Le Parti des travailleurs (PT) se dit « près du peuple », ne cachant pas l'ambition d'obtenir, un jour, la majorité parlementaire et pouvoir ainsi gouverner seul. Pour le moment, selon Louisa Hanoune, il n'est pas question de participer dans un cabinet dont la vision est en porte-à-faux avec le programme du PT. La secrétaire générale du parti développe également, dans l'entretien qui suit, plusieurs questions de l'heure, n'omettant pas d'exprimer son soutien au président de la République. Le PT a passé un accord avec le FLN à la veille des sénatoriales. Cela préfigure-t-il une alliance pour le long terme ou est-ce juste un accord conjoncturel ? Ce n'est pas une alliance, c'est un terme qui est absolument inapproprié. Je suis très surprise que l'on ne fasse pas de différence entre un accord politique, ponctuel, limité et une alliance qui prépare le terrain à un programme gouvernemental commun. Ce n'est pas la première fois d'ailleurs que nous passons des accords avec des partis politiques. Cela s'est déjà produit en 2002 lorsque les sénatoriales se sont présentées. Vu que nous étions minoritaires, présents que dans les APW, que nous avions décidé de ne pas présenter de candidats, nous avons donné nos voix à d'autres partis politiques qui nous ont sollicités, à savoir le FLN et le RND. Il n'était pas question, et il n'est toujours pas question, de demander à ces partis d'épouser notre programme dans sa totalité. Il ne s'agit pas non plus de chèque en blanc. Nous avons passé en 2002 des accords qui portent sur des questions d'intérêt national dont la paix et sur des questions locales. Dans le genre défendre un hôpital menacé de fermeture, défendre les entreprises, l'environnement, etc. La presse en avait fait état. Cette fois-ci, il se trouve que seul le FLN nous a sollicités. Il y a eu un accord au sommet du point de vue de la démarche et qui a été décliné sur le plan local à travers des accords rendus publics entre les élus du PT et les candidats FLN dont la liste nous a été transmise par leur direction. Si le FLN, qui gouverne actuellement, venait à vous proposer des portefeuilles ministériels, l'accepteriez-vous ? La position du PT concernant la participation gouvernementale est connue de tout le monde. Cela s'est déjà produit en 2000 et en 2002 et nous avons dit que du point de vue de la démocratie, c'est à la majorité de gouverner tout en respectant le droit de la minorité à s'exprimer. Cela signifie que le PT gouvernera lorsque la majorité du peuple algérien lui donnera mandat pour appliquer son programme. Nous avons un programme. Nous respectons le multipartisme. Le respect du mandat exige de chaque parti de tenir ses promesses. Si nous sommes passés de 4 sièges à 21 sièges à l'APN, c'est parce que d'abord il y a eu continuité dans nos positions. Et c'est à cause de cela que notre base s'est élargie. Les citoyens ne cessent pas de nous dire : « Ne changez pas de politique. » Nous sommes en train de structurer le parti dans la perspective de représenter le peuple et obtenir la majorité et pouvoir gouverner. C'est le rôle de tout parti. Avez-vous préparé vos listes électorales, du moment que vous êtes partant pour les législatives et les locales qui auront lieu en 2007 ? Je dois dire que pas encore. Nous devons terminer l'opération de structuration du parti. Nous avons fait le bilan lors de la dernière réunion du comité central de l'année 2006. Le bilan définitif de 2006, nous le ferons à la fin du mois de janvier ainsi que le bilan des commissions. Les résolutions du congrès en la matière sont claires. Il y a déjà un certain nombre de critères d'éligibilité à la candidature qui sont arrêtés. Pour nous, ce n'est pas tant le diplôme supérieur qui compte. Nos militants candidats sont tenus de maîtriser le programme du parti. Cela dit, nous voulons donner une grande place aux femmes. Nous en avons discuté longuement lors du congrès. Il faut encourager les militantes à se mettre en avant. D'aucuns disent que le PT, jadis très critique, ne semble plus hostile à l'UGTA... Le PT n'a jamais été hostile à l'égard de l'UGTA. L'UGTA est l'organisation syndicale dans laquelle sont organisés les travailleurs à l'échelle nationale dans tous les secteurs d'activité indépendamment de leur langue maternelle, de leurs régions. L'UGTA matérialise en quelque sorte l'unité des travailleurs, donc l'unité de la nation, et ce, par-delà les positions de sa direction sur telle ou telle question. Il nous arrive de passer des accords avec la direction de l'UGTA dans le respect des missions de chacun. Nous l'avons fait pleinement en ce qui concerne la conférence de solidarité avec les femmes palestiniennes qui s'est tenue en décembre 2006 à Alger. C'est Sidi Saïd lui-même qui a proposé la déclaration finale, annonçant la constitution d'un comité syndical international pour défendre les droits des femmes arabes de Nazareth, plus généralement les droits des travailleurs arabes palestiniens qui vivent encore à l'intérieur des frontières de 1948. Siégeant au BIT, Sidi Saïd s'est engagé à porter la voix de ces travailleurs