Quand on a la foi on se passe de la vérité. Il a la réputation d'être un beau parleur. Le vieux monsieur à l'œil pétillant et à la langue acérée débite sans presque s'arrêter. C'est qu'il a des choses à dire. Les images et les sensations se bousculent. L'enthousiasme est intact. Il traîne la même silhouette et décrit les choses avec des métaphores et ce qui ne gâte rien, sans se départir d'un humour charmeur. Plus discret que son défunt frère Mouloud, Tahar n'en a pas moins marqué à sa façon, l'histoire. Médersien, militant, syndicaliste, ambassadeur, il fait encore parler de lui, à travers ses écrits consacrés généralement à la religion. Alors islamologue ? Il réfute cet épithète et s'inscrit plutôt dans la lignée de ceux qui persévèrent dans l'interprétation du Livre saint. Né le 22 octobre 1929 à Timengache, dans la commune de Guenzet, Tahar a vécu au gré des pérégrinations de son père, instituteur qui, faute d'avoir obtenu sa titularisation pour avoir refusé la nationalité de l'occupant, s'est rabattu sur un autre métier au sein de la CFTA, ancêtre de la RSTA. De son petit village niché dans la petite Kabylie, Tahar n'en garde que des souvenirs épars, sinon qu'il a été beaucoup plus marqué par son enfance « belcourtoise » puis à Bordj Bou Arréridj où la famille a dû rejoindre son frère Salah, nommé greffier dans cette ville. Tahar y a complété ses études après le primaire passé à Belcourt. C'était à la fin des années 1940. « A l'époque, Messali avait le vent en poupe et le peuple était gagné par le nationalisme. » A 15 ans, Tahar milite déjà dans une cellule PPA au collège de Médéa, en compagnie du fils de Messali. Le 8 mai 1945, le surprend adolescent, mais assez « turbulent » pour passer 3 jours au commissariat. « J'ai sans doute été influencé par le milieu politique et religieux. Ma famille est nationaliste. Ma sœur Malika est tombée au champ d'honneur, de même que mon cousin Hadadi Abdelaziz. J'ai milité au sein des étudiants à Constantine et à Alger où j'étais responsable de la cellule PPA-MTLD. » Un homme accompli En contact avec Abane, il a été arrêté le 8 décembre 1955 avec Ferhat Abbas et le Dr Francis, puis relâchés au bout de 2 jours. Mais avant, Tahar va à la rencontre de la medersa qui l'accueille à Constantine (1947-1950) puis à Thaâlybia d'Alger (1951-1954). « J'avais opté pour la section moderne aux côtés du regretté Hihi El Mekki. Mes camarades de promotion étaient Abdellaoui, Mohamed Sahnoun, futur ambassadeur et Lakhdar Brahimi qui n'est plus à présenter. » Destiné à l'enseignement, Tahar se verra affecter à Palikao (Tighenif) en qualité de prof d'arabe jusqu'en 1955, avant de retourner à Alger où il occupera le même poste à l'école Chaâbia de Belcourt, son quartier d'adoption. Parallèlement à sa fonction, Tahar activait à l'UGTA qui venait de naître et dont il fut l'un des fondateurs, aux côtés de Bourouiba, Djermane et les autres… Son activité, un peu trop débordante aux yeux de l'occupant, lui valut d'être arrêté le 24 mai 1956. Il connut alors les geôles de Berrouaghia, Bossuet, Paul Cazelles, Saint Leu, Barberousse. Une longue traversée qui ne prendra fin que le 30 mars 1962. L'indépendance acquise, Tahar renoue avec la craie et le tableau noir, au lycée Hassiba Ben Bouali, où il prodigue ses cours d'arabe, tout en étant secrétaire national de l'UGTA, chargé de l'orientation. Il évoquera avec émotion « les problèmes avec Ben Bella et le coup de force qui eut raison du premier congrès de l'UGTA. » Le 24 mai 1963, Tahar est désigné en qualité d'ambassadeur d'Algérie au Ghana. Il fut par la suite nommé directeur de l'information au ministère de l'Information, puis directeur des affaires juridiques et consulaires au ministère des Affaires étrangères, durant 5 ans. Puis il est de nouveau ambassadeur en Tanzanie, couvrant pratiquement toute l'Afrique australe. En 1978, il retourne à Alger. Quelques années après, il est mis à la retraite à l'âge de 52 ans. Cette mise à l'écart, Tahar l'explique par un vieux contentieux avec le ministre de l'Information de l'époque, avec lequel le courant ne passait pas. « En tant que directeur, je m'insurgeais contre certaines décisions. Je me rebellais, car je n'étais au courant de rien et des décisions se prenaient au-dessus de ma tête. Mes positions n'ont pas eu l'heur de plaire au ministre en question, qui garda rancune, puisque c'est lui qui est à l'origine de mon éviction lorsqu'il fut affecté au MAE où je me trouvais. » Une carrière écourtée Ma carrière diplomatique fut ainsi écourtée. Mais à quelque chose, malheur est bon, puisque cela m'a fait du bien et j'ai commencé à écrire en m'intéressant de près aux études islamiques. De son expérience diplomatique, il parle avec ferveur mais aussi avec une pointe de regret conséquence d'une œuvre non achevée. « J'ai eu le privilège d'être nommé dans deux pays importants, le Ghana où N'krumah avait une vision panafricaine. J'étais à un poste d'observation de la politique africaine et c'était important