Le procès des deux avocats Hassiba Boumerdassi et Amine Sidhoum a été renvoyé au 21 mars prochain sur décision de la juge du tribunal de Bab El Oued à Alger lors de la séance d'hier. Le procès a été renvoyé une première fois le 17 février dernier. La trentaine d'avocats de la défense, venus en force pour soutenir leurs collègues, ont exigé le renvoi de l'affaire dès l'ouverture du procès en constatant l'absence du directeur de la prison de Serkadji (Bab Djedid, Alger). Le parquet reproche à maître Boumerdassi d'avoir le 27 juin 2006, sans en avoir demandé la permission au préalable, remis à un client dans la prison de Serkadji le procès-verbal de sa première comparution devant le juge d'instruction. L'avocate explique qu'elle a remis le document en question à un gardien de la prison qui a promis de le transmettre à son client une fois avoir obtenu l'autorisation de le faire. Maître Sidhoum est pour sa part accusé d'avoir remis à un prisonnier cinq cartes de visite personnelles en juillet 2006 sans demander la permission aux autorités pénitentiaires. Sur ces cartes ne figurait que l'information pour contacter Me Sidhoum et « ne présentaient aucun danger » au regard de l'article 166 du code pénitentiaire. Abdelmadjid Sellini, président de l'Union nationale des barreaux et bâtonnier d'Alger, a déjà déclaré à la presse le 18 janvier dernier que « donner ses cartes de visite (à ses clients) n'est pas aussi grave que cela, moi, personnellement, j'ai toujours donné mes cartes de visite à mes mandants ». Les deux avocats doivent ainsi se présenter devant la justice depuis août 2006. Mobilisation des avocats Les deux avocats, qui encourent jusqu'a cinq années de prison s'ils sont reconnus coupables, sont connus pour leur défense publique des droits de l'homme : ils représentent régulièrement des détenus accusés de terrorisme, des familles de victimes de disparitions forcées, ainsi que des suspects qui soutiennent avoir subi la torture lors des interrogatoires. « Ce qui se passe ici est inadmissible, soutient maître Benisaâd du collectif de la défense des deux avocats, si jamais il y a faute professionnelle, c'est à l'Ordre des avocats de trancher et de décider des mesures disciplinaires. Ici, c'est le parquet qui se substitue à l'Ordre des avocats ». L'Union nationale du barreau a décidé de constituer un pool de défense composé des 3000 avocats adhérents et compte organiser prochainement une conférence de presse pour dénoncer « les atteintes au droit d'exercice » : deux autres avocates sont également poursuivies par le parquet d'Alger. « Toutes les affaires programmées pour aujourd'hui ont été reportées et les séances ont été ouvertes, pour une fois dans ce tribunal, à 9 h du matin, afin d'empêcher les nombreux avocats de la défense d'arriver à temps, en plus du service d'ordre qui assure une entrée sélective », s'insurge une avocate dans le hall du tribunal de Bab El Oued. Pour l'avocat Ali Yahia Abdenour, président d'honneur de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH), présent au procès d'hier, il s'agit « encore d'une grave dérive ». La LADDH avait, dans un communiqué rendu public la veille du procès, qualifié les accusations contre Me Boumerdassi et Me Sidhoum d'« impertinentes » et de « dommageables pour l'image de la justice ». Pour sa part, l'ONG Human Rights Watch, demande, dans un communiqué publié hier, aux autorités algériennes d'abandonner « des accusations basées sur des motifs politiques ». « Le vrai enjeu dans ces affaires est d'intimider des avocats des droits de l'homme qui prennent la défense de leurs clients », selon Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à HRW. L'ONG lie ces poursuites contre les deux avocats aux interdictions frappant les militants proches du dossier des disparitions forcées en rappelant l'interdiction d'un séminaire sur la question le 7 février et les dispositions de la charte pour la paix et la réconciliation nationale, prohibant l'évocation de ces violations des droits humains.