Le Festival de Rotterdam en Hollande est chaque année en janvier un événement international indiscutable. Rotterdam, plus grand port du monde, n'est pas une très belle ville. Amsterdam est bien plus jolie. Mais à Rotterdam, on peut être absolument sûr de voir un cinéma multiforme, prometteur, sans lien avec les grosses machines hollywoodiennes. Pendant 12 jours, le cinéma brille de mille feux dans les salles de Rotterdam et les recettes sont bonnes... Chaque année ou presque, à Rotterdam, il y a des films algériens au programme. Aux pires années de la décennie noire chez nous, Sandra Dem Hamer, la directrice du Festival de Rotterdam, a fait venir des cinéastes algériens. Sandra est toujours une inconditionnelle de l'Algérie, et cette année on retrouvera au 36e Festival (du 24 janvier au 4 février) deux films de cinéastes algériens, Tariq Téguia et Djamila Sahraoui. Et pour cause : ces deux œuvres n'ont pu se faire que grâce à Rotterdam à travers le Hubert Bals Fund. Depuis des années déjà, cet organisme est indiscutablement une aide très précieuse pour tous les cinéastes de Sud, qu'ils soient maghrébins, africains, asiatiques ou latino-américains. De jeunes cinéastes d'Ukraine, d'Arménie, de Macédoine ou de Russie sont aussi bien accueillis et aidés à Rotterdam. C'est un million et demi d'euros provenant du ministère hollandais des Affaires étrangères, de la télévision publique NPS, de divers organismes non-gouvernementaux qui sont sur la table pour offrir les moyens au « cinéma du Sud » de continuer à vivre. Merzak Allouache, Moufida Tlatli, Nouri Bouzid, Gaston Kaboré et Abderrahmane Sissaka (avec une rétrospective cette année) sont tous passés par Rotterdam et ont bénéficié de soutien du HBF. Indonésiens, Malaisiens, Philippins, Chinois, Mexicains ayant échoué dans leurs pays à trouver le soutien nécessaire sont aussi parmi les cinéastes qui ont reçu des bourses à Rotterdam et fini par faire leurs films, avant de les montrer dans une section spéciale comme ce sera le cas cette année pour Téguia et Sahraoui. Les bourses octroyées aux réalisateurs qui font montre d'un certain talent (la sélection est assez sévère) englobent à la fois l'écriture du scénario, le développement du projet, le tournage, la post-production et même la distribution dans les pays d'origine des cinéastes. Pendant ce temps-là, sur les 24 écrans du festival, les images défilent non-stop. Un marché international du film Cinémart est organisé et reçoit des centaines de professionnels. En dehors de la compétition (premier et second films seulement), il y a une foule d'autres sections, de rétrospectives, d'expositions pour tenir en haleine le public qui peut acheter sur Internet les tickets d'entrée une semaine à l'avance. Si Rotterdam réduit à une portion négligeable les images d'Hollywood, c'est pour montrer le travail des cinéastes indépendants qui travaillent en dehors des studios, un cinéma de recherche qui n'a pas l'ambition d'attirer les foules ni d'être au top du box-office. C'est un cinéma à un degré plus haut qu'on voit à Rotterdam, des œuvres « haut de gamme », à commencer par la prochaine rétrospective de Abderrahmane Sissako. Né à Kiffa en Mauritanie, élevé au Mali, étudiant au célèbre VGIK de Moscou (l'Institut fédéral d'Etat du cinéma), A. Sissako a fait plusieurs films dont les plus connus La vie sur terre et Hermakono (en attendant le bonheur) lui ont valu la reconnaissance internationale. Récemment, il s'est fait connaître aussi par un violent pamphlet contre le FMI et la Banque mondiale responsables de la misère en Afrique : Bamako, docu-fiction montré à Cannes et qui sera aussi sur les écrans de Rotterdam. A propos de Bamako, le réalisateur a dit ceci : « Quand on vit sur un continent où l'acte de faire un film est rare et difficile, on dit qu'on peut parler au nom des autres : face à la gravité de la situation africaine, j'ai ressenti une forme d'urgence à évoquer l'hypocrisie du Nord vis-à-vis des pays du Sud. » Cela dit, Bamako a bénéficié de l'aide de Rotterdam, ville du Nord...