Il faut toujours se dire : « Ce n'est point parce que j'ai réussi que je suis content ; mais parce que j'étais content que j'ai réussi. » Alain Physiquement, elle a beaucoup changé, le petit bout de femme frêle qui subjugua le monde du sport grâce à son talent, son audace et son courage. Elle a pris des kilos en plus, « ce qui est parfaitement dans l'ordre des choses, pour une athlète qui a mis fin à sa carrière, il y a des années déjà », minimise son entourage. Physiquement, elle a beaucoup changé, le petit bout de femme frêle qui subjugua le monde du sport grâce à son talent, son audace et son courage. Elle a pris des kilos en plus, « ce qui est parfaitement dans l'ordre des choses, pour une athlète qui a mis fin à sa carrière, il y a des années déjà », minimise son entourage. Dans son bureau de directrice générale de la Société de distribution de produits pharmaceutiques, dans la banlieue ouest d'Alger, le ton est ferme mais poli avec ses employés. C'est qu'elle garde toujours ses élégances et sa subtilité de femme et de sportive. Son humilité et sa délicatesse sont tout aussi intactes, bien qu'il reste difficile de bien gérer sa retraite après une carrière qui fait toujours rêver. Mais Hassiba assume, fière de la petite athlète venue de province pour aller taquiner les cimes dans les plus grandes enceintes sportives mondiales et qui a fait du culte de la gagne son credo. Aujourd'hui, pour elle, tout est « benef » car la chétive enfant de Constantine ne rêvait sans doute pas à ses débuts, à une destinée aussi prodigieuse. Modeste comme le milieu dont elle est issue, Hassiba se démarque très tôt de ses 5 sœurs et ses 2 frères, en optant pour le sport grâce à des prédispositions précoces. « A 10 ans, se souvient-elle, le prof qui m'a détecté, Labed Abbou, m'a lancé dans le bain de la compétition avec mes aînées de l'AJC. Je n'ai fait qu'une bouchée de mes adversaires, pourtant plus âgées au cross de Aïn Smara. Le coach a vu en moi une future championne. Pourtant, avoue-t-elle, je n'aimais pas l'athlétisme. J'étais plutôt tentée par les sports co où on se retrouvait ensemble dans la convivialité, en groupe. Cela me choquait de me retrouver seule, dans un grand stade, dans le froid à déployer des efforts titanesques. Mais je m'y suis fait avec le temps aux côtés des étudiantes avec lesquelles je m'entraînais et dont j'étais la mascotte. Forcément, j'ai fini par y prendre goût. » Une battante Taquiner la solitude, peut-être parce que le milieu familial uni le voulait ainsi ou la solidarité et l'entraide ne sont pas de vains mots. Peut-être aussi pour conjurer le sort d'un père émigré à Grenoble qu'on n'a pas souvent vu qui n'a rejoint le bercail qu'au milieu des années 1980. Alors lorsque le baptême du feu s'annonça pour elle en 1986 lors des championnats arabes de Baghdad, ce fut la cerise sur le gâteau d'autant qu'elle surclassa toutes ses rivales pourtant plus âgées qu'elle. Cette première médaille sonna comme un déclic annonciateur de lendemains qui chantent. Cela s'est enchaîné, une grande star est née et ce n'est pas le championnat du monde de Neuchatel, durant la même année, qui la démentira en se classant 80e sur 280 participantes. « Ce n'était pas du nectar, mais pas mal à l'époque puisque les gars de la Fédération qui m'avaient fait participer n'étaient pas du tout déçus. » Mais comme la médaille a son revers, Hassiba a connu l'année suivante quelques déboires à Constantine. « Mon programme n'était pas adapté. J'ai connu, de ce fait, des ennuis de santé. Il fallait travailler beaucoup plus, car je n'avais pas pratiqué de sports de base. J'ai eu un déséquilibre rotulien. Heureusement pour moi, le professeur Brahimi qui m'a pris en charge, a su me retaper et me remettre sur pied. Je lui en suis reconnaissante. J'ai vite récupéré et en 1988 je suis revenue, par la grande porte en remportant 2 médailles d'or (800 et 1500 m) au championnat d'Afrique à Annaba, m'ouvrant grandes les portes des JO de Séoul. » Hassiba sera déçue au pays du petit matin heureux ! Eliminée dès les premiers tours aux 800 et 1500 m, elle en garde un souvenir douloureux. « J'étais