Décadence et apogée des Arabo-musulmans : le duo — incompatible avec une lecture scientifique de l'histoire — a marqué les interrogations des présents aux Débats d'El Watan, jeudi dernier, au grand hôtel Mercure d'Alger. Pour Abdesselam Cheddadi, professeur à l'université Mohammed V de Rabat, traducteur et spécialiste d'Ibn Khaldun, la civilisation musulmane a joué le rôle d'« agent actif » dans l'histoire en accueillant et en développant les courants les plus percutants de la sphère irano-sémitique. Les Arabes, selon Houari Touati, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris, sont entrés dans l'histoire parce qu'ils ont porté un langage universel : l'Islam, l'héritage des grands courants monothéistes remontant à Ibrahim-Abraham. Le prophète de l'Islam, Mohamed – grand voyageur également grâce à son métier de commerçant— ne disait-il pas aux juifs d'Arabie qu'il s'inscrivait dans la continuité du message d'Ibrahim ? Tradition hébraïque elle-même héritière — le mot ici devrait être plus nuancé — des grandes thématiques mythiques de la civilisation babylonienne (le Déluge, l'Eden, l'Homme fait d'argile, les Livres célestes, etc.). En fait, l'Islam a unifié les idées fragmentaires morales et égalitaires dans le système irano-sémantique. Culture métissée, universalisme et humanisme : triptyque porté par les plus grands penseurs de la civilisation arabo-musulmane. Depuis Al Kindi (801-873) qui milita pour contrecarrer l'aversion de ses coreligionnaires envers la réception ou l'assimilation des méthodes et des concepts étrangers. Il sera en quelque sorte le symbole de cette tentative pour amoindrir le choc entre les deux cultures grecque et musulmane, jusqu'à Ibn Rochd (1126-1198) dont l'ouverture d'esprit lui coûta la persécution de bien-pensant de l'époque. Mais voilà que cette civilisation, marquée par la richesse des apports, se voit elle-même menacée par le renfermement dogmatique. Et alors que cette même civilisation tombe, jusqu'aux temps présents, dans une phase de panne historique, au point où les Arabes ont « perdu le pouvoir de déchiffrer le monde en posant plutôt les questions en termes émotionnel ou symbolique », comme le souligne Houari Touati, les trésors de son savoir sont sauvegardés par d'autres sphères. Ce sont également les traducteurs juifs-européens du Moyen-Age qui joueront un rôle important dans cette entreprise. Spinoza n'a-t-il pas découvert Hay Ibn Yaqdhan d'Ibn Toufayl — devenu sa lecture de référence grâce à la traduction de Moïse de Narbonne ? Il est vrai, reconnaît Touati, que l'affiliation des apports arabes est niée en Occident, réduisant les Arabes au rôle de simples médiateurs, niant l'apport en humanisme (Al Kindi) et proposant une vision selon laquelle occidentalisme rime avec modernité. Que faire maintenant ? Pleurer sur les ruines ? D'abord, comme le préconise Cheddadi, éviter de continuer à dire : « Nous avons notre Islam, notre Histoire », au risque de se retrouver hors jeu des enjeux mondiaux d'aujourd'hui. Car que proposer face à la construction américaine actuelle du « choc des civilisations ? » « Substituer ‘‘l'ouverture'' (atafatouh) par un nouveau rapport mieux négocié intellectuellement avec la culture latine », dit Houari Touati, en nuançant qu'il ne s'agit pas de solliciter la culture latine comme « maître », mais pour y trouver l'hospitalité comme elle le fait à travers son héritage d'arabicité. « Ce n'est pas une question de supériorité, mais de filiation », insiste-t-il, ajoutant qu'« une vraie renaissance (nahdha) par une expérimentation de l'histoire ». Mais aussi par un juste retour à l'universalisme et à l'humanisme.