pour nous qui soutenions tous les mouvements de libération. En Tanzanie, il y avait le siège du comité de libération. L'Algérie y était membre et j'en étais le représentant permanent. Dans ce pays, j'ai été frappé par la personnalité du Mualimu Jules Neyrere, un ancien instituteur devenu un chef d'Etat d'envergure. C'était un homme exceptionnel, doté d'une grande culture. Il a même traduit Hamlet en Swahili. Lorsque le roi des Belges est venu à Dar Esalem, il avait apostrophé Neyrere en ces termes. « Est-ce que vous êtes capables de faire des analyses politiques ? Le Mualimu lui rétorqua subtilement : Faites-le vous mêmes, en sachant que vous ne cherchez pas nos intérêts. Nous prendrons le contre-pied de vos conclusions. » Et de conclure, « chaque fois que je suis applaudi très fort par l'Occident, c'est que je fais fausse route. » Ces répliques m'ont marqué et je ne suis pas peu fier d'avoir côtoyé des hommes de cette trempe qui avaient un dessein non seulement pour leur pays, mais pour l'Afrique tout entière. Comment s'est-il mis à écrire sur l'Islam ? Presque incidemment. « Je faisais des fiches sur les personnalités de l'Islam, pour mes enfants. A un moment donné, je me suis retrouvé avec l'équivalent d'un livre. Mon frère Mouloud m'a encouragé à éditer. Aussi, dans la foulée, j'ai écrit Réflexion sur la pensée islamique. Lexique philosophique français arabe, arabe français. Durant la décennie sanglante, Tahar a échappé de peu aux assaillants qui ont investi sa maison. Contraint à l'exil, il vivra en France où il s'adonnera, pour survivre, à la traduction et à son péché mignon, l'écriture. Il y a quatre mois, Tahar a publié un livre sur la prière et a en chantier une encyclopédie islamique en 2 volumes qui paraîtra, en principe, l'année prochaine, sans compter les essais comme le Commentaire précis du Coran ou Le concept de la liberté dans la Aqida. « Je ne peux me considérer comme islamologue, mais comme l'Islam est ma culture, je ne fais qu'approfondir ma formation de base sur le droit musulman et sur les prodigieuses études sociétales faites par le grand Ibn Khaldoun. Tenez par exemple, lorsque j'étais en France, je me suis attelé à donner aux émigrés une image du véritable Islam, dans leur langue en traduisant El Ghazali et El Mohassibi. » Un islamologue ? Il fonda avec Ben Khedda le parti Oumma. « Ce fut une aventure, teintée de déception, parce qu'en fin de compte, certains voulaient l'atteler au parti dissous. Ce que des cadres du parti comme Ihadaden, Benhamida et moi-même refusions de toutes nos forces. On ne voulait pas être un simple appendice d'un parti qui allait plonger le pays dans le chaos. Finalement, le parti fut dissous. On nous taxait d'islamistes, alors qu'en réalité on militait pour sortir la religion des fausses interprétations que certains apprentis sorciers voulaient lui donner, car ce qui nous manque encore aujourd'hui, ce sont d'authentiques penseurs, des théologiens avérés. » Sur un autre plan, je suis contre les appellations fourre-tout « Islam politique, islam modéré, cela me rappelle la Révolution où l'occupant désignait les dirigeants du FLN par durs, par mous jusqu'à faire sortir de ses gongs l'un d'eux. Vous nous prenez pour des caramels ou quoi ? Tahar, conscient du retard intellectuel de la pensée islamique, en appelle à la libération des énergies. « Il faut, dit-il, se décomplexer, en acceptant la notion d'islamisme. Il faut la dépoussiérer, la remettre sur ses véritables rails. Il est du devoir des intellectuels musulmans de définir le pourquoi du mouvement de la pensée, de préciser ce que nous sommes réellement et enfin de savoir nous démarquer du monde occidental, tout en nous insérant dans la sphère de la création universelle. » Son regard sur l'Algérie de 2007 ? Il y a des réalisations, mais on est loin du compte. La production intellectuelle est presque nulle. Les gens sont ligotés. Le danger c'est qu'on ne se contente pas d'importer des produits mais aussi des concepts et des idéologies contraires à nos valeurs et à notre culture », résume-il en promettant de consigner toutes ces réflexions dans des livres à venir. PARCOURS Tahar Gaïd est né en 1929 près de Guenzet en petite Kabylie. A 15 ans, il est déjà imprégné de politique et milite dans une cellule PPA MTLD. Après des études à Alger et Bordj Bou Arréridj, il entre à la medersa de Constantine et à Attaâlybia d'Alger où il obtient le diplôme de prof d'arabe. Syndicaliste, Tahar intègre l'UGTA dont il est l'un des membres fondateurs. En contact avec Abane à Alger, il est arrêté en 1955 puis relâché. Il est de nouveau arrêté en 1956 pour y être emprisonné jusqu'au 20 mars 1962. A l'indépendance, il est enseignant au lycée Hassiba Ben Bouali avant d'être nommé ambassadeur au Ghana et en Tanzanie. Ayant eu des problèmes avec le ministre des AE de l'époque, il est mis à la retraite à l'âge de 52 ans. Depuis, Tahar s'est adonné à l'écriture. A son actif, de nombreux ouvrages consacrés surtout à l'Islam.