Isabelle Fougère est vice-présidente de l'Association des femmes journalistes françaises (AFJ). A la voir, on a du mal à l'imaginer baroudeuse (sa formidable « Odyssée Moderne » avec la photographe Sarah Caron est là pour nous le rappeler), parcourir les pays difficiles, couvrir des sujets délicats, s'embarquer dans des galères. Mais dans sa vie de tous les jours, elle mène un autre parcours tout aussi cahotique qui est celui de la reconnaissance des réels droits des femmes dans la profession. Un combat qui se traduit depuis peu par la remise d'un prix Canon à une photojournaliste dont le projet de reportage mérite considération et reconnaissance. Et il est vrai que la nomination à ce prix change la donne pour toutes ces professionnelles qui parcourent le monde, comme leurs collègues masculins, pour faire un travail quasi identique. A la source, l'idée de créer une association de femmes journalistes est née en 1981, des collègues femmes se sont rendu compte des inégalités dans la profession, aussi bien au niveau salarial qu'au niveau représentation professionnelle, promotion, poste à responsabilité etc. Pour Isabelle Fougère, « il est clair que c'est un combat féministe et je le revendique clairement. C'est vrai que ma grand-mère n'avait pas droit de vote, et qu'actuellement nous l'avons, mais les inégalités restent ancrées », citant l'exemple actuel de cet internat, où d'un coté les garçons ont des chambres individuelles avec accès à Internet, alors que les filles dorment à plusieurs dans une chambre sans avoir de téléphone. Elle se souvient : « Lorsque nous avons décidé de créer un prix pour les femmes photographes, nous ne savions pas comment faire, il nous fallait un endroit pour valoriser leur travail. Nous ne voulions pas d'un prix juste symbolique, gentil mais réellement un prix à la hauteur du travail accompli. Nous avons donc rencontré Canon France qui a très vite concrétisé notre attente. Restait à trouver le lieu, et Perpignan avec son festival Visa pour l'image est apparu comme une évidence. Nous en avons parlé avec JF Leroy (président du festival), qui nous a aidées et voilà comment 4 ans après, ce prix a une portée internationale. » l'AFJ a développé un important réseau non seulement à travers l'Europe mais aussi partout dans le monde, ainsi, elle est en contact permanent avec des associations ivoiriennes, afghanes, camerounaises et autres. « Nous suivons beaucoup se qui se passe à travers le monde, certains sujets nous touchent particulièrement, des sujets sensibles qu'on ne peut taire, pour preuve, le prix qu'on décerne cette année à Kristen Ashburn sur la conséquence du sida au Zimbabwe, pourquoi ce choix à votre avis ? Tout simplement parce que peu de gens savent que le sida fait 2500 morts par semaine au Zimbabwe ? 2500 morts/semaine est un chiffre énorme mais au delà, a-t-on évalué les conséquences sociales d'une telle tragédie ? Ces gens qui meurent, c'est des enseignants, des ouvriers, des agriculteurs, c'est en fait toute une structure sociale qui s'effondre... Tout comme l'an passé où nous avions encouragé le travail d'Ami Vitale qui avait fait un reportage sur le Cachemire. » A la question de savoir si lors d'un reportage, le regard d'une femme est différent de celui d'un homme, elle répond : « Je ne crois pas, chaque reporter a sa façon de faire, il y a les lieux interdits, les dangers, les agressions. Mais paradoxalement dans certaines situations critiques, une femme a parfois plus de chance d'être protégée. Les gens sont moins agressifs, plus permissifs à l'égard des femmes photographes. Mais le regard, la sensibilité est propre à chacun, qu'il soit homme ou femme. » Concernant l'avenir du photojournalisme, qui fut un sujet phare durant cette édition, Isabelle Fougère reconnaît : « On souffre tous des baisses de subventions, les projets coûtent de l'argent et il y a de moins en moins de fonds, mais nous avons la chance d'avoir ce partenariat avec Canon, qui nous donne de l'espoir et qui nous permet de continuer. » Bien plus que le manque d'argent, ce qui la déçoit le plus, « c'est ce manque de considération et surtout d'implication politique par rapport à tout ce qui se passe autour de nous », fini-t-elle par dire.