Le premier avocat de la partie civile a d'emblée relevé le caractère exceptionnel de cette affaire par le montant du préjudice et les procédures utilisées, mais a tout de suite déploré, pour reprendre sa propre formulation, « le saucissonnage du dossier ». Oran. De notre bureau La référence est faite aux deux fils d'Ahmed Kharroubi, détenus, mais qui n'ont pas été présentés lors de ce procès, et ceux en fuite (le père et Mohamed Ali). Pour ce dernier cas, son avis est que « c'est un fait unique dans les annales judiciaires que des accusés absents se donnent le luxe d'introduire un pourvoi en cassation ». Il considère que cette affaire est « un grand scandale pour le pays » qui découvre, selon ce qu'il a laissé entendre, les leurres d'un libéralisme supposé être en mesure d'accompagner et de faciliter les politiques économiques par la compétition. Pour lui, il s'agit d'un réseau de malfaiteurs avec ses têtes pensantes et ses sbires. « Nous respectons ceux qui habitent les HLM, mais dans les opérations mettant en jeu des montants aussi faramineux que 95 ou 65 milliards, on a découvert non seulement que tout était faux, mais qu'il y avait de la mauvaise foi », a-t-il indiqué en référence à un accusé qui a brandi le fait qu'il habite toujours dans une cité HLM pour s'innocenter. « Les méthodes utilisées sont visibles, car il n'y a même pas de transactions commerciales, seulement des avals, des assurances destinées à créer de la monnaie, et transforme, avec des complicités internes, la BEA en une vache laitière », ironise-t-il en faisant ressortir le fait que les autres banques (autres que la BCIA) ne donnaient pas autant d'avals. Il insérera une réflexion d'ordre général stipulant qu'« à l'époque, où le terrorisme sévissait, certains se remplissaient les poches ». ENTOURLOUPES Pour lui, la BCIA a utilisé de faux prétextes pour ne pas honorer sa signature et les avals qu'elle a donnés. A son avis, cette banque privée n'avait pas, dès le départ, la volonté de payer sa dette en essayant de se dérober à chaque fois, ce qui lui a fait dire que « la BCIA fait ce qu'elle veut et quand elle veut ». Pour lui, s'il n'y avait pas eu quelques remboursements juste après l'éclatement de l'affaire, le préjudice de l'agence de Sig aurait été de 600 milliards au lieu de 400 contre 1720 milliards de centimes globalement. C'était indirectement pour défendre le rapport de l'expert au sujet duquel il a dit qu'« il (l'expert Djaâfri Mokhtar) a été essoré pendant deux jours sans qu'on ne trouve rien à redire dans le fond de ses conclusions ». Il précisera, comme pour répondre à ceux qui ont reproché à M. Djaâfri de ne pas s'être entretenu avec les accusés, que le juge d'instruction a ordonné une expertise sur pièce. Sur un autre plan, comme pour donner la preuve que la BEA a, à chaque étape, voulu avant tout récupérer son argent et n'a pas privilégié l'affrontement, le même avocat de la partie civile a rappelé dans un premier lieu que le 4 juin 2003, une rencontre a eu lieu entre la direction de la BEA à Alger et Ahmed Kharroubi et où, toujours selon lui, ce dernier a essayé encore une fois de « se dérober en racontant qu'il était au maquis, qu'il était au MALG ». « Quand est-ce que vous allez payer vos dettes, M. Kharroubi ? lui a-t-on répondu », rapporte-t-il pour enchaîner sur la date du 22 juin 2003 lorsque, lors d'une réunion tenue avec la direction régionale sanctionnée par un PV de huissier, il était question de transfert des hypothèques vers la BEA. Là aussi, cela n'a rien donné au même titre que les pourparlers qui ont eu lieu le 5 août 2003 avec la commission bancaire et où la BCIA aurait proposé un règlement à hauteur de 50%. « 50% de quoi ? » s'est-on interrogé, même si là encore, considère-t-il, ce ne sont que des entourloupes, car « la BCIA n'a jamais cherché un arrangement à l'amiable, elle voulait le beurre et l'argent du beurre ». L'avocat de la partie civile reviendra ensuite sur les violations de manière récurrente des lois par Ahmed Kharroubi et l'affaire des bons de caisse ainsi que les complicités internes à la BEA pour conclure : « N'ayons pas peur des mots, il s'agit d'une association de malfaiteurs. » Dans son intervention préliminaire, l'ancien directeur régional de la BEA au moment des faits a retracé les démarches entreprises et les conditions qui l'ont amené à porter plainte. Il a été mis au courant le 18 mai vers 16h30 par son adjoint. Ce dernier, au courant du rejet dès le 13 mai 2003, avait déclaré lors de son audition que son directeur était absent et qu'il n'avait aucun moyen de le contacter. L'ancien directeur régional a démenti cette affirmation en considérant qu'il ne s'absentait en général qu'une demi-journée pour des raisons justifiées et que son adjoint non seulement disposait de son numéro de téléphone portable, mais que deux employés de la même unité ont un lien de parenté avec lui. Entre-temps, un premier entretien avait eu lieu entre l'adjoint du directeur accompagné d'un autre cadre et les responsables de la BCIA et où Ahmed Kharroubi avait exigé la présence de Addou Samir de Sotrapla pour étudier la situation. Djamel Edine Baghdadi a accepté le principe de la poursuite des pourparlers à condition d'inclure un autre cadre (Medeghri) qui n'avait pas pris part à la première rencontre. Alors que le directeur du réseau, chef hiérarchique direct, ainsi que le directeur du crédit ont été contactés, une deuxième rencontre entre la délégation locale de la BEA et le staff de la BCIA a eu lieu en présence de Addou Samir. Entre-temps, des contrôleurs ont été envoyés et le