Il est impossible de dire aujourd'hui qu'il n'y a pas eu élaboration d'un plan et des préparatifs pour se procurer des liquidités sur le dos de la banque publique BEA. » Ce sont les propos du deuxième avocat de la partie civile qui s'est penché auparavant sur les catégories sociales dont on a affaire dans ce procès et qui sont, avant tout, des commerçants (grands et petits) mais aussi des banquiers (notamment les cadres du secteur public), soit deux professions à risque. Pour lui, tout ce beau monde a risqué mais peu sont ceux qui ont avoué, ou alors ils ne l'ont fait qu'à moitié. Il se basera, à titre indicatif, sur des propos tenus devant la cour où un accusé a parlé de « boulimie », un autre qui s'est vu « pousser des ailes avant de tomber », etc. Il déplorera le fait que pendant 3 ans qu'aura duré le traitement de ce dossier, on continue encore à nier des faits et même parfois les aveux faits devant le juge d'instruction. « Il y en a qui se sont enfuis en pensant qu'ils allaient échapper à la justice mais cela ne sert à rien car leur conscience continuera à les suivre », estime-t-il en introduisant les moyens ou les subterfuges qui, selon lui, ont été mis en œuvre pour opérer la saignée des deniers publics : le système des traites avalisées pour disposer de liquidités, les chèques certifiés frauduleusement et, enfin, les avances sur titre, « des titres bidon », selon sa propre formulation. « Addou Samir a déclaré qu'il savait qu'il y avait des problèmes, Fouatih a avoué que Kharroubi lui a imposé de force de rédiger une lettre et un autre a clairement dit : “Kharroubi s'est joué de moi“ », relève-t-il en outre pour mieux étayer la thèse relative à « l'association de malfaiteurs avec les chefs de bande et leurs lieutenants, ceux qui étaient déjà milliardaires et ceux qui voulaient le devenir ». Evoquant le chiffre qui donne le vertige de 1300 milliards de centimes, il s'est interrogé où est passée cette somme faramineuse. « Comme ils l'ont subtilisé facilement, cet argent doit avoir été dépensé de la même manière », répond-il à lui-même. Durant ce procès, il était beaucoup question de la qualification de l'affaire et la défense des accusés s'est exprimée maintes fois sur le sujet en voulant faire de ce préjudice un litige commercial. Cette façon de voir n'a pas échappé à la partie civile qui répond par la voix du même avocat : « S'il s'agissait d'une créance entre les deux banques, moi je veux bien qu'on me parle de litige commercial mais, je n'ai rien prêté à la BCIA, ils m'ont volé et tenté de me dépouiller. » Pour lui, la loi parle d'elle-même et, pour ajouter aux explications données la veille par le plaignant de la BEA, mandaté par sa hiérarchie, il précise en s'adressant aux accusés : « Nous ne sommes ennemis avec personne, ce sont les faits dont vous vous êtes rendus responsables qui vous ont amenés ici. » La direction régionale était-elle au courant des opérations frauduleuses qui s'effectuaient au niveau de l'agence d'Oran dite Yougoslavie et celle de Sig ? Cette interrogation a également été soulevée par certains avocats de la défense. Là aussi, en plus des explications données par le plaignant, l'avocat de la partie civile brandit un document, un exemple des états comptables envoyés par les agences à la direction régionale, où il est noté la mention néant. « Comment peut-il être au courant lorsque des responsables d'agence, censés être des collaborateurs, s'arrangeaient pour camoufler des pratiques frauduleuses qui n'ont été découvertes que lorsqu'il y a eu un incident de payement », argue-t-il en considérant que c'est cet incident qui a constitué « le grain qui a fait grincer la machine ». « Cela fait trois ans qu'on court derrière les fantômes » Une manière de dire « le volcan était déjà en activité » (expression équivalente) avant l'éclatement de l'affaire. Pour lui, cela fait trois ans que ce dossier est à l'étude et personne n'a pu ramener la preuve de transactions commerciales pour justifier le mouvement des traites, celui des chèques et des avances sur titre qui n'ont servi en fin de parcours qu'à engranger des liquidités. Plus précis, pour toucher les gros clients, il indiquera que « ni Addou Samir ni Fouatih Belkacem n'avaient de la marchandise à présenter au moment des faits. » Il avance en plus que pas moins de quatre expertises ont été effectuées, dont une commandée par Selmane Abderrahmane lui-même. Au sujet de cette dernière, le résultat est