L'armée américaine compte ses morts, beaucoup moins que les victimes irakiennes de cette guerre imposée à tout un peuple, mais certainement plus que les évaluations préliminaires. Au point où les rapatriements de corps se font dans une totale discrétion. Mais cette armée tend également à mesurer l'impact exact de cette guerre sur elle-même, autrement dit sur le moral de ses troupes. Et là, la surprise est énorme. Elle est à la mesure de la déception de milliers de soldats partis pour différentes raisons il est vrai, mais pour une guerre vraiment courte, et peut-être même sans risque. Ce qui était vrai durant les premières semaines jusqu'à la chute de Baghdad. Mais plus depuis l'apparition de la résistance irakienne, qu'aucun responsable américain n'est parvenu à cerner en tant que phénomène spontané, et également organisé. Depuis août dernier, la barre symbolique des mille soldats américains tués a été franchie et d'autres limites tout aussi psychologiques pourraient l'être également, et ce ne sont pas les déclarations de responsables américains qui y changeront quoi que ce soit. Aussi alarmistes les unes que les autres, celles-ci contribuent à affecter le moral des troupes devenues des cibles de la résistance irakienne, une position impensable pour cette armée. Et pourtant, dix-huit soldats américains ont refusé récemment d'escorter dans une zone rebelle irakienne un convoi de camions-citernes, estimant que leurs véhicules n'étaient pas assez protégés contre les attaques. Une enquête a été ouverte sur cet incident « isolé » qui a impliqué une unité chargée du soutien logistique et basée à 310 km au sud de Baghdad, a indiqué le général américain James Chambers. Le 13 octobre, 18 soldats ont refusé de conduire sept camions-citernes qui faisaient partie d'un grand convoi se dirigeant vers Taji, au nord de la capitale, à travers des zones réputées être des bastions de la résistance. L'unité de quelque 100 soldats n'avait jamais emprunté cette route de 330 km, a précisé le commandant Richard Speigel. Il a affirmé que les 18 soldats impliqués dans l'affaire, qui a provoqué un tollé aux Etats-Unis, avaient été interrogés et ont repris leur travail, en attendant les conclusions de l'enquête. La semaine dernière, un journal américain, citant les proches des soldats, a affirmé qu'ils avaient été arrêtés pour avoir refusé une mission « suicide », s'étaient vu lire leurs droits et avaient été transférés de leurs casernes à des tentes. Des convois, comprenant chacun 20 à 30 camions-citernes et autres poids lourds, sillonnent les routes d'Irak, de jour comme de nuit, pour approvisionner les 140 000 militaires américains et près de 30 000 autres soldats de la force multinationale. La taille des convois en fait des cibles faciles. Selon le général Chambers, 26 soldats ont été tués dans des embuscades ou des attaques au cours des 75 000 missions exécutées depuis février dernier par le corps qu'il commande. Les stratèges estiment, quant à eux, que faciles ou pas, ce sont des cibles comme les autres et que l'objectif de la résistance est de perturber au moins le système de ravitaillement de la coalition, sinon le casser et le désorganiser. Ce qui isolera les unités les unes des autres et affectera à coup sûr leurs capacités de combat. Et ce d'autant plus que la résistance irakienne entend prouver qu'il n'y a pas de périmètre inviolable à l'image de la zone verte, là où se trouvent bunkérisés les bâtiments occupés par les plus hauts responsables américains et irakiens. Autrement, la vie des Irakiens demeure toujours rythmée par les attentats parfois aveugles et de masse. L'attentat perpétré à Baghdad tard dimanche visait un convoi de la police, a indiqué hier le ministère de l'Intérieur, précisant que l'attaque a fait six tués, dont 3 policiers et 26 blessés, dont 11 policiers. C'est l'une des rares fois où un attentat est commis dans Baghdad en plein milieu de la nuit, la ville étant normalement désertée dès le début de la soirée. Il s'agit aussi du premier attentat à l'explosif commis dans la capitale depuis le début du mois de Ramadhan vendredi. Rien donc n'a changé. Tout le monde vit avec la peur.