Joyeux, turbulents et insouciants comme tous les enfants, Badrezzaman, Daoud, Hocine, Tayeb, Mahrez et Nasreddine ont fait la queue hier devant le bureau du médecin légiste du CHU de Constantine. Les consultations rentrent dans le cadre de l'enquête relancée par le juge d'instruction près le tribunal d'El Khroub. Les parents qui accompagnaient leurs enfants ne s'expliquent pas la lenteur de la procédure judiciaire et se demandent s'il n'y a pas quelque part anguille sous roche, tout en craignant des manœuvres dilatoires visant à blanchir les médecins responsables de la mutilation. C'est l'ombre d'une impunité qui viendrait poignarder une seconde fois les parents, qui pleurent toujours le sort de leur progéniture, et planter l'idée de l'injustice chez ces chérubins victimes d'un crime médical. En dépit de cette crainte, ces parents semblent décidés à arracher leurs droits et font preuve de beaucoup de courage et d'un sens élevé de la citoyenneté. Ils viennent d'ailleurs de créer une association pour dire : « Plus jamais ça ! » et veiller à l'application de la décision ministérielle de réglementer les opérations de circoncision. Leur initiative répond en écho au désengagement de l'Etat. Faute de recevoir des visites périodiques de la part des médecins traitants - tous établis dans la capitale — les enfants sont obligés de faire plusieurs voyages et certains parents, à l'image de ceux de Yacine Belaïd - actuellement hospitalisé à Beni Messous — sont contraints d'aller à hôtel pendant plusieurs semaines et supporter des dépenses énormes. Pourtant, sous les feux de la rampe, l'Etat s'était engagé à prendre en charge les soins de ces enfants. Lors de son déplacement à El Khroub quelques jours après le drame survenu le 30 octobre 2005, Amar Tou, ministre de la Santé, avait promis solennellement de prendre en charge les enfants. « Ce sont mes enfants », avait-il déclaré, et de sévir contre les fautifs. « Je vais les brûler comme ils ont brûlé ces enfants », avait-il ajouté. Par la suite, deux enfants, les plus gravement touchés, ont été transférés à l'hôpital Reine Fabiola en Belgique, aux frais de l'Etat, et les autres évacués vers trois hôpitaux à Alger. Dès que les feux des médias se sont éteints, la situation a changé. D'ailleurs, le voyage en Belgique s'est révélé inutile pour les deux enfants concernés alors que les autres ont reçu des soins plus ou moins bénéfiques ; les plus heureux étant ceux envoyés chez le professeur Hantala à Beni Messous. Tou croit-il que ces enfants sont guéris ? Probablement, puisque ses cadres locaux le pensent aussi. Les vrais médecins savent, par contre, que ces enfants ont besoin de prise en charge médicale jusqu'à l'âge de la puberté au moins. Par ailleurs, les sanctions ne sont jamais tombées et les rapports d'enquêtes sont restés muets, du moins face aux parents qui, malgré différentes tentatives, n'ont jamais pu en obtenir les résultats. Ceux que nous avons rencontrés accusent le chirurgien qui a assuré l'opération de circoncision au secteur sanitaire d'El Khroub et soulignent l'inconséquence des médecins de l'EHS Mansourah qui ont réagi mollement devant l'urgence des cas. Il y a, selon eux, une véritable solidarité de clan entre ces médecins qui empêchent toute mesure qui toucherait à l'un d'entre eux. En attendant, ce sont ces enfants qui souffrent d'une déformation fatale pour leur avenir. Leur phobie de la blouse blanche est exacerbée à chaque visite, et le traumatisme ne peut qu'être entretenu tant que durera la procédure judiciaire. Dans la rue, à l'école, et là où ils vont, le regard des autres leur dira toujours qu'ils sont différents.