pour lui sans appel : « L'expertise de Selmane a fait ressortir qu'il était débiteur à hauteur de 82 milliards de centimes. » Tout de suite après il lance : « Reconnaissez ! Cela fait 3 ans qu'on court derrière les fantômes ! » A l'intention de la partie adverse, il déclare : « Nous sommes ici devant une juridiction qui statuera sur le délit mais les aspects techniques de l'affaire ne peuvent qu'être laissés à la commission bancaire qui est le tribunal des banques. » Il déplorera le fait qu'on ait été même jusqu'à vouloir accuser l'expert pour faux témoignage. A chaque étape et pour tout point, il y a eu des pourvois en cassation mais la Cour suprême n'a pas suivi et, se demande-t-il : « On ne va pas encore remettre en cause les décisions de cette instance ! Vous vous êtes coincés vous-mêmes. » « Complicité positive Il rappellera ensuite l'épisode où, « en 2000, alors que la BCIA n'avait encore qu'une année d'existence, Kharroubi a été arrêté et condamné pour avoir émis une valeur de 4,8 milliards de centimes en bons de caisse bidons. » Les bons de caisse, explique-t-il en outre, quand leur contrepartie en argent n'est pas provisionnée, sont apparentés à la création de la monnaie, ce qui est dangereux non pas seulement pour les individus mais aussi pour toute l'économie. Il se demandera pourquoi la BCIA ne donne des avals qu'au profit du tireur si ce n'est pour disposer de liquidités. L'exemple donné pour illustrer ses propos a trait au cas Sahraoui. « Tu (Sahraoui) déposes 60 et 95 milliards à la BCIA et tu vas emprunter à la BEA. Si tu disposes de toute cette fortune, tu es déjà dans les nuages et tu peux travailler directement avec la BCIA, pourquoi tu viens chez moi ? » Au sujet de Bounab, il lance : « Une fortune te tombe du ciel et tu ne t'inquiètes même pas ? Tu ouvres un compte, tu signes des documents et tu reçois 10 millions de centimes ou 20 millions, etc. Mais de quel gain et par rapport à quel commerce provient cet argent ? » Aussi pour réfuter la crédulité de certains accusés, de petits clients appâtés par le gain facile, il suppose qu'à ces individus de Blida, de Tlemcen, etc. on dit simplement : « Tu veux travailler ? Va ouvrir un compte à la BCIA d'Oran et tu recevras de l'espèce. » Dans le même ordre d'idées, il constatera que ce sont des individus d'Alger qui ont curieusement déplacé l'affaire vers Sig, localité où ils ne justifient ni de résidence ni d'activité commerciale, encore moins de domiciliation fiscale. L'épisode Union Bank n'a pas échappé à l'argumentaire de la partie civile qui développe le fait que les avals ont été donnés au profit du tiré. Le tireur n'a pas signé mais les traites de Reffas Lahcène ont été escomptées et des chèques certifiés ont été émis. Au sujet de Mohamed Sahel, il rappelle qu'aucune transaction commerciale ne justifie les 3,9 milliards de Selmane Abderrahmane déposés à la banque Natexis. Il reconnaîtra à Fouatih Belkacem, un seul mérite, celui d'avouer avoir signé à la place de Lakhdar Fouatih (lien de parenté avéré) sans l'informer. Au sujet de l'un des accusés, Cherif Hadria, qui a dit avoir tout remboursé, il retiendra néanmoins l'aspect frauduleux de son action, en même temps tireur, tiré et bénéficiaire d'avals, ce qui n'est pas possible dans les circonstances ordinaires. Il parlera également de « complicité positive » concernant les employés et cadres de la BEA incriminés dans cette affaire pour avoir, par exemple, émis des lettres de change tout en sachant qu'il n'y a pas de transactions commerciales. Le troisième avocat de la partie civile à prendre la parole a bien commencé en s'intéressant d'abord à la destinée de l'argent du préjudice. Il est, selon lui, transféré à l'étranger par le biais de transactions commerciales fictives. Après avoir démontré la différence de taille entre la BEA et la BCIA qui n'avait qu'un capital de moins d'un demi-milliard de centimes. Il a ensuite tenté de reconstituer les groupes qui forment cette association, classés en trois catégories, et les interconnexions qui sont supposées exister entre ces dernières pour former un réseau. Mais il a fini par se perdre dans les dédales techniques et les détails chiffrés des préjudices de presque chacun des accusés. Ce qui a rendu sa plaidoirie illisible au point où, remarquable dans la salle, même des ténors supposés du barreau, ceux officiant pour la partie adverse, théoriquement concernée, ont été surpris en train de bailler sans gêne.