Le petit coup de théâtre provoqué par un avocat, A. Kharroubi, hier matin au 8e jour du procès de la BCIA, n'a pas entravé le déroulement de l'audience déjà entamée avec deux autres accusés, de petits commerçants, d'apparence crédule, en tout cas sans instruction remarquable mais que la providence a propulsés dans une affaire qui dépasse même leur imagination. L'incident a eu lieu lorsque, fait inattendu, appelé à la barre pour répondre de sa responsabilité dans cette affaire, Benkadi Ahmed, directeur général de la BCIA à Alger, nie avoir constitué pour sa défense deux avocats (dont A. Kharroubi) pourtant cités le 27 janvier au tout début du procès et n'en garder que trois dont il a rappelé les noms. Pour le prévenu, les deux avocats en question ne sont jamais venus le voir en prison. Ils n'étaient pas non plus, selon lui, présents lorsqu'il a été auditionné par le juge d'instruction. Pour ce dernier cas, le juge lui rappelle que la présence d'un seul de ses avocats suffit et que, le 27 janvier, lorsqu'il les a cités nommément, il aurait pu réagir et dire non à ce moment-là. L 'accusé répond qu'il n'a simplement pas fait attention et n'a pas entendu leurs noms cités pour son cas. « C'est honteux ce qui se passe à Oran dans le milieu des avocats », a-t-on entendu, soudainement, crier dans le milieu des robes noires mais sans comprendre l'allusion. Il s'en est suivi une mêlée vite maîtrisée. Le juge devait alors suspendre l'audience pour 5 minutes. Dehors les spéculations vont bon train. Deux versions s'affrontent. Pour certains, les pro-Kharroubi veulent utiliser cet accusé pour s'ingérer dans un procès caractérisé par l'absence du « fondateur de la BCIA et ses associés » mais dont le nom est cité à tout bout de champ. D'autres, ceux qui sont en faveur de Addou Samir ainsi que des gros fournisseurs qui accusent ouvertement la banque BCIA, ont manœuvré pour écarter les avocats proches de la famille Kharroubi pour mieux l'enfoncer. Mais cette vision paraît réductrice car l'affaire se résumerait à un litige entre les gros fournisseurs et leur ancienne banque. Quoi qu'il en soit, à la reprise, des excuses ont été formulées au barreau d'Oran, mais l'avocat par qui le scandale est arrivé a laissé entendre, sans savoir quel crédit donner à ses propos, qu'il se réservait le droit de poursuivre trois avocats qu'il visait dans son intervention et, évidemment, sans citer de noms. Maintenu par oubli à un poste de responsabilité L'accusé, ancien DG de la BCIA, a explicitement déclaré en prélude qu'il s'assumait entièrement et ne voulait dépendre de personne, comme pour signifier qu'il voulait que sa version des faits n'engage que sa personne. Tout au long de son intervention, on remarque en effet que ses propos étaient tantôt à charge, tantôt à décharge du fondateur et premier président du conseil d'administration de la BCIA, Ahmed Kharroubi, et son successeur Mohamed Ali Kharroubi. Cet ancien cadre de la BEA a entamé sa carrière au lendemain de l'indépendance, mais à un moment où les institutions bancaires n'étaient pas encore nationalisées. Il avait donc assisté à la création de la BEA en 1967 et, comme il n'y avait pas de place au service portefeuille, emploi qu'il avait avant, il a été orienté au service comptabilité. Il gravit les échelons jusqu'à occuper la direction de la comptabilité sur proposition du directeur central de 1974 à 1985. « Ce n'est plus la compétence qui prévalait à ce moment-là », dit-il pour expliquer comment il a été amené à s'occuper par détachement de la bancarisation de la CNEP où il a été maintenu par oubli jusqu'en 1995, date à laquelle il a été rappelé à la BEA. « L'erreur des pouvoirs publics, c'est d'avoir permis à des individus d'ouvrir des banques sans moyens et sans contrôle », dit-il avant d'expliquer son recrutement à la BCIA en 1999 sur proposition, dit-il, de Damerdji Mourad qui lui a fait connaître Ahmed Kharroubi. De directeur des finances et comptabilité, il est désigné rapidement au poste de DG mais, officiellement, il fallait attendre l'agrément de la Banque d'Algérie, chose faite en janvier 2000. « Toute la BCIA n'équivalait pas une agence de la BEA », a-t-il estimé pour expliquer la facilité avec laquelle il devait mettre en place l'organigramme. « Son rôle, dit-il, consiste à faire en sorte que la banque fonctionne dans le cadre de la loi, mais c'est le conseil d'administration qui gère. » Pour lui, les ratios prudentiels qui prévoient, en termes de crédit, un plafond de 15% des fonds propres (20% pour la BEA ?) à un seul client et 12 fois le montant des dépôts à l'ensemble des clients sont respectés. Mais il émet la réflexion suivante : « Si une banque ne dispose pas des 12 fois le montant des dépôts, elle va les chercher ailleurs. » Une structure dans une structure Il considère également que les engagements par signature sont dangereux et cet aspect, selon lui, a fait partie des recommandations qu'il a données au personnel. En 2002, les états communiqués par les 22 agences de la BCIA ne décelaient rien d'inquiétant. Pourtant, quand il expliquera le fonctionnement de la banque, il avouera, lui-même, qu'une structure dans la structure a été installée pour l'Ouest qui compte une dizaine d'agences. Il existe une seule direction régionale, c'est celle d'Oran. Le même organigramme à Alger a été installé à Oran et c'est pour cela, indique-t-il, qu'un comité de crédit qui ne devait relever habituellement que de l'instance centrale