angoissée, j'ai beaucoup pleuré en ne sachant pas ce qui m'arrivait. Mais j'ai pris à témoin mon entourage en faisant le serment que j'allais me rattraper lors des prochains jeux. » Hassiba a dû faire le vide dans sa tête en oubliant tous les tracas, comme le lui suggérait son coach. « On a travaillé comme des dingues 8 heures par jour. Puis, en 1990, on a commencé à faire des stages en Allemagne à l'INSEP et en Italie. Je suis devenue professionnelle et, à ce titre, il me fallait un sponsor et un manager. Ma chance est d'être tombée sur un bon manager italien, Enrico Duonisi, celui là même qui s'occupait de Saïd Aouita. C'est dire que j'avais mis la barre très haut. Ce manager m'a décroché mon premier contrat avec l'équipementier Diadora. » Des courses fluides Sous cette nouvelle version, Hassiba s'attaquera à sa première compétition d'envergure en prenant part au championnat russe, auquel elle était invitée. « Je m'y suis débrouillée en battant le record d'Algérie du 800 et du 1500 en me classant parmi le trio de tête. On a renoué avec la confiance et mon coach était content. » Hassiba se portera à l'assaut de deux gros morceaux, sans doute les deux événements les plus marquants du monde des pistes. Les championnats du monde de Tokyo et les Jeux Olympiques d'Athènes où elle décrochera avec le brio qui est le sien de l'or aux 800 et 1500 m. A Tokyo, les yeux étaient davantage braqués sur Morceli. « Certains dirigeants ne misaient pas beaucoup sur moi. Je les démentirais en effectuant une très belle course en finale, marquée par la rapidité, la tactique et la fluidité. Ce triomphe fut fêté et salué comme il se doit. » Hassiba n'oubliera pas le serment fait après la contre-performance de Séoul. Barcelone le rappellera à son bon souvenir, bien que le chemin menant à la capitale catalane fut pavé d'embûches et d'obstacles. La situation politique qui prévalait à l'époque n'incitait pas à l'optimisme et la violence commençais déjà à se manifester. Les stages prévus en Algérie furent carrément programmés à l'étranger. « Toute cette angoisse, toute cette peur, nous les avions subies. Malgré l'adversité. Je revois encore les trois Russes qui voulaient me prendre en sandwich. Dieu merci, j'ai réussi mon objectif avec, à la clef, un chrono fabuleux (3'55) meilleure performance mondiale de tous les temps. Quand je revois le film qui défile dans ma tête, les souffrances, les défis insensés, je me dis que tout est possible pour quelqu'un qui a la foi. Les Algériens ont ressenti les mêmes sensations, les mêmes émotions. Le peuple, devenu très fragile, a pleuré avec moi. Je symbolisais, en fait, l'Algérie déchirée, meurtrie, tourmentée, mais l'Algérie qui gagne malgré tout. » « Je me suis sacrifiée alors que mon père agonisait, victime d'une attaque cardiaque. Inconscient, il a été évacué en France. Je l'ai rejoint mais vous ne pouvez imaginer la tristesse qui m'a envahie. J'étais démoralisée, mais avec assez de courage pour reprendre le flambeau aux championnats du monde de Stuttgart en 1993 où j'ai commencé à ressentir les conséquences des charges passées. D'ailleurs, peu avant, aux JM du Languedoc-Roussillon auxquels je ne devais pas concourir, j'ai été contrainte de courir le 800 m que j'ai remporté, mais pas question pour le 1500 m auquel j'ai participé de force. Le résultat était lamentable, car cette course n'était pas dans mes prévisions. » En Allemagne, Hassiba frisera la dépression nerveuse. C'est grâce à son entourage qu'elle a pu remonter la pente. « A Stuttgart, j'ai participé alors que j'avais un ongle incarné et une cheville anesthésiée. J'ai remporté la médaille de bronze. Je l'aime beaucoup cette médaille, car c'est celle du courage suprême. Je défie quiconque de faire ce que j'ai fait. » A Atlanta, elle fait une chute fatale suite à une entorse à la cheville. Quelques semaines plus tard, on tentera de l'orienter sur le 5000 m, ce qu'elle refusa. Puis vint l'année 1998, celle de tous les malheurs, avec notamment le décès de sa mère. « Je n'arrivais plus à trouver mes repères… L'entraînement est devenu pour moi une torture. Je n'avais plus le cœur à aller