Le 6e jour du procès de la BCIA a été caractérisé par la confrontation de plusieurs accusés, des grossistes en majorité, qui, pour certains n'ont pas hésité à se « tirer dessus ». Pour le premier accusé, son audition étant entamée la veille, Salmane Abderrahmane dispose des procurations pour gérer les comptes bancaires de Reffas Lahcene et de Merabti El Hadj, deux de ses associés avec qui il a fait des affaires avant de se retrouver sur le banc des accusés. « C'est une escroquerie en couleur, monsieur le président », dira à un moment ce dernier en réponse à une question du juge. A la confrontation, Selmane Abderrahmane rétorque : « Nous avons bien travaillé ensemble au début, et s'il est devenu fou entre temps, je ne comprends plus rien. » Ces deux déclarations données à titre indicatif, car il y en a d'autres, traduisent seulement l'état d'esprit qui règne entre les accusés après l'éclatement de cette affaire. Un autre épisode fait état de tentative par une tierce personne de négociations qui se monnaient en prison à hauteur de 700 millions de centimes. Si le fait est avéré, car confirmé par les deux accusés, c'est seulement l'auteur de la proposition qui reste à déterminer. Pour revenir au 7e prévenu appelé à la barre, Selmane Abderrahmane, celui-ci a déjà travaillé avec Union Bank dont il connaît le directeur qui lui a délivré des traites avalisées (le même procédé que celui entrepris par la BCIA). « ILS ONT PRIS 4 MILLIARDS DE BENEFICES AU LIEU DE 500 MILLIONS » Mais le gros de ses affaires avec Sotrapla et Sogedia Maghnia a été enregistré avec la BCIA, pour laquelle il dit avoir hypothéqué une usine de plastique à Relizane, deux villas à Blida et un café à Oran. A eux trois (les deux associés cités plus haut), la valeur de la garantie présentée (entrepôts à Chtaïbo, à Oran, entre autres) à l'agence BEA de Sig s'élève à 30 milliards de centimes dont 20 milliards à lui tout seul, selon ses déclarations. Ses accusations vont être dirigées contre ses associés qui, dit-il, ont profité de la mésaventure qu'il a vécue après l'apparition du problème des traites impayées pour lui exiger le remboursement de la marchandise qu'ils n'ont pas reçue, mais aussi contre le directeur régional de la BEA au sujet duquel il affirme qu'il a refusé de lui délivrer les relevés bancaires. Portée devant la justice, cette dernière affaire est en cassation à la Cour suprême. Lui aussi réfute l'expertise qui, selon lui, n'a pas été juste à son égard. « Ils ont compté des traites que je n'ai pas escomptées (250 milliards de centimes) », devait-il indiquer plus tard en réponse à une question posée par son avocat. Pour revenir à ses associés et clients, « sur un chiffre de 35 milliards de centimes, ils (ses associés et propres clients dont Tewfik, Saim Badredine, Merhoum) ont pris 4 milliards de bénéfices au lieu de 500 millions », devait-il répéter à maintes reprises. Pour la dernière livraison, alors que l'affaire a éclaté, sa marchandise à lui a pourri au port avant d'être livrée, accentuant ainsi sa mésaventure du fait également que 33 chèques émanant des comptes qu'il gère avec des procurations sont allés à Sotrapla, mais sans recevoir de marchandise en contrepartie. Les traites de la BCIA, escomptées à Sig, sont converties en chèques de banque et remises à Sotrapla. En réponse à une question, il estime lui-même à 31 milliards la valeur globale des 33 chèques. Certaines traites avalisées par la BCIA sont au nom de Reffas Lahcène qui aurait sorti des chèques de banque sans provisions. A une question relative à ce fait particulier, le prévenu répond : « Pour les chèques de la BCIA escomptés à la BEA de Sig, je suis poursuivi par la justice de Mascara, j'ai un mandat de dépôt à Sig. Les chèques sont payés ; le problème, c'est qu'ils ne me les ont pas envoyés à mon bureau. » Le procureur de la République a voulu savoir comment il a