Un huis clos écrit par Maïssa Bey et monté de manière rigoureuse. Un train en France en deux mille quelque chose. Soudain, la guerre de libération surgit dans le compartiment. C'est la magie de la littérature et du théâtre que de faire entrer le train de l'histoire dans un train ordinaire. A la base, ce livre de Maïssa Bey, Entendez-vous dans nos montagnes ? , publié en 2002 aux Editions de l'Aube (France) et Barzakh (Algérie). Ce récit est en fait autobiographique et porte sur des faits douloureux pour l'écrivaine. Elle avait sept ans en 1957 quand son père, instituteur, fut arrêté par des soldats français et torturé jusqu'à la mort. Et il lui a fallu quarante-cinq ans pour avoir la force de mettre cela par écrit sous une forme qui se prêtait déjà au théâtre par son cadre, son rythme et sa construction fondée essentiellement sur des dialogues. Un train en France. Une jeune femme. Sur sa valise, des étiquettes indiquant sa provenance : l'Algérie. Un vieux Français. Il a l'âge qu'aurait eu le père de la jeune femme. La discussion s'engage. Il a vécu en Algérie. De fil en aiguille, la trame des souvenirs, égrenés prudemment dans ce face-à-face courtois mais tendu, laisse apparaître le poids des non-dits. L'homme, médecin, était alors dans le contingent. Votre père était instituteur à Boghari, c'est ça ? / Oui. / - Et il... il est mort... / - Pendant la guerre. / - Ah ! … Je ne suis pas resté longtemps là-bas. Et de gare en gare, de paroles en silence, dans cet espace clos, immuable mais qui avance pourtant, à l'inverse du temps recomposé, la tension monte, insupportable, douloureuse. Le texte était déjà fort. La pièce en matérialisant les personnages, par la grâce du contact vivant que le théâtre permet, lui donne une seconde vie où même les souffles, imaginés à la lecture, deviennent audibles sur scène. Du titre, Maïssa Bey s'en était déjà expliquée à la sortie du livre : « C'est une contraction entre Entendez-vous dans nos campagnes (La Marseillaise) et notre chant patriotique à nous Min Djibalina. C'est quelque chose d'entremêlé entre ce chant patriotique français que nous, Algériens, avons appris à notre corps défendant lorsque nous étions petits et que nous devions saluer et notre chant à nous que nos parents nous faisaient apprendre, le soir, quand nous étions couchés, dans le plus grand secret. » (El Watan 26 sept. 2002). Et cet entremêlement conflictuel est bien celui de ce compartiment qui réunit la fille d'un martyr et son éventuel tortionnaire. Et il était déjà présent dans le chant algérien qui avait détourné la musique militaire de « Sambre et Meuse », bien connue des Algériens mobilisés durant la Première Guerre mondiale. En renforçant le jeu subtil des acteurs (Fatima Aïbout et Alexis Nitzer) par les effets de son et de lumière et le recours à des projections sur écran, Jean-Marie Lejude a signé là une mise en scène excellente. C'est la deuxième fois qu'il travaille sur des textes de Maïssa Bey. En 1999, déjà, avec la Compagnie l'œil du tigre (Reims), il avait monté La plume et le couteau inspiré des Nouvelles d'Algérie du même auteur et de contes kabyles. Entendez-vous dans nos montagnes ? présenté hier, sera rejoué ce soir à 19 h au CCF, dont la salle honorable est cependant trop petite pour une œuvre qui mériterait d'être vue par un public plus nombreux.