en stage, enfermée comme une prisonnière. Mon entraîneur semblait fatigué. On a essayé d'aller jusqu'au bout, mais sans conviction. Même avec le coach russe, on n'est pas parti trop loin. J'ai senti la fin et j'ai sagement raccroché mes pointes. » C'était un combat constant. On ne peut pas faire ce métier en dilettante. On part forcément en guerre. Alors, c'est agréable de déposer les armes. Après ces péripéties, elle finira par tout plaquer pour aller s'installer avec son père à Miami, aux Etats-Unis, où elle possède une résidence. Son père finira par rentrer. Des regrets ? « Celui de ne pas être restée assez longtemps auprès de ma mère, ma première supportrice. » Elle ne cache pas aussi sa colère à l'encontre de « cette attitude inexplicable des deux ministres de la République ». « L'un s'est acharné à nous mettre des bâtons dans les roues avant Göteborg, alors que l'autre a fait intervenir la force publique pour m'expulser des locaux que je louais à l'OCO, malgré un contrat en béton. » Elle n'a pas compris que l'Algérie, à laquelle elle a tant donné dans la douleur, puisse lui tourner ainsi le dos. Lorsqu'on lui dit qu'elle a marqué, par son style, une époque tourmentée et sanglante, s'érigeant comme le porte-flambeau de la femme, elle n'y voit pas un fait d'armes, encore moins un acte exceptionnel. Une place dans le cœur des algériens « Si je suis arrivée à prendre une place dans le cœur des Algériens, c'est grâce à mon nationalisme. Ce n'était pas superficiel, je vous le jure. J'ai porté et je porte toujours l'Algérie dans mon cœur. Mon nationalisme et mon travail se sont conjugués pour donner le symbole de la réussite de la femme arabe, musulmane, moderne contre tous les préjugés, contre tous les fanatismes. J'en suis très fière. Je suis encore plus flattée lorsque des hommes m'ont avoué : ‘'Tu nous a donné un espoir dans une période très noire.'' J'ai bien aimé ces confessions. » A ceux qui lui reprochent d'avoir fait une incursion trop remarquée en politique, elle rétorque qu'elle a soutenu l'Algérie dans les moments difficiles et rien d'autre. « C'est la politique qui est venue vers moi et non le contraire. Si j'avais été intéressée, j'aurais sauté sur un poste de responsabilité. La preuve, après je me suis éclipsée en retournant à mon milieu naturel. » De sa reconversion, elle parle avec pragmatisme. « Elle est toujours difficile pour les sportifs et pas seulement chez nous, se félicitant que la sienne s'est faite en douceur. Elle regrette toutefois que son expérience sportive acquise de haute lutte ne soit pas mise à profit. » « A la rigueur, ma place est dans le sport dans lequel j'ai grandi. La riche expérience que j'ai acquise, on ne la trouve pas dans les bouquins », assène-t-elle avec regret en faisant valoir qu'actuellement les vedettes ce ne sont pas les athlètes, mais les dirigeants. Quant à la situation burlesque que vivent les Fédérations dont celle de l'athlétisme, elle regrette qu'on en soit arrivé là. Un clin d'œil quand même en direction de son ancien entraîneur, candidat à la présidence de la FAA. « Amar est un excellent technicien. Sa place est sur le terrain. Je ne le vois pas comme gestionnaire. En tout cas, moi, je suis adepte de l'adage qui dit ‘'A chacun son métier''… » PARCOURS Hassiba est née le 10 juillet 1968 à Constantine. Elle signe sa première licence avec l'AJC en 1983. Encore adolescente, elle fit son premier voyage à l'étranger à Baghdad, précisément où encore junior elle réalisa une performance encourageante. En 1986, la FAA l'engage au Championnat du monde à Neuchatel où elle se débrouille pas mal. Amar Bouras, qui a croisé son destin, lui apportera la rigueur et la technicité dont elle avait besoin. Elle se distingue au Championnat d'Afrique à Annaba en 1987. Puis, elle quitte Constantine pour Alger où l'attend un régime spartiate de préparation, sans compter la déchirure liée à son départ de Cirta. Ses participations sont couronnées de succès à Tokyo, aux Jeux méditerranéens d'Athènes, Barcelone, Stuttgart. Présidente du groupe HBI (pharmacie et parapharmacie) et représentante exclusive de Diadora en Algérie.