Bon, généreux et sensible, ce sont là les termes d'Attalah pour qualifier le voisin que Laghouat vient de perdre. Le maître luthier, Djoudi Mabrouk, s'est éteint vendredi dernier. Fils de menuisier, Mabrouk, qui chérissait le bois, le bois des vieilles bâtisses en toub, cet artisan qui a passé toute sa vie a inventorier la noblesse des sonorités que cachait le plus modeste morceau de bois et qui se plaisait à dire « qu'insuffler la vie à de vieux morceaux de bois n'est pas que de la menuiserie » s'en est allé rejoindre les Benkeriou, Reymalek, Mohamed Esghir, à savoir ceux qui furent ses maîtres, ses amis ; ceux dont le verbe, la sonorité, le ton étaient nourris de la luxure, de la lumière et de toutes les rébellions de l'oasis. Après avoir fabriqué son premier luth en 1930, Si Mabrouk avec Reymalek ont fondé la célèbre troupe Thouraya 1946, et n'avait de temps que pour la création. De son atelier sis à la place de l'Horloge, divers instruments faits de bois de récupération, des mandolines, des violons, des luths, des kanouns très appréciés par les fins connaisseurs que sont les maîtres de la musique orientale ont fait le tour du monde. L'homme qui peuplait à lui seul la vieille placette de l'Horloge, Rahbat Essaâ, a passé les dernières années de sa vie dans un modeste atelier sis à Rahbat Ezzitoun. Nullement gêné par le tumulte des marchands de légumes, dont les produits étaient étalés au seuil même de l'atelier, c'est là qu'il se retirait, dès sept heures du matin jusqu'en début d'après-midi pour converser avec son ami de toujours Lefhal (le luth) pour en tirer la juste mesure, le son pur, le seul qui sied au verbe de Benkeriou à Gamr Ellil. Si Mabrouk, qui ne se lassait jamais d'interpréter avec une manière propre à son génie, les chefs-d'œuvre que sont Ezzahra El Beïdha, Cléopatre de Abdelwahab, cachait très bien son côté mélomane et contrairement à ce qu'on sait de l'homme, pour qui le luth fut plus qu'une raison d'être, c'est le violon qu'il préférait pour se consoler, pour exprimer toute sa tristesse.