a été mis en place à Oran. Mais pour lui, ce n'est pas illégal et il fallait juste mentionner ce fait à la Banque d'Algérie. Arrive alors le jour fatidique du rejet des traites avalisées, le 13 mai 2003. « Ahmed Kharroubi m'appelle, déclare-t-il, pour me dire : nous avons un problème à Oran, des traites n'ont pas été présentées dans les délais et il y a opposition. » Il atteste avoir signé une lettre de rejet rédigée par son patron, mais sans connaître ni le montant des traites ni l'identité des bénéficiaires. Son prétexte est que le rejet se limite à la présentation tardive et explique que cela ne veut pas dire que sa banque n'allait pas payer. Quand une traite n'est pas présentée dans les délais, elle perd sa qualité de traite mais reste encaissable car elle devient comme une reconnaissance de dette. Il déclare ainsi se souvenir avoir déclaré à son patron que « cette lettre de rejet ne fera que retarder l'échéance de payement ». Son interlocuteur lui aurait répondu : « La direction régionale d'Oran va prendre le problème en main. » Il expliquera plus tard au juge, qui lui a demandé pourquoi il avait alors signé les 30 autorisations de crédit le 3 juin malgré cet incident, que pour lui, le problème était supposé être réglé. Il ajoutera même : « S'ils avaient un peu d'intelligence, il leur suffisait juste de nous aviser et la caisse centrale qui avait une provision suffisante aurait payé. » Cette déclaration pose plus de problèmes qu'elle n'en résout. On apprend que la BCIA a traité 1450 dossiers de crédit à l'échelle nationale, dont 800 à Alger qui n'ont posé aucun problème. Il avance également : « Kharroubi ne donne jamais de crédit sans garantie sinon il les a ailleurs. » Au sujet de l'assurance, ses révélations posent également des interrogations au sujet de Star Hana. Le juge lui demande s'il y avait obligation pour les clients de la BCIA, donc principalement de Sotrapla et Fouatih, d'assurer les traites au sein de cette compagnie. Il pense que la meilleure garantie pour un crédit de ce genre est une assurance mais encore faut-il trouver une compagnie qui réponde favorablement. Pour lui, c'est clair, « les compagnies d'assurance demandent des garanties encore plus draconiennes que les banques ». Ce qui l'amène quelque peu à se rétracter pour dire que la meilleure garantie c'est finalement le professionnalisme du client. « Un patron qui sabote sa maison, c'est du jamais vu », devait-il déclarer aussi pour ajouter à la confusion. Plus tard, un avocat de la partie civile lui rappelle qu'il a déclaré n'avoir jamais vu une banque rejeter une traite. L'accusé s'emporte un peu et déclare : « Moi aussi je n'ai jamais vu un directeur de banque garder 400 milliards dans les tiroirs pendant 15 jours », allusion faite aux traites arrivées à échéance et restées à la banque de compensation. C'est la première fois que l'accusé charge la BEA dans cette affaire. Il ajoute : « J'ai moi-même vérifié, le 30 avril (date d'arrivée à échéance des traites de l'agence 74 de la BEA dite Yougoslavie, ndlr), il y avait une provision largement suffisante pour payer. » Au sujet des autorisations de crédit payées le 3 juin, Ahmed Benkadi pense qu'on les lui a fait signer pour l'impliquer personnellement. Il a été confus à ce sujet lorsque la cour lui rappelle qu'il est juridiquement responsable et qu'il a lui-même présenté un parcours en tant que professionnel du domaine. Il supposera, néanmoins, que dans la forme, les autorisations étaient garanties et que pour lui tout ce qui s'est passé après l'incident du rejet était fomenté pour l'impliquer lui et tenter d'innocenter le DRO qui avait des prérogatives élargies, notamment sur le crédit, ce qui ne correspond pas à l'organigramme qui était supposé avoir été mis en place pour un fonctionnement optimal. La cour lui rappellera également l'épisode du chèque rejeté 11 fois mais là, il décline la responsabilité. Des bons de caisse sans contrepartie Au sujet des bons de caisse sans contrepartie, il estime que « celui qui signe un bon de caisse sans contrepartie (en argent immédiat) est coupable de contrefaçon, c'est comme pour la monnaie, il est passible d'emprisonnement à perpétuité ». Le représentant du ministère public a ressorti une décision de la commission bancaire datant du 9 mai 2000 qui a relevé le directeur de ses fonctions. « Des bons de caisse d'une valeur de 48 millions de dinars ont été donnés à un certain Bensaber. Présentés au CPA, cette banque n'a pas attendu l'échéance et c'est pour cela qu'elle a découvert que c'était des faux et c'est pour cela qu'il s'est enfui en 1999 », répond le prévenu pour revenir à ses premières déclarations et dire que « c'est aussi à cause de cet épisode qu'Ahmed Kharroubi a peur de la Banque d'Algérie par la suite ». Le procureur de la République lui montre également un autre document, une lettre qu'il a envoyée au commissaire de la brigade économique lui expliquant qu'étant à Alger et occupé, il n'a pas pu, au départ, répondre à la convocation. « La première fois que je suis venu à Oran, j'y suis resté à ce jour », a-t-il ironisé. L'autodérision d'un détenu d'une affaire qui n'a pas encore, à ce stade, révélé tous ses secrets, notamment la destination de l'argent du préjudice. Certains des accusés ont déjà déclaré que Samir Addou de Sotrapla a viré dans leurs comptes BCIA respectifs de l'argent après la débâcle marchande d'avril 2003, mais en partie seulement et à condition que cela se prouve.