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Le temps des rétractations
Le procès BCIA se poursuit au tribunal d'Oran
Publié dans El Watan le 07 - 02 - 2007

Les prévenus appelés à comparaître au 8e jour du procès de la BCIA ont pour caractéristique commune de nier une bonne partie des propos qu'ils ont tenus « en présence de leur avocat » (ce dernier fait est rappelé avec insistance par le procureur de la République) devant le juge d'instruction. Ils sont en général de petits commerçants de gros ou demi-gros.
Tous les prévenus d'hier étaient bénéficiaires de crédits faramineux octroyés en un temps record par la BCIA, ont signé des traites dont quelques-unes à blanc, ont assuré leur crédit tardivement, c'est-à-dire quelques semaines avant l'éclatement de l'affaire, chez Star Hana (une compagnie gérée par le fils Kharroubi) en payant 169 millions de centimes débités de leur compte et devaient travailler, dans leur majorité, avec Sotrapla. Ils nient avoir reçu 10 millions de centimes après signature de traites ou signature de l'opposition en avril 2003 contre Addou Samir, gérant de Sotrapla, qui n'a pas honoré sa dernière commande de sucre. Chibane Bouziane, un commerçant de Ghris, a déclaré que c'était Ouala Abderrazak qui l'a orienté vers Sotrapla et qu'il a signé deux traites (respectivement 13,1 et 12,5 milliards de centimes pour lesquelles il n'a pas reçu de marchandise), mais que Samir Mhenni de la BCIA lui a demandé de « signer à blanc au cas où. » Quand le juge lui demande s'il a reçu 10 millions de centimes pour cela, il a beaucoup hésité puis a nié et a déclaré être allé à la police. Interrogé sur le montant du crédit dont il a bénéficié, il a rétorqué : « Je ne sais pas ! » Le juge : « Tu signes pour des milliards sans le savoir ? » Il enchaîne : « Tu as déclaré à l'instruction avoir signé en présence de Ouala, Addou et Kharroubi. » Le prévenu finit par dire non. Au sujet de la marchandise, il dira que c'est son partenaire qui a acheté du sucre chez Ouala Abderrazak et qu'il a l'habitude d'écouler la marchandise à Ghris et Froha. Lui aussi a signé un contrat d'assurance et a fait opposition à la demande du fonctionnaire de la BCIA. « Il m'a dit : ‘'C'est pour que tu te couvres puisque tu n'as pas reçu de marchandise''. »A-t-il reçu 10 millions de centimes ? Il a nié, mais a avoué avoir sorti de l'argent de son compte pour ses propres dépenses. A la question : « Puisque tu as signé une première traite pour une marchandise que tu n'as pas reçue, pourquoi en avoir signé une deuxième ? », l'accusé a avoué avoir effectué un retrait après avoir signé l'opposition du 27 avril 2003, vingt jours après. Pour une autre question posée par un avocat de la partie civile, la réponse a été édifiante. « Tu as eu 10 millions de centimes, tu as assuré ton crédit et la transaction commerciale n'a pas eu lieu. Est-ce que tu as remboursé ? » « Non, personne ne m'a rien demandé ! », a-t-il répondu pour ensuite revenir sur ses déclarations stipulant qu'il avait acheté et vendu du sucre sans facture. Le procureur de la République lui fait remarquer le fait qu'il gère des milliards (les quantités de sucre commandées en janvier 2003 vont jusqu'à 1000 t) et qu'il ne dispose pas de carnet de chèques pour son compte de la BCIA. L'histoire d'un autre prévenu, Mimouni Sid Ahmed est encore plus étonnante. Il la résume lui-même en quelques phrases. « Simple commerçant à Tlemcen, on m'a présenté à Fouatih. Celui-ci s'avérera un individu qui a pris l'identité de Fouatih, ce que je n'ai découvert qu'en prison. Il m'a dit tu ouvres un compte à la BCIA et je te fournis de la marchandise. C'était en 2001. J'ouvre un compte, on me dit d'apporter un dossier. Je ne sais plus ce qui s'est passé entre temps, jusqu'à ce que la police me convoque. Là, on me dis tu connais Reffas ? J'ai dis non et je leur ai raconté ce que je viens de dire ici. » Supposé être crédule, il a mis son sort entre les mains d'une personne qu'il dit se nommer Selka Djaoued, mais qui, toujours selon ses propos, se nomme Senousaoui Abdelghani. C'est lui qui est supposé lui avoir présenté le faux Fouatih et l'avait orienté vers la BCIA. Cet accusé dit avoir signé entre 10 et 15 traites sans le savoir.
