Membre du conseil national du Rassemblement national démocratique (RND), Abdesselam Bouchouareb revient, à travers ces propos, sur le problème du chômage en Algérie après avoir pris part au séminaire régional sur l'emploi des jeunes organisé par son parti, le 16 juillet dernier à Constantine. En février 2008, l'Office national des statistiques (ONS) a évalué le taux de chômage en Algérie à 13,8%. Entre-temps, le ministère de la Solidarité nationale évoque un taux de 10%. De son côté, le commissaire général à la planification évoque à la même période un taux de 11,8%. Pour quelles raisons ces données sont différentes, sachant qu'elles proviennent toutes des instances officielles nationales ? Il est important de relever ces écarts dans l'évaluation du taux de chômage qui, plus est, émanent d'organismes officiels. La nécessité de produire des statistiques fiables et crédibles est une préoccupation majeure des plus hautes autorités de notre pays. Il y va de la lisibilité et de la visibilité de la situation économique réelle de notre pays, et de la crédibilité des politiques publiques. C'est pour cela que le gouvernement, sur instruction du président, s'attelle à renforcer les capacités des organismes tels que l'Office national des statistiques et du commissariat à la planification. Ils seront absolument nécessaires à l'évaluation des politiques économiques mises en œuvre. Les écarts constatés entre les taux de chômage communiqués par les différents organismes, à mon sens, sont dus aux différentes méthodes de calcul, données et définitions utilisées, bien qu'en matière d'emploi, nous nous référons aux critères du BIT (Bureau international du travail). C'est pour toutes ces raisons que nous proposons l'uniformisation de ces éléments entre les différents organismes, tout en favorisant les échanges entre eux. Nous préconisons également la mise en place d'un système d'information axé sur l'emploi et le chômage afin d'obtenir des données précises. Et plus encore, nous devons créer un observatoire de l'emploi, un organisme de référence, doté de moyens humains conséquents, afin d'analyser régulièrement et plus finement ces résultats et permettre aux décideurs d'apporter, au besoin, les correctifs qui s'imposent. Nous avons accusé un certain retard dans ce domaine. A titre d'illustration, des pays voisins réalisent plusieurs enquêtes annuelles, alors qu'aujourd'hui nous n'en réalisons qu'une seule par an. Lors de la conférence de presse que vous avez animée jeudi dernier à Constantine, vous avez estimé à 800 000 le nombre de chômeurs diplômés de l'enseignement supérieur et à 14% le taux des diplômés de la formation professionnelle qui accèdent à l'emploi. Sous quelle base avez-vous fait cette évaluation ? Je précise d'abord que le chiffre évoqué de 800 000 chômeurs diplômés de l'enseignement supérieur concerne l'année 1999, année où le chômage avait atteint près de 30% de la population active. Grâce aux énormes investissements consentis ces dernières années (250 milliards de dollars depuis 10 ans), ce chiffre a baissé. En effet, à la fin 2008, il est enregistré 232 000 diplômés universitaires en chômage. N'oublions pas en outre que plus de 250 000 personnes arrivent annuellement sur le marché du travail, dont 120 000 universitaires. Outre les immenses chantiers engagés depuis 1999, qui ont permis la création de plus de 6 millions d'emplois, je pense que les systèmes de formation se sont quelque peu adaptés à la demande du marché en termes de profils, ce qui a permis d'améliorer l'employabilité de ces jeunes diplômés universitaires. Je crois aussi que le nouveau système LMD offre une plus grande flexibilité, adaptabilité et facilité d'insertion des diplômés dans le marché du travail. Et afin de booster cette tendance, je préconise également d'inculquer l'esprit d'entreprise et de qualification managériale dans les cycles de formation appropriés, afin de renforcer les opportunités de création d'entreprises et donc d'emplois. N'oublions pas la gageure annoncée dans le programme du président de créer 200 000 PME les 5 prochaines années et les 150 milliards de dollars d'investissements publics prévus pour cette législature. Quant au taux de 14% de diplômés de la formation professionnelle qui accèdent à un emploi, il s'agit en fait des diplômés accédant à un emploi dès la première année qui suit leur formation. C'est là aussi le résultat d'une enquête en 1999. Il révèle le grand problème d'adaptation entre les filières de formation professionnelle et les besoins réels du marché. Je note également que les plus gros gisements de création d'emplois se trouvent dans les services, secteur qui exige un niveau de formation plus élevé et plus adapté. En France, plus de 70% des emplois créés le sont dans le secteur des services. Au cours de cette même conférence, vous avez plaidé en faveur de la création de passerelles entre les différents dispositifs mis en place par l'Etat « pour gérer le problème de l'emploi. Or, en mars 2008, le ministre du Travail, de l'Emploi et de la Sécurité sociale, Tayeb Louh, a reconnu que « le taux de recrutement dans le cadre des anciens dispositifs (mis en place par l'Etat) ne dépasse pas 12% ». Aussi, une enquête de l'ONS, rendue