Sans des données statistiques fiables et en présence d'un marché informel du travail pour le moins insaisissable, quel crédit donner aux chiffres relatifs à l'emploi et au chômage sur lesquels on se base pour établir des stratégies de sortie de crise ? S'agissant de l'emploi dans le secteur moderne, on peut dire que les statistiques que nous livre l'ONS et la CNAS sont d'une fiabilité telle qu'elles nous permettent de saisir avec exactitude le nombre d'emplois déclarés dans les secteurs structurés. Les statistiques en notre possession nous permettent même d'identifier dès à présent les travailleurs et les chômeurs de l'année 2010 qui seront en grande partie constitués par les personnes nées en 2003. Pour ce qui est de l'emploi informel, des enquêtes bien qu'encore imparfaites nous permettent d'en savoir plus, mais nous ne sommes pas le seul pays à souffrir de l'opacité qui caractérise ce secteur. En Inde, par exemple, on sait que la situation est encore plus opaque que chez nous. Mais ce que je peux vous dire, c'est qu'il y a en Algérie une réelle volonté d'affiner les instruments de mesure et d'analyse en place. Mais est-ce que les chercheurs et les pouvoirs publics concernés sont au moins d'accord sur les chiffres qui permettent d'affirmer que la situation en matière de chômage est alarmante ? Oui, il y a la définition de l'Office national des statistiques qui est une définition administrative fondée sur des techniques d'enquête auxquelles les chercheurs doivent se référer du fait que les chiffres produits par cet établissement public constituent une référence pour le gouvernement. C'est sur les chiffres de cet office que l'on se base pour apprécier la situation de l'emploi des chiffres d'autant plus fiables que cet organisme a une longue tradition en matière de collectes et traitement des données statistiques, le travail des chercheurs consiste à affiner ces chiffres et à les interpréter. On a souvent tendance à présenter l'emploi comme l'antidote de la pauvreté or et, c'est souvent le cas, bien des personnes restent pauvres en dépit de leur accès à l'emploi. Il y a deux définitions qui s'affrontent : celle de la Banque mondiale qui se base essentiellement sur le revenu qui doit correspondre, un minimum de calories au dessous duquel il est classé comme pauvre et celle beaucoup plus large du PNUD pour qui la pauvreté n'est pas liée seulement au revenu, mais à d'autres privations comme l'accès aux soins et aux services publics. Cela dit, si l accès à un emploi ne met pas toujours fin à la pauvreté, il peut effectivement contribuer à soulager les ménages sans revenu en accédant à un minimum de rentrées financières. Que compense généralement un emploi supplémentaire dans l'informel ? C'est vrai que l'informel, le trabendo comme on le désigne plus souvent, a constitué une bouée de sauvetage pour les classes moyennes qui sans son apport auraient sombré dans les couches sociales les plus défavorisées. Les sociologues définissent la pauvreté en Algérie comme un phénomène essentiellement rural. Est-ce aussi votre avis ? C'est sans doute vrai à l'échelle mondiale, mais pas tout aussi tranché en ce qui concerne l'Algérie où nos recherches démontrent que la pauvreté se concentre surtout dans les zones périurbaines vers lesquelles se sont déplacées des populations d'origine rurale. Je dois tout de même avouer qu'en Algérie le monde rural reste encore insaisissable aussi bien sur le plan du revenu que sur celui de l'emploi. Pour les personnes qui se sont déplacées vers les villes ou leurs périphéries faut-il selon vous les insérer professionnellement sur les lieux d'installation ou faut-il au contraire travailler à leur insertion sur leurs lieux d'origine dans l'espoir d'un retour ? Il est évident que pour ceux qui se sont installés depuis le début des années 1990 dans ces zones, il serait illusoire de croire à leur retour, car ils ont créé dans les zones d'accueil un nouveau cadre de vie et leurs enfants y sont déjà scolarisés. Pour les populations qui viennent à peine de se déplacer, il faut par contre initier des actions d'urgence telles que l'octroi d'un revenu minimum pour les stabiliser en attendant la mise en branle d'actions multiformes visant leur retour dans leurs villages d'origine où bon nombre de ces personnes possèdent encore des terres et autres moyens de subsistance. Il s'agit de les convaincre, une fois le danger terroriste écarté, qu'ils ont davantage intérêt à retourner dans leurs villages que de vivre une vie de marginaux à la périphérie des villes qui n'ont pas grand chose à leur offrir.