« Je ne savais pas qu'il s'agissait de milliards »
Le juge lui annonce qu'il a signé 33 traites, dont quelques-unes pour le compte de Reffas et une autre personne qui n'a pas été nommée. « Tu as déclaré : ''J'ai signé en présence de Kharroubi et Fouatih m'a donné 10 millions de centimes'' », lui rappelle le juge. Le prévenu répond : « Je me suis rétracté par la suite. » Au sujet de clients qu'il est supposé avoir accompagnés à la BCIA pour l'ouverture d'un compte, il a déclaré qu'il les a juste présentés à son partenaire, Senousaoui Abdelghani. Au sujet des traites, il a expliqué qu'il croyait que c'étaient des « bons » en voyant son partenaire les ramener d'une librairie avant de les lui présenter pour signature. « J'ignorais tout. A aucun moment je n'avais imaginé qu'il s'agissait de milliards. Je ne connais pas Reffas, car toutes mes affaires sont entre les mains de Senousaoui Abdelkader. » La partie civile lui fait remarquer : « Tu fais confiance à une connaissance superficielle sans contrepartie ? » Le procureur s'interroge : « Comment se fait-il que trois ans ne t'ont pas suffi pour découvrir la supercherie ? » « J'ai grandi dans la rue et je n'ai aucune idée de ce qu'est un crédit par signature », a déclaré Benjouka Djillali qui a bénéficié d'un crédit de 30 milliards (il pouvait également escompter des chèques pour un montant de 4 milliards) que la BCIA lui a « accordé verbalement », devait-il préciser. De simple vendeur de rue à Oran, il a pu décrocher un contrat à Djelfa avec le Haut commissariat au développement de la steppe grâce à une pépinière à Aïn Dheb (Tiaret). Ce projet de 20 milliards n'a pas été mené à bout et il a dû arrêter pour se convertir au commerce avec Sotrapla dès 1999. Son compte BCIA date de fin 2000. Dans son travail avec cette société, la valeur des traites pour une marchandise manquante a été remboursée sauf, dit-il, les deux dernières. La première de 12,5 milliards de centimes devait servir à acheter une cargaison de 20 conteneurs de café. La marchandise a été débarquée au port, mais son fournisseur lui propose 10,5 DA le prix unitaire contre 8,5 prévus initialement. A cause de cette mésentente, il ne prendra pas la marchandise. « J'ai signé une autre traite en mai (16 milliards de centimes) dont l'échéance devait expirer en mai, mais avec le problème qui s'est posé on ne m'a pas laissé agir », devait-il déclarer. Il voulait acheter une cargaison de 5000 t de sucre avec une facture proforma. Il pense disposer de 14 milliards de centimes dans son compte après les faits et que cette provision est suffisante pour rembourser la première traite. Au sujet de l'opposition contre Sotrapla, il indique qu'il a signé, mais qu'il s'est rétracté par la suite. Pour cet accusé, le fait non encore élucidé réside dans un document brandi par le représentant du ministère public, signé par lui, mentionnant des virements sur son compte de 150 millions de dinars, puis de 30 millions de dinars. Il reconnaît que c'est sa signature, mais n'a pas répondu et ses avocats ont protesté. Pour eux, cette pièce ne figure pas dans le dossier et ils ne l'ont pas consultée. « Si la défense n'a pas vu ce document, ce n'est pas notre problème ! », a estimé le procureur de la République. Le juge a signifié qu'une copie pouvait être remise aux avocats de la défense. En réponse à une question de ces derniers, relative au sort réservé aux 16 milliards, valeur de la dernière traite, l'accusé pense que « c'est Sotrapla, bénéficiaire de l'escompte, qui doit montrer où est passée cette somme ». Né en 1981, Sayem Bedredine est le plus jeune des prévenus appelés à la barre. Il a commencé à commercer en 1999. En 2001, il ouvre un compte à la BCIA qui accepte de lui octroyer un crédit par signature. « Une garantie de l'achat des marchandises à condition de travailler avec des sociétés connues sur la scène », devait-il préciser. Sotrapla a accepté de la cautionner et il a débuté avec 2 