à l'échelle internationale. Sur le plan interne, le PT a soutenu l'UGTA lorsqu'elle a appelé à la grève générale en 2001 et en 2003 pour la défense des hydrocarbures. Chaque fois que l'UGTA défend les intérêts des travailleurs et de la nation, nous appuyons. Qu'en est-il des syndicats autonomes ? Si nos militants sont en majorité ugétéistes, il reste que depuis notre dernier congrès, nous avons décidé d'ouvrir les portes du parti y compris aux syndicalistes activant dans d'autres organisations autres que l'UGTA. Bien évidemment, nous ne saurions mettre un signe égal entre la centrale syndicale et un syndicat sectoriel. Mais il faut savoir que celui qui a créé le multisyndicalisme ne l'a pas fait pour les beaux yeux des travailleurs. Il l'a fait pour les diviser. Pour faire passer les réformes économiques. Nous respectons le choix de chaque travailleur d'adhérer à telle ou telle organisation. Nous sommes pour le respect des conventions de l'OIT qui régissent les libertés syndicales. Nous soutenons les revendications du syndicat des enseignants du supérieur (CNES), ou encore celles posées par la Coordination nationale des lycées techniques et technicums pour ce qui est de la préservation des lycées techniques. Lors de la grève des professeurs de lycées en 2003, nous avons appelé à l'unité des travailleurs, indépendamment de l'appartenance syndicale. Qui a intérêt à fragiliser l'unité des travailleurs ? L'enseignant a les mêmes problèmes, qu'il soit à l'UGTA ou dans un syndicat autonome. Idem pour l'enseignement supérieur. D'ailleurs, entre la fédération UGTA de l'enseignement supérieur et le CNES il y a un travail commun qui se fait. C'est ce que nous recherchons. Notre démarche stratégique reste la défense des organisations syndicales, l'unité des travailleurs. Car il ne faut pas oublier les visées des tenants de la mondialisation qui veulent transformer les syndicats en ONG. Les ONG n'ont rien à voir avec les intérêts des travailleurs. Etes-vous pour la levée de l'état d'urgence ? Depuis le début de la crise, nous n'avons eu de cesse d'expliquer que le rétablissement de la paix est la condition sine qua non pour la réappropriation des espaces de liberté que nous avons malheureusement perdus à cause de l'insécurité. Nous pensons qu'aujourd'hui il y a tout de même une nette amélioration de la situation sécuritaire. Elle est palpable sur le terrain. Ce qui ne veut pas dire que nous sommes complètement sortis de l'ornière. Non. Maintenant, nous pensons qu'il est possible tout de même d'ouvrir le champ politique, tout en œuvrant pour qu'enfin se taise définitivement le langage des armes. Mais il ne faut pas confondre la question du terrorisme idéologique avec le banditisme à grande échelle qui est en train de se développer en conséquence de l'économie de bazar, d'intérêts liés à la « maffiotisation » de l'économie, aux seigneurs de la guerre. Mais nous disons que le droit de manifester ou de faire grève est un droit constitutionnel. Nous avons manifesté pour la Palestine et l'Irak. Tout le monde sait ce qui s'est passé. Cela n'est pas acceptable. Le ministre de l'Intérieur dit que les conditions ne sont encore réunies pour autoriser les manifestations notamment à Alger. Il dit également qu'il y a manque de maîtrise des troupes. C'est vrai qu'il y a eu dérapage en 2001, lors de la marche du 14 juin, mais faut-il rappeler qu'à l'origine de la crise se trouvait une provocation ? Il faut rappeler aussi que beaucoup de manifestations se sont déroulées dans le calme et que partout dans le monde, y compris dans les vieilles démocraties, des manifestations peuvent dégénérer suite à des provocations. L'ouverture du champ médiatique est une revendication posée depuis longtemps par la classe politique. Le PT y souscrit-il ? Il est temps que la télévision s'ouvre au débat contradictoire. En 1997, après les élections, alors que le pays était encore en pleine crise, la télévision se prêtait volontiers au débat contradictoire. Les Algériens étaient passionnés par cela. Ils avaient commencé, enfin, à connaître les partis, à faire la part des choses. Les Algériens suivaient tout ce qui se passait à l'APN car les débats étaient tous couverts. Ils suivaient de jour comme de nuit. Depuis ces dernières années, les choses sont tout autres. C'est dommage et regrettable que les débats sur la loi sur les hydrocarbures n'aient pas été couverts dans leur totalité alors qu'il s'agit du sort de la nation. Même constat concernant les accords sur l'association avec l'Union européenne qui met à l'ordre du jour la désertification de l'Algérie. En 1990, nous avons vécu une expérience unique au monde tant l'ouverture politique et médiatique était réelle. Je me souviens que n'importe quel Algérien pouvait aller à la TV à 2h du matin et dire : « Je veux soutenir l'Irak. » La télévision s'était portée volontaire, sans argent, sans rien, pour aller couvrir à Baghdad. Vous vous êtes abstenu à l'APN lors du vote sur la loi de finances 2007. Est-ce un quitus au Président ? C'est en effet la première fois que nous nous abstenons sur