Le froid peut-être donne la grande forme. Au Festival de Rotterdam, il n'y a pas de fastes inutiles, pas de montée des marches. Les futurs grands banquets, ce sera à Berlin dans quelques jours. Au cinéma Pathé, il est littéralement impossible de stopper la foule qui se rue vers les multisalles. Le festival a levé le rideau avec un film argentin d'un cinéaste assez connu La Antena, de Esteban Sapir, une inspiration directe du cinéma classique, noir et blanc, muet. Le réalisateur argentin copie allégrement Méliès (Le voyage dans le lune) et Fritz Lang (Métropolis). Son film est aussi une classification de ce qu'il a appris en voyant les œuvres d'Eisenstein et de Vertov. La Antena est une parabole pour mettre en garde contre la télévision. Esteban Sapir pense que la télévision détruit la vie des gens, c'est un objet répressif. Dans le rituel de Rotterdam, on court entre les salles, on oublie de manger, on voit le maximum de films et soudain voici un trio célèbre venu de Hong Kong, les trois cinéastes Johnie To, Tsui Hark et Ringo Lam. Pas de rivalité entre eux. Ils aiment aussi Wong Kar Wai. Ces trois-là croient presque à l'avenir radieux de la Chine, comme l'a promis Mao. La preuve, depuis le retour de Hong Kong à la mère patrie, la qualité de son cinéma s'améliore nettement. Libéré des Anglais, Hong Kong accumule les réussites économiques et cinématographiques. La « qualité H. K. » se trouve dans la précision du scénario, la maîtrise technique et esthétique, dans le travail exemplaire des acteurs. L'Asie, continent du cinéma, délègue ainsi ses auteurs partout où il faut combattre la domination américaine. Mais on sait bien que les pompeuses productions d'Hollywood reviendront sur les écrans (de Hollande et d'ailleurs) à la fin du festival. Sandra Den Hamer, la blonde directrice du Festival de Rotterdam, a ouvert l'autre soir la manifestation en lançant un appel pressant au gouvernement de La Haye et à la ministre des Affaires étrangères pour leur dire que ce serait une grave erreur si le Festival de Rotterdam cessait d'avoir leur aide officielle. Il y a, paraît-il, un projet en l'air dans les arcanes kafkaïennes du pouvoir, dont la nature change au gré des couleurs politiques, de priver Rotterdam de subventions. Cela signifierait la fin du Fonds Bals grâce auquel les cinéastes du Sud pouvaient réaliser leurs films. Le Festival de Rotterdam, dont l'essence même est son soutien au cinéma du Sud, risque aussi de disparaître, de voir la richesse étonnante de son programme supprimée faute d'argent. Mais si le gouvernement actuel de La Haye arrête ses subventions, c'est aussi pour sanctionner une manifestation qui ne cadre pas avec sa politique de droite, un festival depuis toujours ouvert sur l'Afrique, l'Asie, le Monde arabe. Dans les méandres de la politique du gouvernement des Pays-Bas, on ne sait donc pas si le Festival de Rotterdam va survivre. Sandra Den Hamer a parlé de nuages grandement menaçants.