits. Un autres aspect de la mondialisation est que la corruption elle-même prend une forme globalisée et qu'en empruntant des réseaux qui se déploient à l'échelle internationale, elle passe par-dessus les dispositifs locaux et nationaux de contrôle et de sanction. Or ces processus se produisent à un moment de crise profonde des institutions du pays (9). Dans toute société, les institutions, si elles génèrent des situations de rente, recèlent aussi des mécanismes régulateurs. Au niveau local, les formes traditionnelles de contrôle de proximité sont surtout basées sur la réputation, la réprobation morale, la pression de l'opinion, la dénonciation publique (10). La tradition islamique, comme d'autres traditions, codifie ces normes de comportement. Or avec l'édification de l'Etat-nation centralisé, le local a été dépossédé de ces mécanismes. Le développement de l'Etat, la puissance des moyens dont il dispose et l'extension de son contrôle sur l'économie et la société ont permis une mobilisation centralisée des richesses et alimenté une corruption qui échappe largement aux contrôles de proximité, ce qui se traduit par un sentiment d'impuissance et nourrit dans l'opinion une perception très négative. De son côté, l'Etat central, qui recèle ses propres mécanismes de contrôle, est en crise. La période actuelle, qui n'est ni une transition franche à l'économie de marché ni celle d'un dirigisme économique assumé, est caractérisée par une valse hésitation faite d'avancées, de reculs, de volte-face, d'attentisme et de blocages. Cette situation a pour conséquence un vide grave en matière de prévention et de lutte contre la corruption, tant au niveau national que local. A ce stade, ce n'est pas seulement la corruption qui est en cause, et il faudrait revenir à des questions plus fondamentales dépassant le cadre de cette réflexion. Des mesures de type technique pour juguler la corruption ont été annoncées. Mais la lutte contre ce fléau n'est pas qu'une affaire d'experts. Sans un signal fort à même de créer un climat propice au rétablissement de la confiance, ces mesures risquent de n'avoir que peu d'effets sur la perception de la corruption.
Note de renvoi :
(4). Ici, c'est la nation qui est individualisée.
(5). « La propriété, c'est le vol ! », écrit Proudhon dans son mémoire : Qu'est-ce que la propriété ? Ou recherches sur le principe du droit et du gouvernement, 1840.
(6). L'origine de la famille, de la propriété et de l'Etat, Marx, Engels 1844.
(7). Voir Lindsay G. Robertson, Conquest by Law. How the discovery of America dispossessed indigenous people of their lands, Oxford, Oxford University Press, 2005.
(8). Daniel Kaufmann, directeur des programmes du World Bank Institute (WBI) est responsable de la publication des indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale (Gouvernance matters).
(9). L'analyse de cette crise des institutions nécessiterait de longs développements qui m'éloigneraient du propos de cette intervention. Sur cette question, voir mes articles cités en note 1.
(10). Adam Smith, considéré comme le père du libéralisme, intègre ces éléments comme un préalable au marché, lequel suppose des individus « moralement fiables », Théorie des sentiments moraux, 1759
L'auteure est Chercheur au CNRS CEPN- Université Paris Nord


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