publique en septembre 2008, indique que 40,6% des travailleurs interrogés relèvent avoir utilisé leurs relations personnelles et familiales pour trouver de l'emploi. Ces réalités ne traduisent-elles pas l'échec de la politique du gouvernement menée jusque-là par le gouvernement ? En effet, le RND appelle à la création de passerelles entre les différents dispositifs pour une plus grande cohésion entre ceux-ci, une meilleure efficacité et surtout afin d'éviter les chevauchements, voire simplifier leur mise en œuvre. On pourra regrouper l'ensemble des dispositifs existants sous la coupe d'un seul organisme qui rationaliserait leur gestion par une meilleure syndication de moyens et de ressources, et ce, afin d'améliorer leur efficacité. Concernant la politique de l'emploi menée jusque-là par le gouvernement, je ne pense pas que le fait de diviser le taux de chômage par environ 3 en 10 ans soit un échec. N'oubliez pas aussi les effets cumulés de la crise économique suivie de la tragédie nationale qui a secoué le pays pendant plus de 15 ans. Si le ministre de l'Emploi a indiqué que le taux de recrutement dans le cadre des anciens dispositifs mis en place par l'Etat ne dépasse pas 12%, c'est qu'il y a une réflexion sur les voies et moyens d'améliorer le rendement de ces dispositifs. C'est même la raison pour laquelle le RND a choisi d'organiser une conférence sur le thème de l'emploi et le chômage des jeunes pour apporter notre contribution concrète à ce débat. Je vous ai livré plus haut les pistes que nous proposons de privilégier. Maintenant, s'agissant des 40,6% des personnes qui ont utilisé leurs relations personnelles pour trouver un emploi, je vous ferais observer qu'alors 60% accèdent à des postes de travail sans « piston ». Ce n'est pas suffisant, mais ces mœurs auront tendance à s'estomper à mesure que le marché devienne de plus en plus mature, en ce sens où l'efficacité et la rentabilité seront les facteurs les plus déterminants pour le recrutement. Certaines entreprises publiques ont déjà instauré des procédures de recrutement anonymement, ne laissant place à aucune intervention extérieure. Je pense que ce modèle se généralisera, à mesure que l'exigence d'efficacité et de rationalisation des dépenses s'imposera davantage. L'investissement direct et l'accroissement de la consommation des ménages comptent parmi les facteurs importants quant à la création des richesses et de l'emploi. Ces conditions sont-elles offertes en Algérie ? Les deux leviers de la croissance et du développement sont en effet l'investissement et la consommation des ménages. Dans les pays industrialisés, le débat sur la relance économique se pose en termes de choix entre l'investissement (création de richesses) et de consommation (injection du pouvoir d'achat) pour susciter un accroissement de la production ou la combinaison des deux. La relance de la croissance par la demande est efficace (et socialement plus juste) dans les pays où la production des biens et services est suffisante et peut avantageusement interagir pour susciter un accroissement de la production. Mais prenons garde de ne pas singer ce que font les pays industrialisés : en injectant du pouvoir d'achat par l'augmentation des salaires ou création d'emplois non productifs, sans contrepartie productive, nous ne ferons qu'augmenter les importations, faute, précisément, de production locale suffisante, diversifiée et de bonne qualité. Nous remplissons ce faisant les carnets de commande des entreprises étrangères. J'en veux pour illustration la facture de nos importations qui s'est élevée à plus de 40 milliards de dollars cette année. Quelle est votre appréciation sur les relations entre l'université algérienne d'un côté et de l'autre, l'esprit de l'entreprise et le marché du travail ? La formation universitaire, l'esprit d'entreprise et le marché du travail sont intimement liés. En effet, il existe une relation directe entre la formation universitaire et les besoins du marché de l'emploi. Le premier élément doit s'adapter au second afin que celui-ci soit en mesure d'absorber les diplômés sortants. En Algérie, nous connaissons ce souci. Souci évoqué lors de la conférence. Pour des raisons historiques, le système de formation en Algérie a connu une expansion rapide qui s'est traduite par un nombre élevé de diplômés, au moment où l'emploi, sous l'effet de la crise économique et des restrictions budgétaires, a connu une contraction et un fléchissement qui ont accentué le décalage entre la formation et l'emploi. Il est aujourd'hui nécessaire de revoir notre système de formation afin d'assurer une formation adéquate à des milliers de jeunes poursuivant des études pour qu'ils puissent être utiles, par leurs connaissances, aux nombreux chantiers ouverts dans le cadre du programme du président de la République. Concernant l'esprit d'entreprenariat et le marché du travail, il est évident que le premier intervient directement dans la création de la richesse et de l'emploi. Cependant, nous constatons qu'il est assez faible en Algérie et qu'il est nécessaire de trouver des façons de le stimuler, notamment lors des cycles de formation ou par des facilités administratives ou encore par des incitations fiscales.