une loi de finances. Pourquoi ? Nous n'avons pas voté contre la loi de finances 2007 parce qu'elle intègre le plan d'appui à la relance économique, c'est-à-dire des investissements publics colossaux, et le recours au fonds de régulation des recettes, ce qui, avec le principe d'augmentation des salaires, même minime, constitue une amorce de rupture avec les injonctions du FMI qui y a toujours été opposé. De plus, ces questions font partie de notre combat. Malheureusement, le budget de fonctionnement n'a pas beaucoup augmenté, il n'y a que 44 000 emplois de créés, alors que nous avons besoin de 100 000 postes, entre autres, dans l'enseignement, la formation professionnelle, l'enseignement supérieur, la santé. Et sur le plan social de l'emploi et des salaires, les voyants sont au rouge. Nous avons voté pour la renationalisation des hydrocarbures en précisant qu'elle reste à compléter. Toute victoire de la nation est aussi la nôtre. Nous n'avons pas lâché pendant un an et demi. Nous avons collecté un million de signatures, interpellé le Président sans relâche. C'est le sauvetage de la nation qui était à l'ordre du jour et le temps nous a donné raison. Le Président, a déclaré le 26 décembre que nos entreprises publiques stratégiques ne sont pas à vendre. Il a dit que le passage à l'économie de marché ne veut pas dire liquider nos entreprises et que la privatisation ne signifie pas bradage. Or, c'est précisément ce qui s'est passé ces dernières années. Dans le discours du Président, d'autres points que nous jugeons positifs sont à relever, par exemple quand il dit non aux investisseurs privés qui veulent l'argent public sans aucun apport de leur part et que l'Etat mette tout à leur disposition, qu'il paie les dettes des entreprises qu'ils veulent acquérir, que l'on réduise la masse salariale et que l'Etat paie les départs volontaires avec en prime des emprunts sur une durée de 25 ans sans intérêts. C'est en effet du pillage, que nous combattons. Mais si nous étions rassurés par ces propos tenus par le Président, et encore une fois nous ne comprenons pas cette dichotomie à l'intérieur des institutions. Au nom de qui parle Temmar ? Quels intérêts défend-il ? Après avoir annoncé, au nom du gouvernement, que les 100 entreprises les plus importantes ne vont pas être privatisées, parce que stratégiques, il est revenu de Paris en disant non, nous allons au contraire accélérer les privatisations. Et le fait que l'élaboration d'une nouvelle stratégie industrielle ait été confiée à Temmar n'est pas pour nous rassurer. A notre avis, il s'agit d'abord d'ordonner l'arrêt des privatisations, de faire le bilan des opérations réalisées à ce jour et d'ouvrir un débat national pour dégager une politique conforme à nos besoins. Pour notre part, partant du désastre engendré par la fermeture et la cession des entreprises, nous apprécions la position des experts de l'UGTA appelant à la suppression du MPPI et du CPE. Pour réhabiliter les missions des institutions traditionnelles de l'Etat, à savoir les ministres, le gouvernement, le Conseil des ministres et le chef de l'Etat. Il en est de même pour les agences de régulation dans le secteur des agences de régulation dans le secteur des hydrocarbures, de l'électricité, de l'eau… En ce début d'année 2007, deux évènements attirent notre attention : d'un côté la décision du président vénézuélien de renationaliser toutes les entreprises qui ont été privatisées par son prédécesseur que nous soutenons, et d'un autre côté le procès du complexe Khalifa et la dissolution de BRC. A notre avis, ces deux affaires ont un pendant politique que la justice ne saurait traiter car il s'agit de répondre à la question de comment en est-on arrivé là ? De ce fait, c'est le procès des réformes économiques impliquant le désengagement de l'Etat et la généralisation de la corruption et de la gabegie. Pour nous, cela appelle bien sûr l'intervention de la justice mais aussi l'ouverture d'un débat pour s'attaquer aux racines du mal. Comment peut-on situer le parti des travailleurs ? A gauche ? Le PT est un parti indépendant, il se réclame du socialisme dans la continuité du combat libérateur du peuple algérien. Il se réclame de la lutte d'indépendance, de l'Etoile nord-africaine, du PPA. Dans le cadre de l'entente internationale des travailleurs et des peuples, le PT défend les causes des travailleurs et des peuples, celles menées par le peuple palestinien, le retrait des troupes d'occupation de l'Irak... Il défend aussi les conventions de l'OIT. Quant à la question de gauche et de droite, il y a tellement de concepts qui ont été galvaudés. Peut-on se réclamer de la gauche tout en étant pour les privatisations, tout en étant pour l'occupation de l'Irak, de l'Afghanistan, de la Somalie ? Il y a des partis qui se disent socialistes mais qui sont pire que la droite. L'écrasante majorité du peuple est pour le maintien des entreprises publiques. Est-elle ainsi à gauche ? Je dirais oui en ce sens que le peuple est contre le fait qu'une minorité accapare des richesses et les moyens de production du pays.