escompté une traite de 81 millions de dinars au nom de Reffas et signée par Fouatih. L'accusé a confirmé qu'il avait escompté lui-même cette traite qui lui a été remise, dit-il, par Mohamed Ali Kharoubi, arguant qu'il avait la procuration. Il a également escompté 6 autres traites pour vendre du sucre à Reffas Lahcène qui, curieusement, est son associé. Pour lui, toutes les traites ont été données par Mohamed Ali Kharoubi. Il ajoute : « J'ai découvert qu'il couvrait des traites par d'autres. » A la question relative au montant, il avance le chiffre de 210 milliards de centimes et déclare qu'il a découvert cette erreur après la déconvenue. Au sujet d'un autre de ses clients-associés, Guiti Tewfik, il atteste que les deux commerçants allaient ramener du lait pour un montant de plus de 60 milliards de centimes, mais que tout a été bloqué par la suite. Pour lui, ce montant a été saisi. Le procureur lui demande si en 2002 il avait signé des traites à blanc. A cette question, la réponse est édifiante : « Je ne maîtrise pas le français et c'est Mourad Benyoucef (un cadre de la BCIA) qui a présenté la traite chez Sotrapla. » Si le manque d'instruction de cet accusé est avéré, comment se fait-il alors qu'il gère des comptes de tierces personnes par procurations rédigées chez un notaire et dont la terminologie utilisée exige des connaissances particulières. La défense a justement lu un passage du spécimen en français et où il est fait état effectivement de compte bancaire, mais aussi de traites, d'effets de commerce, etc. « Est-ce que, en prison, tu as demandé à Merabti de changer ses propos contre 700 millions de centimes ? » La réponse à cette question a été par la négative, mais, à l'inverse, Selmane a déclaré qu'une tierce personne parmi les détenus est venue le voir pour lui dire que Merabti est prêt à moduler ses propos moyennant 700 millions de centimes. « Peut-être que ce n'est pas lui et que c'est juste un jeu de prisonnier », devait-il cependant rectifier. Ceci a été réfuté par Merabti, qui, plus tard lors de son audition, a affirmé le contraire. L'avocat de Selmane a demandé le détail des agios de son client à Sig. Il a également fait ressortir que la traite avalisée escomptée n'était payée que 10 jours après sa présentation. Son mandant devait également ajouter, fait qui ajoute à la confusion, qu'il croyait que la traite était un chèque certifié. Selon lui, la BEA a fait opposition sur 10 traites. Un autre fait curieux. Revenant sur les conditions de son arrestation, A. Selmane affirme que, convoqué par la police pour une après-midi, il a été à Es Senia pour déjeuner, et c'est là qu'il rencontre un élément de la brigade économique qui lui aurait dit, selon ses déclarations devant la cour : « Tu peux t'enfuir, car quand tu te présenteras, ils vont t'arrêter. » « Il m'a dit que les bons de caisse étaient anonymes » Mohamed Sahraoui est le 8e accusé à comparaître. Il dit que c'est Kharoubi Mohamed Ali qui l'a appelé à son bureau, et en présence de Addou Samir de Sotrapla. Le premier lui propose un crédit pour travailler avec Sotrapla par le biais d'avances sur titres, un procédé qu'il dit ignorer jusque-là. C'était pour expliquer son début de collaboration avec la BCIA, mais aussi la BEA (Yougoslavie) où il ira constituer un dossier. L'idée de disposer d'un crédit a été acceptée après inspection de ses dépôts situés à Es Senia. Il a fait une demande pour les chèques, il a appelé Addou Samir qui lui aurait dit de garder les photocopies avant de remettre les originaux, mais depuis, il n'a reçu, dit-il, aucune marchandise. Aux questions du juge, il répond qu'il a sorti des bons de caisse et qu'il a déjà travaillé avec Kharoubi et de l'argent a été remis aux clients de Sotrapla. Quand il a signé, il ne savait pas s'il y avait de la provision dans son compte. Le montant des bons de caisse est estimé à 950 millions de dinars. En fait, en résumé, cet accusé déclare ne rien savoir des mouvements qui se faisaient sur son compte et c'est comme s'il avait une confiance aveugle en Kharoubi Mohamed Ali. « Moi, on m'avait demandé d'aller à la BEA Yougoslavie, je suis allé, je ne cherche pas à comprendre », devait-il répondre quand le juge lui demande pourquoi il a pris les bons de caisse et les a emmenés à la BEA, et pourquoi ne pas avoir utilisé son compte à la BCIA. Lui aussi trouve ces agissements comme ce qu'il y a de tout à fait « normal ». 