prolongement de l'affaire à l'agence de Sig a été découvert. « Le 21 mai, déclare Baghdadi Djamel, j'ai demandé à voir le gérant de Sotrapla que j'ai reçu dans mon bureau. Addou Samir m'a dit : moi-même je n'ai rien compris à cette affaire et je vais porter plainte contre la BCIA. Je lui ai répondu : est-ce que vous réglez ? Il m'a dit : non, c'est la BCIA qui règle. » Dans ces déclarations, on voit bien qu'il n'y a pas eu de négociations, comme il le précisera ultérieurement en réponse à une question posée dans ce sens. On lui reprochera également d'être tout de suite allé porter plainte, chose qu'il réfutera, car, poursuit-il dans ses déclarations préliminaires : « Ayant reçu une réponse négative, j'ai contacté ma hiérarchie pour lui dire : l'acteur principal n'a pas voulu payer, et c'est là, à la date du 21 mai, que je reçois un ordre de la direction générale qui m'a délégué de déposer plainte. » Pour lui, à échéance des traites de l'agence Yougoslavie, la BCIA n'avait pas de provision pour honorer sa dette et il se basera sur un extrait de compte de la Banque d'Algérie. « Une banque doit faire des prévisions et le travail de trésorerie est très simple, car il suffit de se dire : j'ai avalisé telle somme à échéance du 30 avril, il faudra donc que, à cette date et les deux jours qui suivent, j'aie la contrepartie en argent, sinon je justifie la marchandise qui n'a pas été vendue et que je mets à disposition », devait-il expliquer. Le juge lui demande pourquoi une grande institution comme la BEA se déplace elle-même à la BCIA au lieu du contraire. « Je dois utiliser tous les moyens pour récupérer l'argent de l'Etat, car si je ne l'avais pas fait, ma hiérarchie m'aurait reproché d'avoir croisé les bras », répond-il. A la question d'être ou pas au courant de ces mouvements faramineux irréguliers, il a considéré que les écritures comptables cachaient de manière frauduleuse les pratiques réelles. Il dira néanmoins qu'à Sig, une agence qui théoriquement n'avait pas de crédit à donner, les malfaçons ont été découvertes un mois après. IRREGULARITES ET DEPASSEMENTS Mais il se basera surtout sur l'organigramme relatif au fonctionnement interne du réseau BEA (qui a décentralisé sa gestion) pour expliquer le fait que les malversations n'ont pas été découvertes à temps. Cependant, pour lui, tout dépassement de la ligne de crédit, toute autorisation doit être soumise à la hiérarchie. « Les contrôles effectués à l'initiative de la direction régionale ont relevé des irrégularités et des dépassements, mais qui n'étaient pas de cet ordre-là », soutient-il encore pour attester qu'avant l'éclatement de l'affaire, une société comme Sotrapla, qui était connue sur la place, qui avait une autorisation de crédit limité, enregistrait des dépassements d'un maximum de 20%, ce qui était déjà une infraction (la tolérance fixée est de 10%), mais pas de plusieurs milliards de dinars. « En général, on s'arrangeait toujours pour faire ressortir frauduleusement un encours conforme à la ligne de crédit », estime-t-il pour laisser entendre que même les contrôleurs n'y ont vu que du feu. Au sujet des décisions prises quand des infractions sont signalées, comme le tirage croisé de FCH Fouatif signalé à partir d'Alger ou les 100 chèques de Sig au sujet desquels la direction de la trésorerie avait demandé une vérification (il s'est avéré que certains étaient réellement sans provision), le directeur régional a indiqué qu'en deux ans de service à ce poste, 11 plaintes ont été déposées, 40 employés ont été traduits en conseil de discipline, 15 autres ont été licenciés ou rétrogradés. Questionné au sujet du client Selmane Abderrahmane, il a relaté l'épisode où celui-ci avait promis de ramener, ici à Oran, le DG d'Union Bank (Ali Biai) qui devait régler les 5 traites litigieuses. « Le représentant d'Union Bank est effectivement venu au rendez-vous, mais je lui ai dit : il y a aussi les chèques certifiés frauduleusement. Et là, il s'est levé et est reparti sans dire un mot. » Toujours au sujet de ce même client, qui, selon lui, est venu le solliciter pour lui dire qu'il connaissait des gens qui pourraient lui fournir des chèques de banque en contrepartie des bons de caisse litigieux qui n'ont aucune valeur, D. Baghdadi a attesté qu'il lui a dit qu'il était d'accord à condition de ramener des chèques d'une banque publique. Ce qui n'a pas été fait et cette entrevue a eu lieu en présence du responsable du contentieux. En réponse à un avocat de Adda Larbi, qui lui a montré une lettre qu'il a signée et dans laquelle il le félicite d'avoir atteint 79% des objectifs, le directeur régional répond que d'une part, ces objectifs ne concernent que les ressources (1/1000 des activités de l'agence) et qu'il dispose d'autres lettres où il le prévient qu'il n'a pas réalisé ces objectifs selon les orientations de la hiérarchie. Questionné au sujet du classement de la BCIA, il a estimé que, contrairement à ce qui se dit, il n'y a qu'un bureau d'études spécialisé, comme cela est d'usage à l'étranger, qui peut savoir avec des techniques appropriées si telle ou telle banque est intéressante. Il conteste, en outre, que la BEA a gagné sur les agios perçus des traites parce que, justement, pour lui, le calcul existe, mais les traites n'ont pas été payées, ce qui annule ce gain fictif. Il conclura en disant que lui, en tant que personne, avait beaucoup à perdre (santé, famille) en déposant plainte car « la procédure judiciaire est pénible et cela dure depuis trois ans ». Une manière de dire qu'il a juste répondu aux impératifs liés à son poste de travail. `