C'est un véritable message que viennent d'adresser les services de renseignement américains, avec leur rapport sur l'Irak. La conclusion s'impose d'elle-même : la situation est sans issue et un retrait des troupes américaines de ce pays ne serait dans l'intérêt de personne et d'aucune partie. Les démocrates qui se sont emparés des deux chambres du Congrès, en sont prévenus. Le rapport en question émane des 16 agences américaines de renseignement. Voilà pour l'auteur, et nul ne le conteste, pour la simple raison que les faits sont tirés de la réalité du terrain. Pas de travail de sous-traitant ou de travail à distance. Il prédit une aggravation du chaos en Irak et une fracture du pays du fait de la violence sectaire si un changement de cap politique n'intervient pas rapidement. Ce document de synthèse de 90 pages, rédigé par le Conseil national du renseignement, est intitulé « Prospects for Iraq's Stability : A Challenging Road Ahead » (Perspectives pour la stabilité en Irak : un chemin difficile). Il a été demandé par le Congrès en août 2006, donc avant le changement de majorité, et formule des prévisions pour les 18 prochains mois. Autrement dit, peu avant l'élection présidentielle américaine. Son jugement est un véritable verdict : « La polarisation grandissante de la société, la faiblesse persistante des forces de sécurité et de l'Etat en général et le fait que toutes les parties se préparent à recourir encore davantage à la violence mènent à une augmentation des affrontements, de l'insurrection et de l'extrémisme. Si des efforts ne sont pas faits pour rétablir la situation et déboucher sur des progrès mesurables, nous estimons que la sécurité va continuer à se dégrader dans les 12 à 18 mois à un rythme comparable à celui de la fin de 2006 ». Seule solution, selon les agences de renseignement, pour inverser cette tendance : que les sunnites admettent la nouvelle structure politique du pays et que les chiites et les Kurdes leur fassent une place plus grande. L'approche peut paraître candide ou tout simplement illusoire, puisque les chiites longtemps exclus du pouvoir – ils en ont même été victimes – entendent cette fois appliquer strictement la règle démocratique selon laquelle c'est la majorité qui détient le pouvoir. Supérieure à toutes les communautés, au plan démographique, les chiites détiennent la majorité au sein de toutes les institutions. C'est probablement pour cette raison que la tâche des dirigeants irakiens est jugée « extrêmement difficile ». Si la situation continue à se dégrader, trois scénarios sont possibles : une « partition de fait » du pays en « trois zones antagonistes », chiite, sunnite et kurde ; la possibilité qu'un nouvel homme fort, cette fois chiite, émerge et gouverne par la terreur ; enfin, l'anarchie, le chaos et un Etat totalement défaillant. Le rapport estime qu'un retrait rapide des forces américaines conduirait à encore plus de violence et de chaos : « Les forces de la coalition restent un élément stabilisateur essentiel. Si elles se retirent dans les 18 mois, nous estimons que cela conduira presque certainement à une augmentation de la violence sectaire. » Les services de renseignement mettent l'accent, « en dépit de progrès réels », sur les capacités toujours limitées des forces de sécurité irakiennes qui « auront de grandes difficultés dans les prochains 18 mois à assumer plus de responsabilités » et qui, laissées seules, « ne survivraient probablement pas en tant qu'institution nationale non confessionnelle ». Le document utilise le terme de « guerre civile » pour décrire « des éléments-clés du conflit », mais estime qu'il ne reflète pas « la complexité de la situation ». Une analyse partagée par le secrétaire à la défense, Robert Gates. Il a estimé qu'il existe aujourd'hui quatre guerres en Irak. « Il y en a une entre chiites, surtout dans le Sud. La deuxième est intercommunautaire, surtout à Baghdad, mais pas seulement. La troisième vient d'insurgés ; la quatrième, d'Al Qaîda », a-t-il déclaré. A l'entendre, les deux dernières sont dirigées contre les troupes US et celles de la coalition d'une manière générale. La Maison-Blanche a jugé le rapport « sévère mais juste » et estime qu'il n'est pas contradictoire avec sa nouvelle stratégie, qui consiste à augmenter le nombre de soldats américains en Irak de 21 500 hommes dans les prochains mois pour rétablir la sécurité à Baghdad. Contestée par le Congrès et la majorité de l'opinion, cette stratégie a été critiquée, jeudi, devant la Commission des forces armées du Sénat, par le général Casey, ancien commandant des troupes américaines en Irak. M. Casey, qui a été remplacé en janvier par le général David Petraeus, était auditionné pour être confirmé dans ses nouvelles fonctions de chef d'état-major. Il a expliqué qu'il avait demandé deux brigades supplémentaires (environ 8000 hommes) et pas cinq (21 500 hommes), car il ne voulait pas « amener un soldat de plus en Irak que ce qui est nécessaire ». M. Casey a été limogé. Quelle stratégie donc appliquer pour sortir de ce bourbier et éviter à tout prix que ce dernier sorte du cadre irakien ? Là est toute la question.