14 jours après avoir ouvert un compte, il enregistre un mouvement de 95 milliards de centimes. Le juge lui demande s'il trouve cela normal et sa réponse est oui. Il ignore que son compte a été débité avant l'entrée des escomptes des bons de caisse, car il dit l'avoir appris en prison par l'expert. Il n'a pas une ligne de crédit à la BCIA et Kharoubi lui délivre 95 milliards. A cela, en réponse au juge, il dira : « Il (Kharoubi) sait que je suis commerçant et il m'a donné pour que je travaille (nakhdam âla rouhi). » Et il ajoute : « Kharoubi m'a dit que les bons de caisse sont anonymes. » A la confrontation, Addou Samir a déclaré que Sahraoui a agi seul et pense que les déclarations de cet accusé sont calomnieuses. La version du responsable de Sotrapla est la suivante : « Il est venu me voir, il m'a dit : je vais avoir un crédit, j'ai besoin de 14 000 t de sucre et je paye cash. » Je lui ai répondu que ce n'était pas possible mais que je pouvais le livrer en deux fois car j'ai d'autres clients . Ceci pour dire qu'il n'était pas avec lui chez Kharoubi. « Je ne peux pas lui vendre et lui demander de virer à quelqu'un d'autre », dira-t-il pour se défendre. Guiti Saâd est un autre accusé appelé à comparaître. Lui a été un client de la BCIA Alger, mais il été proposé par un certain Hadad Yacine pour venir de l'Algérois faire des affaires à Oran en ouvrant un compte à la BCIA d'Oran et à Sig et travailler avec Sotrapla et FNF de Fouatih. Cela s'est réalisé en fin 2002. 31 millions de dinars de traites ont été escomptés en son nom à la BEA. Il a donné une procuration à son associé et dit ignorer les mouvements effectués en son nom dont 5 traites, une de 33 millions de dinars, une autre de 37 millions de dinars, etc. Mais le cas le plus édifiant est celui de Merabti El Hadj, un petit commerçant de Mohammadia qui a débuté avec son J9 en 1984 et qui n'a pas caché sa cupidité lorsque Selmane est venu, dit-il, lui proposer un investissement faramineux. L'avantage de Merabti El Hadj, c'est qu'il a fait connaissance auparavant avec le fils du responsable de Sogedia qui, par cet heureux contact, lui a fait confiance et lui livre régulièrement de l'huile et du savon. Selmane refuse les transactions domiciliées auparavant au CPA (compte de Merabti) et propose la BCIA et la BEA de Sig. « El insan yetmaâ », devait-il avouer, mais sa surprise a été immense lorsque par voie de huissier, il reçoit un document où on lui demande de s'acquitter de 10 milliards de centimes pour l'escompte de traites impayées. « De ma vie je n'ai eu à manipuler autant d'argent, à peine si j'arrive à 400 millions de centimes », déclare-t-il en provoquant des fous rires dans la salle notamment lorsqu'il enchaîne qu'il vit toujours dans un F3, un bien de l'OPGI par dessus le marché. L'homme au J9 qui a sillonné le territoire national dans des conditions pénibles se retrouve dans la cour des grands, mais avec une dette faramineuse. Lui aussi déclare ignorer le mouvement qui s'effectuait sur son compte du fait qu'il a signé une procuration chez le notaire qu'il accuse également d'être impartial lorsque le problème s'est posé. Il dit qu'on a voulu l'intimider en prison lorsque la cour lui a demandé sa version du marchandage qui a eu lieu en prison. On ignore encore avec exactitude dans quel but a eu lieu ce marchandage. Oran. De notre bureau