milliards de centimes, à hauteur de son inexpérience. Il dit avoir signé une attestation qui stipule qu'au cas où la marchandise ne serait pas parvenue, son fournisseur s'engage à le rembourser. Vers la fin du premier semestre 2002, il demande un crédit de 8 milliards. Il explique ensuite que durant les trois mois de l'année 2003, il n'avait pas travaillé et ses traites sont remboursées, mais qu'il ne faisait aucun bénéfice. Juste après, il entend dire qu'il y a un nouvel arrivage. Il signe alors pour près de 12 milliards, l'équivalent de deux factures proforma pour 3800 t chacune. « Le 27 avril, déclare-t-il, Kharroubi Mohamed Ali qui m'avait appelé la veille m'a attendu devant la porte de l'agence bancaire, ce qui est inhabituel. Nous sommes montés dans son bureau et là il me dit : “Nous sommes le 27 (avril 2003) et la traite arrive à échéance le 30, rembourse-moi. Si tu ne veux pas que je te poursuive, signe-moi une opposition''. » Mais quand il est allé à Sotrapla, on lui dit, toujours selon lui, qu'on lui avait remboursé 18 milliards. Il s'est demandé alors pourquoi faire opposition du moment qu'il y a eu, pour son cas, remboursement. Selon ses dires, quand il a demandé la situation de son compte, on n'a pas voulu la lui montrer et, pour la traite, on lui a répondu qu'on l'avait déchirée. Le juge lui fait remarquer qu'il n'a pas reçu de marchandise pour la première traite mais qu'il a signé une autre un peu plus tard. La deuxième traite est allée à M. Merabti, l'accusé qui, la veille, a bravé les règles et a insinué des négociations monnayées à l'intérieur de la maison d'arrêt. Pour les 10 millions de centimes, il a avoué avoir retiré 9,5 millions de centimes, mais juste pour les dépenses. En tout, ce jeune client aura travaillé avec Addou Samir pour environ 35 traites avalisées par la BCIA. « Lui (le juge d'instruction) parle en arabe et toi aussi, comment se fait-il alors que tu prétendes qu'il n'a pas ou que tu n'a pas compris ce qu'il te disait », lance le juge à Bilak Maghni. Il a nié connaître Reffas et Guitti Saâd, avoir présenté Benabou Laïd à Addou Samir et avoir reçu entre 50 et 70 millions de centimes pour avoir signé des traites qui finalement se sont retrouvées dans le compte de Reffas. A la question de la partie civile lui demandant pourquoi il n'a pas remboursé la banque qui lui a garanti le crédit, il répond que le montant du remboursement de Sotrapla était incomplet. L'avocate de ce prévenu voulait poser la question à Addou Samir, mais celui-ci s'est levé pour dénoncer le fait que la même avocate est constituée pour le compte des Kharroubi en fuite (Badredine et Chakib) et qu'elle pouvait utiliser ses questions en relation avec Bilak, mais en faveur des accusés en question. Pour le juge, cette question va être traitée ultérieurement et se basera sur le fait que l'avocat de Addou Samir n'était pas présent. Celui-ci avait auparavant déclaré du box des accusés qu'il refuserait de répondre. Cet incident étant clos, la cour a appelé Amara Abdelkader, un autre commerçant exerçant à Relizane, Mostagnem, etc. et ayant ouvert un compte BCIA en 2002. Celui-là n'a pas été interrogé par le juge d'instruction parce que, affirme-t-il, il n'a pas reçu de convocation. Il atteste lui aussi que la BCIA lui a demandé de laisser des traites à blanc. « J'ai signé pour Sotrapla, pas pour Reffas », lance-t-il. Alors que Reffas, appelé par le juge, a confirmé que les deux hommes ne se connaissaient pas, Selmane Abderrahmane, gérant du compte du premier, appelé lui aussi, a réitéré ses propos : « Mohamed Ali Kharroubi m'a dupé et a dupé ces gens-là. Je ramenais les traites de la BCIA et Addou Samir aussi. » Les autres accusés, des petits commerçants appelés hier à la barre, comme Amri Mohamed, devaient eux aussi raconter leur mésaventure avec la « trita » (nom donné à la traite) que la BCIA a popularisée.
Oran. De notre bureau


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